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Quand un employé vit un problème de santé mentale… L’histoire de Léa et Louis-Paul

Commis comptable, Louis-Paul relève de Léa, directrice des services administratifs. Il est un travailleur dévoué et performant. Autonome de nature, il a le souci du travail bien fait. Après plusieurs années de travail pour la même entreprise, il a conçu des façons de faire qui lui paraissent efficaces.

12 mai 2010
Suzanne Leduc, CRHA

Depuis quelques mois, la vente de l’entreprise bouscule ses croyances et ses pratiques. Des changements sont apportés dans son milieu de travail, ce qui l’oblige à modifier ses habitudes. Comme il prend du retard, il fait des heures supplémentaires pour tenter de le rattraper, mais en vain. Partir du bureau à 19 h 30 est devenu une habitude. À la maison, il est préoccupé. Sa conjointe a perdu son emploi et le contexte économique difficile complique sa recherche d’emploi.

Louis-Paul a de la difficulté à s’endormir et se réveille la nuit avec toutes ces inquiétudes qui tournent et retournent dans sa tête. Il tolère de moins en moins les irritants du quotidien. Il partage souvent ses frustrations avec ses collègues : il répète qu’avec tous ces changements, rien ne fonctionne plus. Sa concentration diminue, il fait des erreurs d’inattention et doit vérifier plusieurs fois son travail.

Ses collègues commencent à se plaindre de son humeur et à dire qu’il devrait peut-être prendre quelques jours de repos. Sa conjointe lui demande de parler moins souvent de ses problèmes au travail en lui disant qu’au moins, il a un travail. Louis-Paul éprouve un sentiment d’incompétence et d’impuissance au travail et d’incompréhension face à sa conjointe. Se lever chaque jour pour aller travailler représente un effort considérable. Il ne sait pas combien de temps il pourra tenir le coup. Il craint la suite.

Voilà la situation typique d’un employé qui, de toute évidence, est en voie de développer un problème de santé mentale. Voici le défi du gestionnaire : comment adopter une approche de soutien de l’employé et de l’équipe plutôt qu’une approche axée sur le contrôle de l’absence?

Les problèmes de santé mentale sont de plus en plus préoccupants pour les gestionnaires, pour la simple raison qu’ils sont de plus en plus nombreux et que leur durée est de plus en plus longue. Dans cet article, nous aborderons les problèmes de santé mentale transitoires, tels que les troubles anxieux et dépressifs ainsi que les troubles liés à l’abus ou à la dépendance à l’alcool ou aux drogues, compte tenu que c’est ce type de problèmes qu’on trouve principalement dans les entreprises.

Que doit faire Léa?
L’objectif de Léa est certainement le maintien au travail de Louis-Paul. Toutefois, avant toute intervention, Léa doit prendre du recul et examiner ce que cette situation lui fait vivre personnellement. À titre de gestionnaire, elle peut être contrariée par les comportements de Louis-Paul, car ceux-ci minent le climat de travail, diminuent la productivité et lui demandent du temps et de l’énergie. Elle peut tout autant être empathique et inquiète pour Louis-Paul. Elle peut avoir plusieurs réactions et émotions et il est important d’en prendre conscience pour pouvoir intervenir plus adéquatement auprès de l’employé en difficulté.

Léa se sent prête à rencontrer Louis-Paul pour lui faire part de ses préoccupations et lui proposer des stratégies qui lui permettront de reprendre pied. Bon nombre de gestionnaires hésitent à rencontrer un employé qui semble éprouver un problème de santé mentale, par pudeur, par répugnance à s’immiscer dans la vie personnelle de l’employé, par peur de ses réactions ou encore pour ne pas « jouer au psychologue ». Toutefois, cette rencontre est essentielle pour prévenir un congé d’invalidité. Léa a donc choisi un moment approprié, qui lui donnait assez de temps pour ne pas se sentir pressée et risquer de bousculer Louis-Paul. Voici quelques éléments dont elle a tenu compte dans la préparation de sa rencontre :

  • préserver le cadre de la rencontre et garder en tête ce qu’elle veut dire et ne pas dire;
  • identifier les comportements adéquats et inadéquats de l’employé et les conséquences sur le travail;
  • signifier sa préoccupation, sa disponibilité et son intérêt à trouver des mesures pour aider l’employé;
  • être consciente que les réactions de l’employé peuvent être altérées par son état actuel;
  • garder une communication chaleureuse et constructive plutôt que de mal réagir à l’attitude de l’employé;
  • identifier avec l’employé des mesures d’accommodation concrètes à court terme.
Mais quel accommodement?
La mise en place des mesures telles que la diminution de la charge de travail, l’allègement de l’horaire, l’ajout d’outils ou l’adaptation de l’environnement de travail peut être perçue comme un passe-droit ou un privilège, alors qu’il s’agit de mesures transitoires visant à favoriser le maintien ou le retour au travail d’un employé. Les mesures d’accommodement doivent être planifiées avec l’employé de façon à sélectionner la plus pertinente. Par la suite, le gestionnaire doit évaluer les ajustements à apporter, notamment en ce qui a trait à la répartition des tâches.

