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Décisions récentes en matière de santé et de sécurité du travail

Chaque année, plusieurs jugements sont rendus en matière de droit pénal de la santé et de la sécurité du travail. Ces jugements font suite à des constats d’infraction émis en vertu des articles 236 et 237 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail[1] (« LSST »).

29 janvier 2014
Élodie Brunet et Guy Lavoie, CRIA

Les jugements faisant suite à des accusations de négligence criminelle dans un contexte de santé et de sécurité du travail sont cependant plus rares. Même si l’entrée en vigueur des articles du Code criminel[2] ayant pour effet de faciliter le dépôt d’accusations de négligence criminelle date maintenant de presque dix ans[3], les déclarations de culpabilité à l’infraction de négligence criminelle faisant suite à un manquement à l’article 217.1 du Code criminel se comptent encore sur les doigts de la main au Québec[4].

La plus importante condamnation à l’échelle canadienne est encore très récente : il s’agit de celle d’une entreprise de construction par la Cour d’appel de l’Ontario, le 4 septembre 2013[5], soit dans l’affaire R. v. Metron Construction Corporation (Metron).

Dans le présent article, nous résumons certaines notions applicables et attirons votre attention sur quelques jugements d’intérêt rendus au cours de l’année 2013 en matière de droit pénal et criminel de la santé et de la sécurité du travail.

Quelques notions applicables en matière de droit pénal et criminel de la santé et de la sécurité du travail

Les articles 236 et 237 de la LSST contiennent les principales infractions en matière de droit pénal de la santé et de la sécurité du travail.

Brièvement, l’infraction figurant à l’article 236 de la LSST prévoit que quiconque contrevient à la LSST ou à ses règlements, refuse de se conformer à une décision ou à un ordre rendu en vertu de cette loi ou de ses règlements, ou incite une personne à ne pas s’y conformer, commet une infraction et est passible d’une amende dont les montants varient. Par exemple, pour l’année 2013[6], ils étaient établis comme suit :

  • Pour une personne physique :
    • pour une première infraction, entre 628 $ et 1 570 $;
    • pour une récidive, entre 1 570 $ et 3 140 $;
    • pour toute récidive additionnelle, entre 3 140 $ et 6 279 $.
  • Pour une personne morale :
    • pour une première infraction, entre 1 570 $ et 3 140 $;
    • pour une récidive, entre 3 140 $ et 6 279 $;
    • pour toute récidive additionnelle, entre 6 279 $ et 12 558 $.

Dans l’article 237 de la LSST, on énonce que quiconque, par action ou par omission, agit de manière à compromettre directement et sérieusement la santé, la sécurité ou l’intégrité physique d’un travailleur commet une infraction et est passible d’une amende dont les montants varient. Par exemple, pour l’année 2013[7], ils étaient établis comme suit :

  • Pour une personne physique :
    • pour une première infraction, entre 1 570 $ et 3 140 $;
    • pour une récidive, entre 3 140 $ et 6 279 $;
    • pour toute récidive additionnelle, entre 6 279 $ et 12 558 $.
  • Pourune personne morale :
    • pour une première infraction, entre 15 698 $ et 62 790 $;
    • pour une récidive, entre 31 395 $ et 156 976 $;
    • pour toute récidive additionnelle, entre 62 790 $ et 313 951 $.

Les amendes prévues aux articles 236 et 237 de la LSST sont revalorisées le 1er janvier de chaque année[8]. Il va sans dire que l’augmentation des amendes depuis 2009 démontre la volonté du législateur à faire en sorte que le volet de la santé et la sécurité des travailleurs soit pris au sérieux par les employeurs.

Afin d’obtenir une condamnation à l’une ou à l’autre de ces infractions, la Commission de la santé et de la sécurité du travail (« CSST ») a le fardeau de démontrer hors de tout doute raisonnable les éléments essentiels de celles-ci, lesquelles sont de responsabilité stricte[9].

