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L’apprenant au cœur du transfert des apprentissages : nouvelles perspectives d’action

Depuis une vingtaine d’années, le transfert des apprentissages en milieu de travail constitue un enjeu majeur pour les gestionnaires de la formation en entreprise. Depuis le début des années 2000, on observe un plafonnement des investissements en formation au Canada. En même temps, les besoins de développement de la relève sont sans cesse croissants.

18 juin 2008
Jean-François Roussel, CRHA

Comme conséquence, les gestionnaires de la formation se font de plus en plus fréquemment questionner par leurs dirigeants au sujet des impacts de la formation dans leur entreprise.

Or, le rôle du transfert des apprentissages est crucial à ce chapitre. En effet, comment évaluer l’utilisation des apprentissages réalisés par l’apprenant dans ses tâches quotidiennes, viser l’amélioration de sa performance ou encore calculer la rentabilité de certains projets de formation, sans aborder le sujet du transfert?

Trop souvent cependant, les gestionnaires de la formation ont le réflexe de recourir au seul suivi du supérieur immédiat afin « d’assurer du transfert », comme s’il en constituait l’acteur clé. C’est pourtant l’apprenant qui se situe au cœur de la démarche de transfert! Dans ce contexte, et sans pour autant nier l’importance à accorder au suivi du supérieur immédiat en milieu de travail, placer l’apprenant aux commandes de son développement ouvre de nouvelles perspectives d’action!

Des résultats qui tardent à venir
Plusieurs recherches (Saks et Belcourt, 1997 et Saks, 2002) précisent que le transfert des apprentissages – déjà limité immédiatement après la formation – chute de façon importante par la suite. Ainsi, Holton et Baldwin affirment qu’aussi peu que 10 % des apprentissages réalisés en formation font l’objet d’un transfert durable en milieu de travail. Certaines statistiques soutiennent ce constat : une enquête menée en 2007 par le Conference Board du Canada auprès de 258 organisations canadiennes révèle que 47 % des employés estiment qu’ils appliquent en milieu de travail, immédiatement après la formation, les apprentissages qu’ils y ont réalisés, cette proportion baissant à 12 % après six mois et à 9 % un an plus tard.

Il apparaît ainsi qu’une proportion importante des budgets consentis en matière de formation « ne rapporte pas » véritablement. Il convient donc de parler d’un problème majeur relativement au transfert des apprentissages en contexte d’entreprise et de l’urgence d’agir en la matière.

Qu’est-ce que le transfert?
Mais avant d’agir, il importe de mieux comprendre de quoi il est question. Certains chercheurs, tels Cheng et Ho, qui se sont penchés sur la question du transfert ont été les premiers à admettre qu’ils devaient fonder leurs travaux sur des bases conceptuelles plus solides. Trop souvent, le transfert est vu comme une simple réutilisation de ce qui a été appris en formation, comme s’il s’agissait en quelque sorte de reproduire les apprentissages, un peu à la manière d’une photocopie. La réalité est pourtant beaucoup plus complexe.

En effet, dans un contexte où les environnements sont de plus en plus mouvants, reproduire les apprentissages ne suffit pas et mène rapidement à leur désuétude. Ainsi, il est en général inefficace de suggérer à l’apprenant de reproduire fidèlement en milieu de travail ce qu’il a appris en cours de formation!

Bien au contraire, un véritable transfert des apprentissages nécessite le plus souvent non pas une reproduction, mais bien une adaptation, une mise en contexte des apprentissages effectués. Les écrits les plus récents, ceux d’Haskell notamment, mettent l’accent sur le caractère adaptatif du transfert en insistant sur le fait qu’un véritable transfert nécessite de « recontextualiser » un apprentissage déjà réalisé.

En fait, le transfert nécessite de la part de l’apprenant un véritable processus de résolution de problème. Dans cette perspective, la formation doit non seulement porter sur les connaissances techniques à maîtriser, mais aussi instaurer une démarche qui permet à l’apprenant d’évaluer de façon continue ses apprentissages, les stratégies qu’il met en place afin de les réaliser et sa capacité à résoudre les problèmes en lien avec sa réalité de travail.

