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Penser autrement la violence et le harcèlement psychologique au travail

L’auteure explique l’importance de repenser la prévention de la violence et du harcèlement de façon concrète et réaliste pour qu’elle ait un véritable impact sur le développement organisationnel.

16 décembre 2008
Chantal Aurousseau, CRHA

Un enjeu pour le développement organisationnel

Il faut se réjouir de l’entrée en vigueur des articles 81.18 à 81.20 et 123.16 de la Loi sur les normes du travail… Ceux-ci font en sorte qu’aujourd’hui, au Québec, le harcèlement psychologique et, a fortiori, les situations de violence au travail qui relèvent davantage des droits civils ou des politiques internes des organisations ne sont plus tolérés. En effet, l’obligation d’agir pour prévenir ou faire cesser de telles situations, malgré son aspect contraignant et les coûts directs qu’elle peut entraîner, favorise le maintien ou le rétablissement d’un climat propice à la réalisation du travail, le maintien de la santé et de la dignité des travailleuses et travailleurs ainsi que la diminution des coûts directs et indirects liés à de telles situations.

Cela dit, le mandat de prévention reste plus nébuleux du fait qu’il se situe en amont des faits qui donnent prise aux actions de l’employeur. Autrement dit, dans une perspective plus proche de la santé et de la sécurité du travail, la prévention ne vise pas le traitement des risques, qui peut être associé à la cessation des comportements perturbateurs, mais leur éradication, donc la mise en place de conditions d’exercice du travail qui rendent les risques improbables. En ce qui concerne la violence ou le harcèlement psychologique au travail, une telle proposition s’apparente davantage à la qualité de vie au travail, au développement humain des organisations ou à toutes les mesures pouvant rendre inutile le recours aux politiques internes ou aux lois applicables.

Il y a un autre inconfort lié à l’adoption de mesures légales visant à contrer le harcèlement psychologique ou la violence au travail : la définition et les mesures qui y sont habituellement assorties dans la Loi, dans les politiques internes ou dans les conventions collectives contribuent à une représentation dichotomique des enjeux, soit par souci de confidentialité (réduction du nombre des personnes impliquées), soit par souci d’objectivation des faits (mise en opposition des personnes dont les comportements sont les plus manifestes ou les plus éloignés des attentes jugées raisonnables dans les milieux de travail québécois).

Autrement dit, la détérioration des relations interpersonnelles au travail qui, au moment des plaintes, est souvent ramenée à une relation dyadique, fait abstraction de plusieurs éléments contextuels déterminants. Pour avoir plus de prise sur une situation, pour la rendre plus intelligible aux personnes responsables de l’application des politiques ou règlements ou encore, pour éviter de mettre en cause un trop grand nombre d’acteurs, on se centre sur les comportements actifs (plus facilement objectivables que les comportements passifs) d’individus, souvent d’un seul individu autre que la personne appelant à l’aide. On ne tient pas compte des contextes sociaux, organisationnels et collectifs qui, de façon historique et parallèle, contribuent à la construction de la situation ou alors on ne le fait pas d’une manière systématique. Ce faisant, on se prive de renseignements essentiels à la conception de réelles approches préventives en santé et en sécurité du travail ou à la mise en œuvre d’approches innovatrices ou proactives favorisant le rendement au travail.

Il semble donc opportun d’établir de nouvelles conceptions des dynamiques relationnelles au travail permettant une action plus collective et plus préventive. De telles conceptions visent à ne plus s’encombrer du traitement lourd et coûteux de plaintes, dont on souhaite ardemment qu’elles ne soient pas avérées pour s’éviter d’autres coûts et d’autres lourdeurs. Elles visent aussi à offrir des environnements de travail attrayants et propices à la réalisation de soi par le travail, ce qui est une modalité de réalisation de soi fort importante dans notre société et qui, en contexte organisationnel, est souvent un gage de productivité.

Plusieurs mesures s’inscrivant dans cette logique d’action plus positive sont proposées par des experts en concept de qualité de vie au travail. Leurs propositions allient souvent plusieurs cibles d’action comme l’environnement, les conditions de travail et les avantages sociaux, la santé des travailleurs, la reconnaissance du travail ainsi que la formation et le développement de la main-d’œuvre[1]. Pourtant, devant la multitude d’enjeux organisationnels et le sentiment d’urgence constant dans lequel travaillent la plupart des gestionnaires et bon nombre de salariés, ces mesures dont l’efficacité est pourtant documentée restent inconcevables. La mobilisation de ressources humaines ou financières pour empêcher des problèmes dont on n’a pas encore vu le bout du nez semble relever d’un angélisme suranné. En conséquence, l’approche préventive des risques psychosociaux ou, plus en amont encore, l’approche proactive du bien-être au travail demandent à être étayées par plusieurs bénéfices potentiels, pour permettre de surmonter les résistances. Il faut donc procéder stratégiquement, selon les cordes plus sensibles des différents milieux de travail, pour proposer des projets en ce sens. Dans votre organisation, est-ce la fidélisation du personnel, le recrutement, les problèmes variés de santé au travail, les risques relationnels liés à l’intégration des différences culturelles ou générationnelles? À vous de jouer!

Chantal Aurousseau, CRHA

Source : VigieRT, numéro 34, janvier 2009.


1 Plusieurs groupes de recherche québécois, dont la Chaire en gestion de la santé et de la sécurité du travail, le Centre de recherche et d’intervention pour le travail, l’efficacité organisationnelle et la santé ou le Cinbiose et l’Invisible qui fait mal, ainsi que la Commission des normes du travail et, plus loin, l’Organisation internationale du travail proposent des approches positives de la santé ou de la qualité de vie au travail ainsi que de la prévention en matière de violence et de harcèlement. Cela dit, les meilleures pratiques de prévention n’empêchent pas les incidents critiques ou la construction de relations conflictuelles ou violentes, mais elles sont un complément essentiel aux pratiques de prise en charge de ces situations.

Chantal Aurousseau, CRHA