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Retour au travail après un épuisement professionnel - Enjeux et défis pour les gestionnaires

Le retour au travail d’un employé qui a subi un épuisement professionnel ne s’improvise pas. Cette étape, à laquelle on ne porte pas toujours toute l’attention nécessaire, est pourtant un facteur déterminant pour la suite des choses, notamment en ce qui a trait aux risques de rechute. Préparation, planification et suivi adéquat sont les clés pour que cette période cruciale soit couronnée de succès.

2 octobre 2013
Emmanuelle Gril

Rencontre préalable et maintien du contact


Selon le docteur Serge Marquis, médecin consultant en santé mentale au travail, plusieurs éléments peuvent rendre le retour au travail difficile après un burnout. « L’employé éprouve souvent de la crainte, car s’il a été absent pendant une longue période, des changements ont pu intervenir. Il a donc peur que ces modifications n’aient affecté son travail et craint de ne plus être capable d’accomplir ses tâches », explique-t-il.

« Lorsque les gens s’absentent du travail pendant un certain temps, ils éprouvent généralement un peu d’appréhension, craignant de ne plus pouvoir bien fonctionner à nouveau », confirme Louise St-Arnaud, professeure et directrice de la Chaire sur l’intégration professionnelle et l’environnement psychosocial de travail de l’Université Laval.

L’une des façons de réduire ou d’éliminer ce stress est de rencontrer l’employé avant son retour au travail. « Le supérieur immédiat est la personne la mieux placée pour l’aider. Si possible, on organise une rencontre une à deux semaines avant que l’employé soit réintégré. Cela permet notamment d’informer le travailleur des changements qui ont pu intervenir durant son absence », ajoute Serge Marquis. Réorganisation du travail ou du poste, embauche ou compression de personnel… de tout cela, l’employé devra être informé.

Mylène Grégoire, CRHA, fondatrice associée d’Équinova, firme spécialisée en ressources humaines, et coauteure de l’ouvrage À la santé de votre retour au travail, abonde dans le même sens : « Planifier une rencontre avec le supérieur avant le retour au travail permet de briser la glace et facilite les choses ». La clarification du rôle, des tâches, des responsabilités et des objectifs de rendement sont également des éléments clés à aborder, poursuit-elle.

Brigitte Marcoux, CRIA, conseillère principale, gestion de la présence au travail, promotion de la santé chez SSQ Groupe financier, estime pour sa part qu’en amont de cette rencontre préalable, il est essentiel d’avoir maintenu un contact avec l’employé durant toute la période d’invalidité, afin de préserver un lien de confiance. Elle connaît bien la question puisqu’elle agit à titre de conseillère auprès des organisations assurées par SSQ, et les aide à implanter de bonnes pratiques. « Si on coupe la communication, on ne crée pas de conditions favorables au retour au travail », souligne-t-elle. Concrètement, le gestionnaire pourrait par exemple envoyer une carte ou téléphoner à l’employé pour lui demander comment il se porte, et l’assurer de son soutien s’il en éprouve le besoin. Mylène Grégoire abonde dans le même sens et ajoute que cette attitude permettra de plus au travailleur de reprendre confiance en ses moyens.

C’est également l’approche qui est préconisée par Nadine Carrier, CRHA, chef d'équipe et conseillère, santé et mieux-être du Service de la santé et de la sécurité au travail à la Sûreté du Québec. « Maintenir le lien avec l’employé absent est essentiel afin que celui-ci sente qu’il fait toujours partie de l’équipe. Échanger avec lui et lui donner des nouvelles de ses collègues est un bon moyen d’y parvenir, lorsque la situation le permet », recommande-t-elle.

Cette prise de contact permet aussi de s’informer sur la façon dont l’employé aimerait que son retour se déroule et lui donne l’occasion de participer aux décisions qui le concernent. Souhaite-t-il qu’on souligne sa réintégration par un dîner ou préfère-t-il plutôt que son retour se fasse discrètement? Est-il prêt à aborder avec ses collègues les raisons qui ont conduit à son arrêt de travail ou pas? « Certaines personnes préfèrent en parler, d’autres non. En le sachant à l’avance, on pourra mieux préparer l’arrivée de la personne dans l’entreprise », indique Brigitte Marcoux.

Préparer les collègues
Autre point important à considérer : les collègues de travail ne devraient pas être laissés dans l’ignorance. Les experts consultés recommandent fortement de les rencontrer avant le retour de l’employé. « Cela permet d’éliminer les perceptions négatives que l’équipe pourrait avoir à l’endroit de l’employé qui était en arrêt de travail », affirme madame Marcoux.

À ce chapitre, le supérieur immédiat a un rôle essentiel à jouer, selon Serge Marquis. « L’image que l’équipe garde du collègue de travail est souvent négative, car avant son départ en invalidité, une personne en situation d’épuisement professionnel est généralement irritable. Elle est démotivée et a perdu tout intérêt pour son emploi. C’est au supérieur d’expliquer qu’il a pris des nouvelles de la personne, que celle-ci a changé, qu’elle s’est reposée et a refait ses forces », fait-il valoir.

Selon le docteur Marquis, il est impératif de briser les préjugés et les stéréotypes concernant l’épuisement professionnel. « Les gens pensent souvent que la personne est faible, qu’elle est fragile et qu’elle ne sera plus jamais capable de travailler comme avant. Ils peuvent aussi réagir en surprotégeant la personne ou en l’ignorant, ce qui dans les deux cas n’est pas une bonne attitude. La personne qui revient au travail doit sentir qu’elle est membre à part entière de l’équipe et, à ce chapitre, le soutien social est très précieux. »

Pour prévenir les difficultés, le gestionnaire devrait donc demander aux membres de l’équipe comment ils voient le retour de l’employé, afin que chacun puisse exprimer ses inquiétudes et que celles-ci soient évacuées. « Il faut communiquer la date du retour de l’employé à ses collègues, tout en favorisant une attitude positive à son égard, ce qui passe par le soutien, le renforcement positif et la reconnaissance. L’accueil chaleureux et l’empathie sont aussi à mon avis, toujours gagnants », conseille pour sa part Mylène Grégoire.

