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La reconnaissance de la COVID-19 à titre de lésion professionnelle : où en sont rendus les tribunaux?

Exposé sommaire de l’état de la jurisprudence actuelle quant à la reconnaissance de la COVID-19 à titre de lésion professionnelle.
7 septembre 2022
Me Mikaël Maher, CRIA

Désormais entièrement déconfinés et à toute fin pratique sans mesure obligatoire de protection contre la COVID-19, nous commençons à peine à voir jaillir des décisions dans la jurisprudence quant à la reconnaissance ou non de ce virus à titre de lésion professionnelle. Certains décideurs n’hésitent pas à reconnaître ce virus à titre de lésion professionnelle, alors que d’autres, évidemment à la lumière des faits mis en preuve, sont plutôt d’avis qu’il n’est pas possible de relier selon la prépondérance de preuve ce virus à l’exercice du travail effectué par l’employé réclamant. Dans le présent article, nous aborderons certaines décisions récentes ayant traité de la question et tenterons d’identifier certaines données utiles ayant été considérées par les tribunaux afin de trancher la question suivante : la COVID-19 constitue-t-elle une lésion professionnelle au sens de la Loi sur les accidents de travail et les maladies professionnelles (la « LATMP »)?

LA COVID-19 À TITRE DE LÉSION PROFESSIONNELLE

Dans l’affaire Arbour-Trépanier et Ambulances St-Gabriel[1], la COVID-19 a été reconnue à titre de lésion professionnelle. En effet, la travailleuse exerce l’emploi de technicienne ambulancière et elle est appelée à travailler dans des situations d’urgence avec des personnes blessées ou malades. En décembre 2020, cette dernière réalise un test de dépistage qui s’avère positif : elle est atteinte de la COVID-19. Une décision initiale de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (la « CNESST ») détermine que dans cette situation, la COVID-19 ne constitue pas une lésion professionnelle. Cette décision est d’ailleurs confirmée par l’instance de la révision administrative de la CNESST. Cette dernière décision est contestée par la travailleuse devant le Tribunal administratif du travail (le « TAT »), lequel conclut finalement que la travailleuse a subi une lésion professionnelle.

La travailleuse devait, par la prépondérance des probabilités[2], démontrer que la COVID-19 a été contractée au travail dans le cadre d’un événement imprévu et soudain, ou qu’elle est reliée aux risques particuliers de son travail. La preuve démontre que de façon contemporaine à l`apparition de ses premiers symptômes, la travailleuse a rencontré quelques situations au travail où les directives de distanciation sociale émises par la Santé publique du Québec n’ont pas été respectées, telles que des contacts prolongés avec des personnes blessées à moins de deux mètres. La travailleuse affirme que les règles de distanciation sociale ont été respectées dans sa vie personnelle, ce qui a été considéré probant par le TAT en raison des mesures de confinement strictes qui étaient en vigueur en décembre 2020.

Cette dernière est évidemment incapable de prouver qu’elle a été assurément infectée par le fait ou à l’occasion de son travail par la COVID-19, mais le TAT est tout de même d’avis que cela n’est pas suffisant pour rejeter sa contestation – il suffit pour le TAT d’évaluer si les probabilités qu’elle ait contracté le virus au travail sont supérieures aux probabilités qu’elle l’ait contracté à l’extérieur de son milieu de travail. Or, selon la preuve offerte dans cette affaire, il est davantage probable qu’elle ait été infectée au travail plutôt que dans sa sphère personnelle, de sorte que le TAT conclut qu’elle a été victime d’une lésion professionnelle dont le diagnostic est la COVID-19.

Dans l’affaire Imbert et CHSLD Âge3 inc.[3], une préposée aux bénéficiaires contracte la COVID-19 en mai 2020, menant ainsi à un arrêt de travail d’une durée de trois semaines. L’argument principal avancé par la travailleuse est à l’effet qu’il y a eu une importante éclosion de COVID-19 dans le CHSLD où elle travaille au printemps 2020, soit de façon concomitante à son test de dépistage positif. Encore une fois, dans cette affaire, la travailleuse doit faire la preuve que la COVID-19 découle d’un événement imprévu et soudain survenu au travail ou que la maladie est reliée aux risques particuliers de son poste de préposée aux bénéficiaires dans ce CHSLD.

La travailleuse met en preuve qu’elle a limité ses contacts personnels au strict minimum en raison du contexte épidémiologique de mars 2020. Elle témoigne également à l’effet qu’elle a dû passer plus de temps au travail, le tout dans un contexte de pénurie d’équipement de protection individuelle. Étant donné sa bonne forme physique et de son jeune âge, elle a également eu à travailler davantage dans les « zones chaudes ». Le TAT conclut, à la lumière des faits mis en preuve par la travailleuse, qu’il est plus probable qu’improbable que la travailleuse ait contracté le virus dans son milieu de travail. De plus, le TAT mentionne que le métier de préposé aux bénéficiaires comporte des risques particuliers qui sont étroitement liés au fait de contracter le virus. Ainsi, le TAT conclut que la travailleuse a été victime d’une lésion professionnelle en raison de son infection à la COVID-19.