Pourtant cruciale, la démarche qui consiste à placer l’apprenant au cœur du processus de transfert est souvent négligée, faute de temps. À la lumière des résultats obtenus en matière de transfert, il apparaît légitime de se demander s’il ne faut pas faire moins de formation, mais la faire mieux!

Qu’est-ce qui favorise le transfert des apprentissages?
Trois grands groupes de facteurs viennent faciliter le transfert des apprentissages en entreprise. Ils sont respectivement liés aux caractéristiques individuelles de l’apprenant, à l’approche pédagogique employée et à l’environnement de travail.

  • Les caractéristiques de l’apprenant sont les éléments relatifs aux capacités cognitives, à la motivation ainsi qu’à la personnalité de l’apprenant.
  • L’approche pédagogique comprend les éléments relatifs aux pratiques pédagogiques ainsi qu’à la pertinence du contenu de la formation.
  • L’environnement de travail réfère au soutien donné par le supérieur immédiat et par les pairs, au climat de travail et à la possibilité d’utiliser les apprentissages réalisés durant la formation en contexte de travail.

Le transfert des apprentissages peut donc être facilité par un large éventail d’actions. De ces trois groupes de facteurs, celui qui concerne l’environnement de travail est probablement le plus connu et celui qui guide le plus grand nombre d’actions. Par contre, le groupe relatif à l’approche pédagogique est moins connu et demeure nettement sous-utilisé, bien qu’il se situe au cœur du métier et de l’action du formateur et qu’il place l’apprenant aux commandes de son développement. Dans un contexte où les attentes quant à la prise en charge de son développement professionnel sont croissantes, il importe de s’y arrêter.

Des pratiques pédagogiques qui favorisent le transfert
Plusieurs pratiques pédagogiques peuvent favoriser le transfert. Nous traiterons ici en priorité de pratiques liées à trois éléments principaux : la réalisation d’une analyse des besoins de formation, l’élaboration d’objectifs et de plans d’action et la présence de stratégies d’autorégulation (self management strategies).

La réalisation d’une analyse des besoins de formation
Le sujet n’est pas neuf, et pourtant… Une recherche récente de Arthur, Bennett, Edens et Bell souligne qu’une analyse de besoins est réalisée avant la mise sur pied d’une action de formation dans seulement 6 % des cas. Or, la pertinence perçue par les apprenants du contenu de la formation par rapport à leurs besoins et aux défis qu’ils relèvent en milieu de travail constitue un élément significatif relativement au transfert. Voilà un argument convaincant en faveur de la formation sur mesure!

L’élaboration d’objectifs et de plans d’action
De bonnes nouvelles de ce côté! Les recherches de Lee et Pucil et de Kontoghiorghes soulignent en effet que les apprenants qui ont une compréhension claire des connaissances et des actions attendues à la suite d’une formation s’estiment en mesure d’atteindre un degré de transfert plus élevé. Plus concrètement, des plans d’action comprenant des objectifs de transfert à court et à long termes, et non uniquement à long terme, s’avèrent plus efficaces pour favoriser le transfert; comme quoi il ne suffit pas d’indiquer la destination à atteindre, mais également de tracer le chemin pour y parvenir.

La présence de stratégies d’autorégulation
Les stratégies d’autorégulation sont des pratiques en émergence; elles visent à développer chez l’apprenant les habiletés nécessaires pour l’aider à transférer ses apprentissages. Une des habiletés prometteuses à cet égard est liée au développement de la métacognition, qui peut être définie comme suit : « des habiletés de planification, de contrôle et d’autorégulation […] comprenant la capacité d’un individu à déterminer les stratégies les plus appropriées afin de faciliter l’acquisition des connaissances et leurs utilisations potentielles » (Ford et Kraiger, 1995, p. 8). Il s’agit en fait d’amener l’apprenant à gérer son propre apprentissage, à le placer aux commandes!

