Pendant longtemps, les organisations ont offert à leurs employés des possibilités de cheminement professionnel plutôt bien encadrées et connues. Il y avait des parcours, des expériences, des « chemins » qu’ils pouvaient emprunter pour progresser vers les rôles et responsabilités qu’ils souhaitaient. Bien sûr, les premières stratégies de développement privilégiaient une approche plutôt expérientielle, c’est-à-dire qu’elles impliquaient d’occuper une série de postes par niveaux successifs. Elles ont cependant su évoluer vers des stratégies plus variées, plus adaptées aux modes d’apprentissage de chacun, telles que des formations à l’interne, à l’externe, sur mesure, des programmes de développement du leadership, du codéveloppement, des programmes de mentorat et de coaching, etc. L’organisation (et ses gestionnaires) était clairement perçue comme responsable du développement de chaque employé et celles qui ne cadraient pas avec ce modèle sont rapidement devenues bien moins attrayantes.
Des paradigmes qui changent pour les organisations
Aujourd’hui, on constate des changements de paradigmes importants dans ce domaine. En effet, deux phénomènes se juxtaposent et forcent des rajustements en matière de développement et de cheminement professionnels.
D’une part, l’offre de service pour ce qui est des outils et des moyens de développement à l’interne s’est encore énormément diversifiée, notamment grâce aux technologies (autoformation, cours en ligne, outils et tests de réflexion professionnelle, vidéos, etc.). Également, plusieurs outils de développement des compétences, externes à l’entreprise, sont devenus facilement accessibles, donnant à qui le souhaite la possibilité d’acquérir les connaissances et les compétences nécessaires à son cheminement. Les conférences TED diffusées sur la plate-forme YouTube en sont d’ailleurs un excellent exemple, comme les résultats obtenus, articles, conseils pratiques et autres contenus, d’une simple recherche « comment mobiliser des employés » lancée sur Google.
D’autre part, les organisations cherchent visiblement aujourd’hui à redonner davantage la responsabilité du développement et du cheminement professionnels à leurs employés, en adoptant une posture très différente. Le principe est simple : « Voici tous les outils que nous mettons à votre disposition. Maintenant, c’est à vous d’en faire bon usage si vous souhaitez vous développer et progresser. »
Un tel changement s’explique, entre autres, par le fait que les employés sont plus volatiles. Alors, pourquoi investir des sommes parfois considérables dans des formations à l’externe pour une personne qui, vraisemblablement, quittera l’organisation dans les deux à trois prochaines années? En effet, n’est-il pas plus stratégique de financer la création d’outils et de stratégies internes de développement et de sensibiliser ses employés aux ressources externes existantes accessibles à coût moindre? Le calcul semble assez facile à faire…
Les attentes des employés d’aujourd’hui
Mais cette démocratisation de l’accès aux outils et moyens de développement des compétences est-elle réellement compatible avec les attentes des employés d’aujourd’hui? Sommes-nous en présence de deux mouvements qui évoluent en parallèle ou dans des directions opposées? Lorsqu’on analyse le parcours scolaire des nouvelles générations, on constate que celles-ci se font de plus en plus accompagner par leurs parents, et ce, y compris à l’université, chose pratiquement inconcevable il y a 20 ans. Quelqu’un « s’occupe » d’eux. Que se passe-t-il alors quand ils arrivent sur le marché du travail? Ils s’attendent à ce que leur organisation fasse la même chose.
On peut ainsi facilement imaginer un écart grandissant entre leurs attentes et la posture en pleine mutation des organisations en cette matière. Comment alors éviter de démobiliser les ressources et faire en sorte qu’elles se sentent malgré tout appuyées et soutenues?
Positionner cette nouvelle réalité sur des leviers de mobilisation
Ces deux visions peuvent certes paraître quelque peu opposées, mais elles ne le sont pas entièrement. La perception potentiellement grandissante chez les employés que leur organisation ne s’investit pas suffisamment dans leur développement de compétences et de carrière reste simpliste. C’est l’approche et la responsabilité de chacun qui changent tout en demeurant cependant parfaitement cohérentes (certains diraient qu’elles le sont même plus) avec des facteurs de mobilisation bien connus.
Le modèle de Tremblay et Simard (2005) nous apporte une aide précieuse pour gérer ce changement. En effet, selon eux, cinq leviers clés existent pour mobiliser un employé :
- Confiance : l’organisation a confiance qu’ils ont ce qu’il faut pour prendre en charge cette responsabilité.
- Justice : plutôt que d’offrir des stratégies et des moyens de développement plus « sur mesure » qui en favorisaient parfois uniquement certains, l’organisation souhaite aujourd’hui démocratiser le développement en le rendant accessible à tous.
- Soutien : les outils sont là pour les appuyer dans leurs efforts de développement, et leur gestionnaire reste disponible, proactif et peut envisager des aménagements pour favoriser le développement.
- Reconnaissance : l’organisation peut prévoir des mécanismes concrets de reconnaissance pour valoriser les efforts de certains en ce sens.
- Pouvoir d’agir : les employés deviennent maîtres de leur destin professionnel en ce qui a trait à l’acquisition des compétences nécessaires pour de nouvelles responsabilités.
C’est peut-être là une des pistes de solution qui peut permettre à ces deux entités de trouver un terrain d’entente et de définir des attentes communes en matière de développement professionnel.
À propos de l’auteur
Antoine Devinat, CRHA, psychologue industriel et organisationnel et coach certifié PCC (Professional Certified Coach) par l’International Coach Federation, intervient à titre de consultant dans le domaine des ressources humaines depuis près de vingt ans. Ses champs d’expertise et d’intervention principaux sont l’évaluation et le développement des compétences de tous les niveaux de postes dans les organisations publiques, parapubliques et privées. On peut le joindre par courriel à adevinat@adnleadership.com.
Site web : www.adnleadership.com
Tremblay, M. et Simard, G. « La mobilisation du personnel : l’art d’établir un climat d’échanges favorable basé sur la réciprocité ». Gestion, vol. 30, no 2, été 2005.