Dans les deux décisions précitées, deux éléments clés sont retenus par le TAT dans son évaluation quant à savoir si la COVID-19 peut constituer une lésion professionnelle :

  • le fait que les travailleuses aient limité leurs contacts sociaux et;
  • le fait qu’elles aient été exposées au virus en raison des risques particuliers liés à leur métier dans le milieu de la santé.

En raison de ce qui précède, la TAT a déterminé que les probabilités que les travailleuses aient contracté la COVID-19 dans leur vie personnelle sont moins élevées que les probabilités qu’elles aient contracté le virus au travail, concluant ainsi qu’elles ont droit aux bénéfices de la LATMP.

REFUS D’ADMISSIBILITÉ DE LA COVID-19 À TITRE DE LÉSION PROFESSIONNELLE

À l’inverse des décisions précitées, le TAT, dans l’affaire Lemay et Centre de services scolaire des Premières-Seigneuries[4], refuse l’admissibilité d’un diagnostic de COVID-19 à titre de lésion professionnelle. Dans cette affaire, une enseignante au secondaire teste positive à la COVID-19 quelques semaines seulement après la rentrée scolaire. La CNESST, en première instance, refuse la réclamation de la travailleuse qui tente de faire valoir qu’elle a subi une lésion professionnelle. L’instance de la révision administrative de la CNESST confirme également cette décision, de sorte que l’affaire est portée devant le TAT.

L’enseignante soutient que les risques particuliers de son travail l’exposent à la COVID-19 en raison du nombre élevé d’élèves qu’elle côtoie dans différents endroits au cours d’une journée. L’employeur est d’avis que selon la balance des probabilités, la travailleuse n’a pas démontré qu’il est plus probant qu’elle ait été exposée au virus dans son milieu de travail qu’ailleurs. Le TAT prend en considération qu’en septembre 2020, les mesures de distanciation émises par la santé publique étaient moins sévères, que la travailleuse a eu des contacts sociaux et qu’elle a fréquenté des commerces, ce qui pèse dans la balance des probabilités. Effectivement, la travailleuse a, dans les jours précédant ses premiers symptômes, participé à une activité de plein air avec son fils et son ex-conjoint, tout comme elle a fait des courses dans certains commerces. Elle a aussi reçu ses beaux-parents à la maison.

La travailleuse n’a pas démontré que la source de contamination provient de son milieu de travail, ce qu’elle aurait pu faire à l’aide de faits objectifs en soutenant, par exemple, qu’un bon nombre d’enseignants dans l’établissement ont été infectés par la COVID-19. Au contraire, aucun cas de COVID-19 n’a été répertorié jusqu’au 13 septembre 2020, soit quatre jours après le début de ses symptômes. Au surplus, les mesures de protection mises en place à son travail sont importantes. Le TAT mentionne finalement que la preuve médicale est bien mince et que ce fardeau de preuve incombait à la travailleuse. Ainsi, le TAT conclut que la travailleuse n’a pas subit une lésion professionnelle en raison de son infection à la COVID-19.

Dans ce contexte, les éléments qui militent pour le refus de la réclamation de la travailleuse sont les suivants :

  • L’absence d’un foyer d’infection dans le milieu de travail immédiat de la travailleuse;
  • Le fait qu’en contexte d’allégement des mesures de distanciation sociale, cette dernière ait eu des contacts sociaux répétés à l’extérieur du milieu de travail, et ce de façon prolongée.

CE QU’IL FAUT RETENIR

Il est fréquent dans le contexte épidémiologique actuel pour un employeur d’avoir des employés qui contractent la COVID-19. Dans les décisions précitées, le contexte dans lequel les travailleuses ont été infectées à la COVID-19 était déterminant afin d’arriver à la conclusion que le virus constitue ou non une lésion professionnelle. En effet, dans les décisions où le TAT a conclu à une lésion professionnelle, les contacts sociaux à l’extérieur du travail étaient limités, alors qu’au contraire, ces contacts étaient présents et prolongés lorsque le TAT refusait la réclamation pour lésion professionnelle. Le milieu de travail en question est également analysé par le TAT.

Ainsi, avec les mesures de déconfinement qui se sont déployées au cours des derniers mois, il sera évidemment de plus en plus difficile pour un employé de démontrer par la prépondérance des probabilités que le virus a été contracté dans son milieu de travail et non pas dans sa sphère personnelle. Ceci étant, il reste important de bien documenter les cas positifs déclarés au travail et d’assurer un milieu de travail sain et sécuritaire.


Author
Me Mikaël Maher, CRIA Avocat Fasken

Source : Vigie RT, septembre 2022

1 Arbour-Trépanier et Ambulances St-Gabriel, 2022 QCTAT 2147
2 En clair, un degré raisonnable de certitude constitue un degré de probabilité qui se situe à 50%+1
3 Imbert et CHSLD Âge3 inc., 2022 QCTAT 1440
4 Lemay et Centre de services scolaire des Premières-Seigneuries