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La grippe aviaire : les entreprises insouciantes en prendront pour leur rhume

Pendant que la crise avicole gagne du terrain et que les pays surveillent les flambées infectieuses dans leurs élevages de volaille, les scientifiques suivent de près l’évolution du virus qui se tourne vers de nouveaux foyers d’infection.

25 septembre 2006
Marie-Claude Perreault, CRIA, Vicky Lemelin et Sophie Prégent

Avant qu’il y ait péril en la demeure, les entreprises ont intérêt à se prémunir contre les conséquences d’un absentéisme élevé. Sans catastrophisme, elles seraient avisées de se doter de stratégies préventives et de comprendre dès maintenant les tenants et aboutissants juridiques de leurs actions. Nous survolerons donc brièvement dans cet article trois volets particuliers : la préparation des entreprises, la gestion de l’absentéisme et la fermeture pour cause de force majeure.

Préparation des entreprises
En cas de pandémie d’influenza aviaire, l’interruption des activités des entreprises touchera essentiellement le secteur des ressources humaines[1]. Il est donc essentiel que les entreprises élaborent un plan de continuité de leurs activités et étudient leurs relations de dépendance interne.

Plan de continuité des activités[2]
Selon l’Agence de santé publique du Canada[3], advenant une pandémie, de 15 % à 35 % de la population ne sera pas en mesure de se présenter au travail ou à l’école. Toute entreprise pourra donc se trouver dans une situation où il lui sera impossible de remplir ses engagements, où ses sources d’approvisionnement et de sous-traitance lui feront faux bond et où la demande de services sera lourdement affectée.

Peu importe sa taille, l’entreprise doit préparer le maintien de ses activités par l’élaboration préventive d’un plan de continuité. Ce plan vise à maintenir l’exploitation à un niveau de viabilité, de sorte que l’entreprise respecte ses obligations contractuelles, ses engagements à l’égard de ses clients ainsi que les exigences législatives, tout en limitant les risques. De plus, une entreprise qui se dote d’un plan de continuité démontre une attitude proactive et rehausse l’image de l’organisation.

Selon le ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile du Canada[4], un plan de continuité se divise généralement en cinq sections :

  • une régie du plan de continuité des activités sous la forme d’un comité, qui devra assurer « […] le respect des engagements de haute gestion et [définir] le rôle et les responsabilités de ses membres »[5]; pour une entreprise de plus petite taille, il faudrait procéder à la nomination d’un coordonnateur de pandémie;
  • l’analyse des répercussions sur les activités, à savoir la détermination des effets des interruptions et l’étude de ses relations de dépendance internes (son personnel) et externes (ses clients et fournisseurs);
  • un plan de continuité des activités qui visera à maintenir les activités de l’entreprise à un niveau convenable en établissant les moyens pour ce faire;
  • une procédure d’intervention immédiate afin d’assurer à l’avance la formation nécessaire des membres du personnel, y compris la répétition d’exercices de simulation pour maintenir un haut niveau de préparation;
  • l’utilisation de techniques d’assurance qualité pour assurer la pertinence du plan et son efficacité; une mise à jour régulière du plan sera nécessaire pour s’assurer de sa fiabilité.

Règles de conduite interne – directives
L’employeur a l’obligation légale de veiller à la santé et à la sécurité de ses employés, comme le prévoient les articles 9 et 51 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail[6], l’article 46 de la Charte des droits et libertés de la personne[7] ainsi que l’article 2087 du Code civil du Québec[8].

Cette obligation en est une de moyens et non de résultat. Ainsi, l’employeur ne doit pas tenter de parvenir à un résultat précis; comme de garantir à ses employés qu’il n’y aura pas d’influenza aviaire dans l’entreprise. Il doit plutôt identifier les risques inhérents à son entreprise et, par la suite, prendre les dispositions appropriées qui protégeront la santé de ses employés et veilleront à leur sécurité.[9]

Le respect de cette obligation peut se faire par la mise en place de directives qui seront utiles, voire essentielles en cas de pandémie d’influenza aviaire. Ces directives varieront en intensité selon la gravité de la situation. Elles devront d’abord viser l’hygiène et le contrôle de la propagation du virus. Elles verront également à modifier la fréquence et la nature des contacts entre les employés.

Absentéisme au travail

Absence pour cause de maladie
Des employés ne pourront accomplir leurs tâches s’ils sont infectés par le virus de la grippe aviaire.

À moins d’une disposition pertinente dans la convention collective ou d’une condition négociée dans son contrat de travail, le salarié peut s’absenter sans salaire pour une période maximale de vingt-six semaines sur une période de douze mois, s’il justifie de trois mois de service continu et s’il ne s’agit pas d’une lésion professionnelle au sens de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[10], en vertu de l’article 79.1 de la Loi sur les normes du travail[11].