Il existe des pratiques pédagogiques que le formateur peut utiliser pour développer chez l’apprenant la métacognition et favoriser le transfert. On peut en effet relier le développement de la métacognition à un processus graduel d’intériorisation et de personnalisation de l’apprenant. Structurées à partir de quatre étapes, soit le modelage, la pratique guidée, la pratique coopérative et la pratique autonome, elles précisent le rôle du formateur. Amorcé par ce dernier, ce processus d’intériorisation vise par la suite à être intégré de façon autonome au fonctionnement de l’apprenant. Le tableau ci-dessus illustre le processus.

Ces pratiques pédagogiques donnent au formateur de nouveaux leviers d’action. Elles permettent d’instaurer une démarche qui place l’apprenant au cœur du transfert, et ce, dès le début de la formation. De plus, l’acquisition d’habiletés métacognitives permet aux apprenants de pallier un manque de soutien plus formel du gestionnaire et des pairs en milieu de travail. En effet, le développement de ces habiletés amène les apprenants à rechercher par eux-mêmes des occasions d’apprentissage plus informelles. Il s’agit là d’un avantage considérable, dans un contexte où la responsabilisation constitue une réalité de gestion de plus en plus répandue. Cependant, il importe d’investir le temps et les ressources nécessaires afin d’aider les apprenants à bien développer leurs habiletés métacognitives.

Partenaires du transfert
Bien que ces différentes pratiques pédagogiques fournissent de nouvelles pistes d’action, la réussite d’une activité de formation, qui passe nécessairement par le transfert, nécessite un véritable partenariat dont les trois principaux acteurs demeurent l’apprenant, les spécialistes de la formation et le gestionnaire.

En effet, même si les recherches et les meilleures pratiques nous permettent d’identifier des solutions novatrices pour accroître l’autonomisation de l’apprenant à l’égard de son développement, la présence du gestionnaire et le soutien qu’il apporte au transfert demeurent l’une des clés de la réussite d’une action de formation. En ce sens, quoiqu’il soit possible d’alléger la tâche du gestionnaire à cet égard, son implication demeure fort nécessaire.

ÉTAPES DE RÉALISATION DESCRIPTION QUELQUES ACTIONS À RÉALISER PAR LA FORMATEUR
1-Modelage Le formateur expert offre un modèle imitable qu’il verbalise et commente.
  • Aider les participants à activer leurs connaissances antérieures reliées à leurs apprentissages et à leurs expériences.
  • Donner non seulement des exemples, mais « se donner en exemple » en réalisant l’activité d’apprentissage, en communiquant ses croyances, ses questionnements, etc.
2-Pratique guidée Le formateur expert guide le participant en portant un regard critique et l’invite à verbaliser sa façon de faire.
  • Aider les participants :
    • à se fixer des objectifs et des buts personnels;
    • à clarifier leurs façons de faire dans le cadre de différentes situations d’apprentissage.
  • Donner une rétroaction aux participants sur ces façons de faire.
3-Pratique coopérative L’apprenant est amené à verbaliser sa façon de faire, mais cette fois le regard critique est porté par les pairs.
  • Favoriser la rétroaction des pairs sur les façons de faire.
  • Favoriser le partage des apprentissages réalisés en formation ayant fait l’objet
    d’un transfert en milieu de travail et des impacts produits.
  • Favoriser le partage des difficultés éprouvées à l’égard du transfert et des moyens mis en œuvre afin de les contrer.
4-Pratique autonome L’apprenant est amené à utiliser ses apprentissages dans le cadre de son travail et à évaluer ses compétences.
  • Aider le participant à identifier des pistes de développement dans le cadre de son travail.
  • Aider le participant à déterminer comment ses apprentissages pourraient être utilisés dans un contexte de travail.
  • Aider le participant à trouver un sens aux différents apprentissages réalisés, en lien avec ses objectifs et ses buts personnels.

Jean-François Roussel, CRHA, Ph. D., professeur en gestion de la formation, Université de Sherbrooke – campus de Longueuil
Adapté de Lafortune, Jacob et Hébert, 2003.

Source : Effectif, volume 11, numéro 3, juin/juillet/août 2008.


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Jean-François Roussel, CRHA