Josée Colavecchio, vice-présidente des opérations chez Solareh, une firme qui dispense des services de santé et d’employabilité, recommande aussi d’expliquer à l’équipe dans quelles conditions s’effectuera le retour au travail. « Il faut leur indiquer quand leur collègue va revenir, mais aussi quel sera son horaire et quelles seront ses tâches, afin que tout le monde soit en mode collaboration et non en mode résistance. C’est une bonne façon de gérer les perceptions négatives et cela facilite le retour d’un employé qui pourrait être craintif par rapport à la réaction de ses collègues de travail », explique-t-elle.

Le premier jour : ne rien laisser au hasard
La journée du retour devra avoir été prévue et organisée à l’avance. Une étape indispensable, indique Louise St-Arnaud. « La première semaine au travail est souvent difficile, affirme-t-elle, et encore davantage si les modalités de retour n’ont pas été planifiées. J’ai déjà vu par exemple des cas où l’employé n’avait même plus de bureau parce qu’il était parti pendant un an. Il faut y voir, afin qu'il n’ait pas le sentiment d’être un chien dans un jeu de quilles! On aura aussi prévu ses tâches ainsi que la redistribution de celles qu’il n’accomplira pas pour commencer. » Cet élément est particulièrement important dans la mesure où il faut éviter que l’employé ressente une pression ou éprouve de la culpabilité par rapport au travail qu’il n’est pas encore capable de réaliser.

Brigitte Marcoux précise que le travailleur peut aussi émettre le souhait d’être accompagné par son gestionnaire au moment de l’accueil, ce qui devra être prévu. En tout état de cause, ce sont des éléments qu’il faudra éclaircir avec l’employé lui-même avant qu’il ne rentre au travail, afin que la transition s’effectue en douceur.

Idéalement, à la fin de la première journée, le gestionnaire devrait rencontrer son employé pour faire un bilan. « Il faut évaluer avec lui si la tâche est trop lourde ou si des ajustements sont nécessaires. C’est une démarche très positive pour la personne qui sent alors qu’on lui accorde du temps, qu’on l’encadre et qu’elle est importante pour l’entreprise. Cela permet également de faire le point sur les attentes et le livrable, car l’objectif ultime est de favoriser le rétablissement de la santé de l’individu », ajoute madame Marcoux.

Un suivi à ne pas négliger
Une fois le retour au travail effectué, il faut assurer un suivi. Il devra être réalisé à intervalles réguliers, par exemple chaque semaine pendant quelques mois. « Cela dépend des cas. Nous pouvons suivre certaines personnes pendant un an et plus si nécessaire, mais la plupart du temps la moyenne est de trois mois », indique Nadine Carrier. Josée Colavecchio recommande aussi un échange régulier avec l’employé pendant les mois qui suivent le retour. « Cela permet notamment de s’assurer que les modalités mises en place pour le retour au travail sont respectées. Un suivi étroit aide également à réagir rapidement si nécessaire. »

« Le sentiment d’incompétence du travailleur qui retrouve son emploi après une longue période peut être grand; il faut donc bien l’encadrer, recommande Brigitte Marcoux. D’où l’importance de vérifier avec lui si une formation ou une mise à niveau est requise, surtout s’il y a eu des changements dans les tâches ou les méthodes de travail. »

La désignation d’une personne à qui l’employé pourra se référer en cas de besoin contribue d’ailleurs à le rassurer et à réduire son niveau de stress, souligne par ailleurs Mylène Grégoire.

Ces investissements en temps et en énergie ne sont pas vains, car plus le retour au travail sera bien planifié et encadré, plus il aura de chance de réussir. Dans le cas contraire, les risques de rechute s’accroissent, remarque Nadine Carrier : « Après un deuxième arrêt de travail, le retour sera plus difficile. À la troisième absence, les possibilités que l’employé puisse récupérer son plein potentiel diminuent. Plus on mettra en place des conditions favorables lors du premier retour au travail, plus l’employé et aussi l’équipe en retireront des bénéfices. »

Au bout du compte, cette démarche peut aussi constituer un gain. « Les personnes qui ont été bien accompagnées éprouvent ensuite de la reconnaissance envers leur entreprise et développent un plus grand sentiment d’appartenance à son égard. Elles se sentent utiles, valorisées, ce qui est une très bonne chose pour la rétention de la main-d’œuvre au sein d’une organisation », fait valoir Brigitte Marcoux.

Dans sa globalité, cette expérience peut d’ailleurs avoir des retombées qui vont bien au-delà du simple individu. « Si un employé a subi un épuisement professionnel, ses collègues sont peut-être à risque eux aussi. Il est donc très important d’en profiter pour analyser les facteurs qui pourraient affecter les autres employés. Lorsqu’on déploie une démarche qui remet le travail en question, on peut engager l’ensemble de l’équipe dans le processus. On adopte dès lors une pratique de prévention, ce qui est bénéfique pour tous en fin de compte », conclut Louise St-Arnaud.

Emmanuelle Gril, journaliste indépendante

Source : Effectif, volume 16, numéro 4, septembre/octobre 2013.


Emmanuelle Gril