Léa et Louis-Paul ont identifié quelques solutions et ont convenu de se revoir prochainement. Toutefois, dans certains cas, même avec les meilleures mesures d’accommodation et avec les meilleures interventions, il arrive que l’employé s’absente, ce qui fut le cas de Louis-Paul.

Un de moins dans l’équipe!
Est-ce que je peux appeler l’employé durant son arrêt de travail? Voilà une des questions que se pose le gestionnaire lorsqu’un employé est absent en raison d’un problème de santé mentale.

L’employeur a légalement le droit de contacter un employé lors d’une absence pour invalidité. Toutefois, les renseignements demandés et transmis doivent être utiles et justifiables et démontrer la bonne foi de l’employeur. Néanmoins, il est important pour le gestionnaire d’évaluer si cette communication aura un impact positif ou négatif, si cela sera perçu comme de la sollicitude ou de l’intrusion et, pour ce faire, certaines variables doivent être prises en compte :

  • la qualité de la relation entre le gestionnaire et l’employé;
  • la façon dont l’employé a quitté le milieu de travail;
  • la personnalité de l’employé;
  • l’aisance du gestionnaire à faire cette intervention.

Rappelons que le diagnostic médical justifiant l’absence demeure confidentiel. Toutefois, dans plusieurs situations, les comportements de l’employé et même ses propos font en sorte que le gestionnaire et l’équipe peuvent présumer qu’il s’agit d’un problème de santé mentale, sans toutefois avoir besoin d’en connaître le diagnostic spécifique.

Léa a estimé qu’il était approprié de contacter Louis-Paul afin de lui témoigner sa sollicitude et de l’encourager à prendre ce temps d’arrêt pour se rétablir. Elle a offert à Louis-Paul de la contacter s’il voulait prendre des nouvelles du travail et, surtout, elle l’a informé qu’elle le contactera à nouveau un peu avant son retour au travail.

L’intervention auprès de l’employé est une chose, mais l’équipe aussi a besoin d’être encadrée. Les collègues peuvent vivre différentes émotions : colère, injustice, soulagement, etc. Le gestionnaire doit en tenir compte, donner les renseignements pertinents tout en préservant la confidentialité, évaluer l’impact de l’absence sur la prestation de travail ainsi que sur le climat de travail. Cette tâche est d’autant plus ardue qu’il arrive souvent que le congé d’invalidité de l’employé soit prolongé de mois en mois.

Le retour, étape cruciale!
La préparation du retour au travail est une étape cruciale, autant pour le gestionnaire que pour l’équipe et pour l’employé.

L’employé appréhende souvent ce retour et le simple fait de l’envisager peut faire réapparaître les mêmes émotions négatives ressenties avant son départ. Il peut se sentir vulnérable et craindre d’être jugé. Il peut avoir l’impression de devoir faire à nouveau ses preuves et même de ne pas être tout à fait rétabli. Un congé de maladie excédant deux mois exige une réadaptation aux routines et au rythme de la vie au travail : l’heure du lever, la préparation des vêtements, du lunch, la planification du trajet, tous ces détails qui sont usuels pour les travailleurs sont une source de stress importante lors d’un retour d’invalidité, d’autant plus lorsque l’absence est liée à un problème de santé mentale.

Afin de diminuer ces appréhensions, une rencontre préparatoire avec l’employé peut s’avérer utile afin :

  • de l’aider à reprendre contact avec le milieu;
  • de lui faire part des changements survenus en son absence;
  • d’aborder les aspects entourant sa réintégration;
  • d’évaluer les mesures d’accommodation possibles;
  • d’établir un plan d’action.

Après avoir rencontré Louis-Paul, Léa a par la suite tenu une réunion avec son équipe pour l’informer de la date et des modalités du retour au travail de Louis-Paul. Le soutien du groupe est un élément clé lors du retour. Des émotions contradictoires sont souvent vécues. Il arrive que l’employé ait été peu performant avant son départ et que des conflits relationnels se soient développés. Il est d’autant plus important de rassurer l’équipe quant à la façon dont le retour sera géré. Finalement, de petits gestes lors des premières journées (mot de bienvenue, invitation à un lunch, proposition de coup de main) contribuent à diminuer l’anxiété reliée au retour et à en assurer le succès.

La double tâche du gestionnaire
Soutenir l’employé et soutenir l’équipe, atteindre des résultats tout en maintenant au travail un employé en difficulté, gérer les ressources financières et humaines et mettre en place des mesures d’accommodation, cela constitue un défi pour le gestionnaire. On a pris des mesures pour aider les personnes qui ont un handicap physique : rampe d’accès pour les personnes en fauteuil roulant, appareil pour malentendants, chien guide, etc. Il en va de même pour les problèmes de santé mentale. Il est vrai que plusieurs pas ont aussi été faits dans les entreprises pour mettre en place des programmes de prévention, mais cela n’en demeure pas moins un enjeu important pour les employés, les gestionnaires et les intervenants en ressources humaines pour les années à venir.

Suzanne Leduc, CRHA, directrice générale, Jacques Lamarre + Associés

Source : Effectif, volume 13, numéro 2, avril/mai 2010.


Suzanne Leduc, CRHA