En matière de droit criminel de la santé et de la sécurité du travail, l’article 217.1 du Code criminel crée un devoir à « quiconque dirige l’accomplissement d’un travail ou l’exécution d’une tâche ou est habilité à le faire de prendre les mesures voulues pour éviter qu’il n’en résulte de blessure corporelle pour autrui ». L’employeur qui manque à ce devoir peut être considéré comme « avoir omis de faire quelque chose » qu’il était de son devoir d’accomplir au sens de l’article 219 du Code criminel et peut être accusé de négligence criminelle conformément à cet article. Les peines imposables reflètent la gravité intrinsèque d’une telle infraction[10]. Notamment, un individu accusé de négligence criminelle ayant causé la mort est passible d’emprisonnement à perpétuité[11]. Pour les organisations, le montant des amendes en cas de condamnation est sans limites[12].

Jugements d’intérêt rendus au cours de l’année 2013
En matière de droit pénal, l’affaire Commission de la santé et de la sécurité du travail c. Dollorama, s.e.c.[13] retient notre attention, car elle met en évidence le « vide » dans lequel les sociétés en commandite se trouvent lorsqu’il est question de déterminer le montant de l’amende applicable en cas de déclaration de culpabilité à l’une ou à l’autre des infractions prévues aux articles 236 et 237 de la LSST.

Dans cette affaire, la Cour d’appel devait déterminer si une société en commandite coupable de l’infraction prévue à l’article 236 de la LSST était passible des peines applicables aux personnes morales prévues à celui-ci ou d’une autre peine. Cette question découlait du fait qu’en droit québécois, une société en commandite n’est pas « une personne morale »[14]. La Cour conclut que l’article 236 de la LSST n’est pas ambigu et établit une dichotomie claire entre la personne physique et la personne morale; la société en commandite n’est ni l’une ni l’autre. Elle maintient le jugement de la Cour supérieure[15], lequel conclut que, malgré le vide juridique dans la LSST quant à la peine à infliger à une société en commandite, celle-ci n’est pas absoute pour autant, puisque le Code de procédure pénale[16] prévoit expressément la peine qui doit être imposée dans un tel cas (laquelle est cependant moindre que celles prévues à la LSST[17]).

La Cour d’appel du Québec a rendu une autre décision le 29 octobre 2013 dans l’affaire Commission de la santé et de la sécurité du travail c. Coffrages CCC ltée[18], où il est question de l’article 237 de la LSST. Dans cette décision, elle infirme le jugement de la Cour supérieure acquittant l’entreprise et rétablit le jugement de la Cour du Québec la déclarant coupable de l’infraction en question[19]. La Cour du Québec avait statué que, bien que le site respectait la réglementation, les conditions d’exercice de certaines tâches étaient non sécuritaires et l’équipement inadéquat. De plus, le travailleur n’avait reçu aucune formation. La situation présentait donc un danger de blessures graves, lequel était « facilement prévisible ». La matérialisation du danger était « quasi certaine ».

En matière de droit criminel, le 4 septembre 2013, la Cour d’appel de l’Ontario a condamné une entreprise de construction à une amende de 750 000 $ pour négligence criminelle ayant causé la mort[20]. Il s’agit de l’appel du jugement de première instance dans l’affaire Metron condamnant l’entreprise à une amende de 200 000 $, après que celle-ci ait plaidé coupable à l’infraction de négligence criminelle ayant causé la mort. Cette affaire fait suite à l’effondrement d’un échafaudage situé au 14e étage d’un édifice le 24 décembre 2009, lequel a notamment causé la mort d’un superviseur et de trois employés. Puisque le Code criminel s’applique à travers le Canada, cette décision est tout à fait pertinente pour les employeurs québécois.

Dans cette affaire, la Cour d’appel de l’Ontario a conclu que l’amende imposée en première instance était manifestement inappropriée. Selon la Cour d’appel, le juge de première instance a accordé une trop grande importance aux précédents en matière d’amendes imposées dans le cadre d’infractions aux lois relatives à la santé et à la sécurité du travail. Ce faisant, il n’a pas considéré le plus grand degré de culpabilité inhérent à toute condamnation criminelle. De plus, la gravité intrinsèque de l’infraction de négligence criminelle ayant causé la mort doit être considérée. Puisque l’article du Code criminel relatif aux amendes imposées aux organisations ne prévoit aucune limite et n’impose pas au tribunal de considérer leur capacité de paiement, la viabilité économique de l’entreprise n’est pas un facteur décisif pour la détermination du montant de l’amende.