Absences ou congés pour raisons familiales ou parentales
Des employés devront peut-être s’absenter pour s’occuper d’un proche ou pour rester avec leurs enfants, notamment si les écoles ferment.

Comme le prévoit l’article 79.7 L.N.T., un salarié peut s’absenter du travail, sans salaire, pendant dix jours par année en raison de l’état de santé de son conjoint, de son père, de sa mère, d’un frère, d’une sœur ou de l’un de ses grands-parents. Concernant ses enfants ou ceux de son conjoint, il peut aussi s’absenter en raison d’une obligation reliée à la garde, à la santé ou à l’éducation.

Par ailleurs, en vertu de l’article 79.8 L.N.T., le salarié qui justifie de trois mois de service continu peut s’absenter du travail, sans salaire, pendant une période d’au plus douze semaines sur une période de douze mois, si sa présence est requise auprès de son enfant, de son conjoint, de l’enfant de ce dernier, de son père ou sa mère, d’un frère ou d’une sœur ou de l’un de ses grands-parents, en raison d’une grave maladie. Toutefois, si un enfant mineur du salarié est atteint d'une maladie grave, potentiellement mortelle, attestée par un certificat médical, le salarié a droit à une prolongation de son absence, laquelle se termine au plus tard 104 semaines après le début de celle-ci.

Lois spéciales
Il se peut également que certains employés soient forcés de s’absenter par suite de l’adoption d’une loi spéciale qui exige que les individus ayant la formation nécessaire dispensent, par exemple, des soins dans les hôpitaux.[12] La Loi sur la santé publique[13], loi provinciale, donne le pouvoir d’intervenir lorsque la santé de la population est menacée, tout comme la Loi sur les mesures d’urgence[14], loi fédérale. Il est important de souligner également que la Loi sur la quarantaine[15] vise, quant à elle, à empêcher l’introduction au Canada de maladies épidémiques. Ainsi, l’employeur peut se trouver dans une situation où certains employés doivent, malgré eux, s’absenter.

De plus, le législateur peut prévoir, par l’adoption d’une loi spéciale, des congés reliés à la grippe aviaire. C’est ce qui s’est produit en Ontario, en 2003, lors des épisodes du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS).[16]

Droit au refus de travailler
Des employés peuvent refuser de se présenter au travail par crainte de contamination. Le droit au refus de travailler est prévu aux articles 12 et suivants de la L.S.S.T. Pour justifier le droit au refus, il faut être un travailleur au sens de la loi et avoir :

« […] des motifs raisonnables de croire que l’exécution de ce travail l’expose à un danger pour sa santé, sa sécurité ou son intégrité physique ou peut avoir l’effet d’exposer une autre personne à un semblable danger.[17] »

Ainsi, dans le cas de l’influenza aviaire, cela signifie être en présence d’un danger de contagion grave, réel et imminent.

Comme le mentionne le Tribunal du travail dans l’affaire Villeneuve c. Gouvernement du Québec (ministère des Transports) :

« En qualifiant les motifs de raisonnables, le législateur a voulu indiquer que les motifs ne doivent pas être comparés à des caprices, à des prétextes, à des moyens de pression, mais bien à des motifs raisonnables suivant la norme de l’homme moyen.[18] »

Par ailleurs, l’article 13 L.S.S.T. stipule que certaines personnes ne pourront pas invoquer le droit au refus de travailler si :

« […] le refus d’exécuter ce travail met en péril immédiat la vie, la santé, la sécurité ou l’intégrité physique d’une autre personne ou si les conditions d’exécution de ce travail sont normales dans le genre de travail qu’il exerce. »

On peut présumer que cette disposition législative vise à pallier les risques de départs massifs de professionnels de la santé, tels les infirmières et infirmiers, entre autres.

Fermeture d’entreprise et force majeure
Si la pandémie touche la majeure partie de son personnel, l’employeur peut décider de fermer son entreprise. Le cas échéant, il peut aussi être relevé de son obligation de continuer à verser les salaires s’il prouve la présence d’une force majeure telle qu’elle est définie à l’article 1470 du C.c.Q :

« Toute personne peut se dégager de sa responsabilité pour le préjudice causé à autrui si elle prouve que le préjudice résulte d’une force majeure, à moins qu’elle ne se soit engagée à le réparer.

