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Dépression et conflits au travail : briser le cercle vicieux

Il existe une idée très répandue et bien documentée selon laquelle les conflits au travail peuvent générer un niveau de stress assez élevé pour déclencher chez bon nombre d’individus des symptômes de dysfonctionnement psychologique et parfois même une dépression. Toutefois, il est plus rare que l’on porte attention à l’équation inverse : les problèmes de santé mentale (dépression) de certains individus, qui ne quittent pas le travail, peuvent être la source de relations conflictuelles avec leurs collègues ou supérieurs immédiats. J’ai souvent constaté dans ma pratique, et plusieurs recherches le confirment, que personnes atteints de dépression ont tendance à entrer dans un mode de négativité qui se reflète dans leurs relations interpersonnelles.  

2 avril 2012
André Garceau, CRHA

Qu’est-ce qui peut expliquer cette tendance?

La dépression est caractérisée par des pensées négatives et un système de traitement de l’information biaisé. Les personnes qui souffrent de ce mal-être ont donc tendance à induire chez les autres des affects négatifs qui conditionnent les réponses de ces derniers à leur endroit. Ainsi, les non-dépressifs qui côtoient des personnes atteintes de dépression peuvent en arriver à se sentir à leur tour déprimés, anxieux, hostiles et enclins à rejeter les autres (Coyne,1976, Sacco, 1999).  

Cela dit, on devrait éviter le plus possible de se désengager de toutes perspectives de solution des conflits sous prétexte que la condition pathologique des personnes souffrant de dépression génère par définition des situations difficiles avec leur entourage. Il est important de toujours garder à l’esprit que les collègues jouent un rôle  important dans l’équation, que si leur humeur écope de leurs relations avec les personnes dépressives, ils n’ont néanmoins pas de conditions pathologiques et ils devraient donc être plus conciliants.  

C’est ici que le problème se corse, car peu de gens comprennent et réalisent vraiment la nature des comportements dysfonctionnels, des émotions et des affects négatifs que génère la dépression chez les gens qui en sont atteints et chez leur entourage. Cette absence de compréhension, combinée à l’effet psychologique négatif de leurs relations avec les personnes dépressives, mène à des relations interpersonnelles qui vont souvent osciller entre le peu d’empathie réelle, la critique et le rejet. Cette situation occasionne chez les personnes atteintes de dépression une recrudescence de leurs affects négatifs, ce qui a comme conséquence de les replonger en contexte de relations sociales négatives et de conflits, qui entraînent à leur tour un cercle vicieux  de développement pathologique (Sacco, 1999).

Pour briser le cercle vicieux

C’est en manifestant de l’empathie et en offrant du support qu’on peut atténuer les relations conflictuelles. Le support social joue un rôle dans le maintien de l’équilibre psychologique et il permet d’abaisser le niveau de stress d’un événement conflictuel. Les gens qui jouissent du soutien de leur famille et des collègues, ou qui sentent qu’ils peuvent compter sur des amis pour les appuyer et les aider dans leurs problèmes au travail, ont moins de symptômes psychologiques et de relations sociales négatives. D’ailleurs, on constate que la gentillesse à l’endroit des employés contrebalance les effets négatifs du conflit.  

Fait intéressant à souligner, l’effet du support social varie dans les conflits au travail en fonction du type de soutien et de la personne qui le prodigue. L’appui du superviseur est généralement  important, mais il l’est moins sur le plan émotionnel que le soutien des collègues (Caron et Guay, 2005). Donc, le problème n’est pas simple, car on se retrouve dans une situation où la solution consiste à aider l’autre sans pour autant qu’on y soit naturellement disposé.  

Que peut faire le conseiller en ressources humaines ou le médiateur?

La première tâche qui incombe au gestionnaire des ressources humaines ou au médiateur aux prises avec un conflit est de discerner la présence potentielle d’une partie en état de détresse psychologique ou en dépression. Si la présomption d’un problème de santé mentale existe, suggérer de consulter son médecin pourrait s’avérer un bon conseil.  

Toutefois, il n’est pas rare qu’un gestionnaire des ressources humaines ou un médiateur se trouve devant un conflit dont l’une des parties souffre de dépression. Lorsqu’il croit détecter ce genre de situation, le gestionnaire ou le médiateur peut : 

  • d’abord, tenter de comprendre la nature des comportements dysfonctionnels, des émotions et des affects négatifs présents chez cette personne, ainsi que les conséquences sur ses relations interpersonnelles;
  • chercher à comprendre les particularités de la dynamique des rapports interpersonnels avec la personne atteinte de dépression;
  • expliquer aux gens de son entourage qu’ils peuvent s’attendre à des réactions négatives de la part de la personne dépressive et à être entraînés inconsciemment dans une escalade conflictuelle;
  • conseiller aux gens de l’entourage de signaler le cas afin qu’une approche préventive de conciliation puisse se mettre en place afin d’éviter la détérioration des relations interpersonnelles et l’apparition d’un conflit;
  • dans certains cas, insister pour isoler la personne en détresse de son milieu afin de sauvegarder au mieux ses relations sociales et sa condition psychologique;
  • trouver les moyens de faire prendre conscience aux gens que le support social aux personnes en détresse peut très bien se comprendre comme une obligation morale personnelle et sociale, et qu’il est l’élément à privilégier afin de régler ou d’éviter les situations conflictuelles.  

En se montrant positif et en soutenant les personnes souffrant de dépression, les gestionnaire RH ou le médiateur contribue ainsi à l’amélioration de leur condition psychologique. Enfin, il a aussi la tâche de s’élever au-dessus des clichés et des  idées reçues pour faire progresser l’entreprise vers une meilleure compréhension de cette source de conflit que sont les problèmes de santé mentale au travail. 

Pour en savoir plus  

  • Caron, Jean et Stéphane Guay. (2005) « Soutien social et santé mentale : concept, mesures, recherches récentes et implications pour les cliniciens », Santé mentale au Québec, vol. 30, n° 2, p. 15-41. 
  • Coyne, James C. (1976), Journal of Abnormal Psychology, vol. 85(2), 186-193. 
  • Hammen Constance. (1991) « Generation of Stress in the Course of Unipolar Depression », Journal of Abnormal Psychology, vol. 100, n° 4, p. 555-561. 
  • Sacco,W.P. (1999) A social –cognitive model of interpersonal processes in depression, American psychological, Joiner, Thomas (ed), Ass., XIV, 423 p. 

André Garceau, CRHA, est spécialisé  en gestion des réclamations de la SST, d’invalidités en santé mentale ainsi qu’en médiation des problématiques conflictuelles au travail. Il coordonne le travail d'un groupe multidisciplinaire de professionnels en gestion et prévention de l'absentéisme, du présentéisme et de la santé mieux-être. On peut le joindre par téléphone [514-953-2118] ou par courrier électronique [agarceau@videotron.ca].


André Garceau, CRHA