La Cour d’appel ajoute qu’une amende de 200 000 $ ne reflète aucunement le degré de gravité d’une condamnation pour négligence criminelle ayant causé la mort, ni les circonstances particulièrement graves de cette affaire, ni les conséquences sérieuses sur les victimes et leurs familles. La négligence du superviseur, pour laquelle cette entreprise est criminellement responsable, était « extrême ».

Ce jugement de la Cour d’appel de l’Ontario est le premier d’une instance d’appel sur le sujet et est particulièrement éclairant quant aux critères qui doivent guider les tribunaux en matière de détermination de la peine pour une infraction de négligence criminelle survenue dans le contexte d’un accident du travail. Il s’agit également de la plus importante amende imposée à une entreprise coupable de négligence criminelle ayant causé la mort, la précédente étant de 100 000 $ en 2008 [21].

Conclusion
Nous considérons la décision de la Cour d’appel dans l’affaire Metron comme particulièrement marquante en 2013. La révision d’une amende à la hausse pour une somme presque trois fois plus élevée que celle à laquelle l’entreprise avait été condamnée s’inscrit dans la tendance claire des différents « agents coercitifs » de l’État vers une tolérance moindre et une sévérité accrue envers les employeurs contrevenants.

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Source : VigieRT, janvier 2014.


1 L.R.Q., c. S-2.1.
2 L.R.C. 1985, c. C-46.
3 Le projet de loi C-45 (Loi modifiant le Code criminel [responsabilités pénales des organisations], sanctionné le 7 novembre 2003, 2e sess., 37e légis. [Can.]) est entré en vigueur le 31 mars 2004.
4 Il s’agit des affaires R. c. Transpavé, 2008 QCCQ 1598, où l’entreprise a été condamnée à une amende de 110 000 $ et R. c. Scrocca, 2010 QCCQ 8218, où l’employeur, une personne physique, a été condamné à une peine d’emprisonnement avec sursis de deux ans moins un jour avec une sur amende de 100 $. Notons que dans l’affaire R. c. Gagné, 2010 QCCQ 12364, les accusés, deux personnes physiques, ont été acquittés.
5 R. v. Metron Construction Corporation, 2013 ONCA 541 (Metron).
6 Ces montants sont les valeurs suggérées par la CSST dans son guide Cadre d’émission des constats d’infraction, 22 février 2013, DC 200-1053-3, en ligne : www.csst.qc.ca/publications/200/Documents/DC200_1053web.pdf et seront révisés pour l’année 2014 en février 2014.
7 Id.
8 LSST, article 237.1.
9 Les infractions de responsabilité stricte n’obligent pas la CSST à démontrer l’existence d’une « intention » de commettre l’infraction (mens rea). L’accomplissement de l’acte visé par l’infraction comporte la présomption que celle-ci a été commise (R. c. Sault Ste-Marie [1978], 2 R.C.S. 1299).
10 Notons que la peine, en droit pénal réglementaire, n’a pas le même objectif qu’en droit criminel. En droit pénal réglementaire de la santé et sécurité du travail, « une peine a pour but premier d’assurer le respect de la loi et la prévention des infractions »; elle doit avoir un effet « dissuasif » (Commission de la santé et de la sécurité du travail c. 9189-5201 Québec inc. [Monsieur Filiatreault Couvreur], 2013 QCCQ 14262). En droit criminel, la peine revêt plutôt un caractère punitif et récriminatoire (Metron, préc., note 5, par. 75 à 80).
11 Code criminel, article 220 b).
12 Id., article 735.
13 2013 QCCA 336.
14 Code civil du Québec, L.Q. 1991, c. 64, article 2188.
15 2011 QCCS 5630.
16 Chapitre C-25.1.
17 Jugement de la Cour supérieure, préc., note 15, par. 46 à 49.
18 2013 QCCA 1875.
19 2012 QCCS 5737.
20 Metron, préc., note 5.
21 R. c. Transpavé inc., préc., note 4.

Élodie Brunet et Guy Lavoie, CRIA