La force majeure est un événement imprévisible et irrésistible; y est assimilée la cause étrangère qui présente ces mêmes caractères. »

Ainsi, pour constituer une force majeure,[19] l’événement doit être imprévisible, irrésistible et non imputable à celui qui l’invoque.[20] L’employeur doit alors prouver qu’il n’a pu prévoir la survenance de la pandémie et qu’il n’a pu l’empêcher. Nous croyons que même dans les cas où les critères de l’irrésistibilité et de l’imputabilité sont satisfaits, il sera difficile de prouver l’imprévisibilité, car une entreprise diligente ne peut être tout à fait ignorante de l’imminence d’une pandémie et de la possibilité de prévoir différentes mesures pour atténuer les risques.

Enfin, rappelons qu’il est primordial pour toute entreprise de réfléchir à la possibilité de la survenance d’une pandémie et à ses effets sur son personnel et ses activités. Il est recommandé de préparer un plan de continuité des activités et d’examiner toutes les avenues possibles pour pallier un taux d’absentéisme élevé.

Une situation de ce genre montre toute l’importance que revêt la communication, que ce soit avec les employés, les clients ou les fournisseurs. Aborder le tout sous un angle positif et mettre l’accent sur ce qui est fait plutôt que ce qui reste à faire est conseillé.

Une préparation adaptée et une communication adéquate se révèleront d’excellents outils pour toute entreprise qui voudra se remettre de cette grippe le plus rapidement possible.

Marie-Claude Perreault, CRIA, avocate associée, Vicky Lemelin, avocate du cabinet Lavery, de Billy et Sophie Prégent, étudiante

Publié avec l'autorisation de Lavery, de Billy [www.lavery.qc.ca]

Source : VigieRT, numéro 10, septembre 2006.


1 Manufacturiers et Exportateurs du Canada, Pandémie de grippe : Guide de planification de la continuité pour les entreprises canadiennes, mars 2006.
2 Pour la sécurité du Canada (Guide de planification de la continuité des activités), Sécurité publique et Protection civile Canada, 13 juin 2006, en ligne :http://www.psepc-sppcc.gc.ca/prg/em/gds/bcp-fr.asp?lang_update=1
3 Foire aux questions – Pandémie d’influenza, Agence de santé publique du Canada, 31 octobre 2005, en ligne :http://www.phac-aspc.gc.ca/influenza/pandemic_qa_f.html
4 Pour la sécurité du Canada (Guide de planification de la continuité des activités), précité, note 2.
5 Pour la sécurité du Canada (Guide de planification de la continuité des activités), précité, note 2.
6 Loi sur la santé et la sécurité de travail, L.R.Q., c. S-2.1, ci-après « L.S.S.T. ».
7 Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., c. C-12.
8 Code civil du Québec, L.Q. 1991, c. 64, ci-après « C.c.Q. ».
9 C.S.S.T. c. G.T.E. Sylvania Canada Ltée, [1984] T.T. 382.
10 Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, L.R.Q., c. A-3.001.
11 Loi sur les normes du travail, L.R.Q., c. N-1.1.
12 Présentement le gouvernement est en campagne de recrutement volontaire pour les infirmières qui ne font pas partie du réseau public. Toutefois, ces dernières hésitent à se porter volontaires. Voir Les infirmières se dérobent à l’appel, radio-canada.ca, 22 juin 2006, en ligne :http://www.radio-canada.ca/nouvelles/regional/modele.asp?page=/regions/ottawa/2006/06/22/001-infirmieres-influenza.shtml
13 Loi sur la santé publique, L.R.Q., c. S-2.2 voir notamment les articles 2, 3 et 4.
14 Loi sur les mesures d’urgence, L.R., 1985, ch.22 (4e suppl.).
15 Loi sur la quarantaine, L.R., 1985, ch. Q-1. Il est à noter que cette loi sera abrogée par la Loi sur la mise en quarantaine, L.C., 2005, ch. 20, lors de son entrée en vigueur, qui vise essentiellement le même objectif, c’est-à-dire prévenir l’introduction et la propagation de maladies transmissibles.
16 Loi de 2003 sur la stratégie d’aide et de reprise suite au SRAS, L.O. 2003, c.1.
17 L.S.S.T., art. 12.
18 Villeneuve c. Gouvernement du Québec (ministère des Transports) [1986] T.T. 274, à la 278, AZ-86147066.
19 Certains événements ont été reconnus comme constituant une force majeure, comme les attentats du 11 septembre 2001 (voir notamment Boulé c. Vacances Esprit, AZ-50178800, Jarry c. 9009-2297 Québec inc., AZ-50155312) et la tempête de verglas qui s’est abattue sur le Québec en 1998 (voir notamment 2750-0552 Québec inc. c. St-Charles-de-Drummond (Municipalité de), AZ-50085312).
20 Voir Vandry c. Quebec Railway, Light, Heat and Power Co., 53 R.C.S. 72, AZ-50292984.

Marie-Claude Perreault, CRIA, Vicky Lemelin et Sophie Prégent