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Les professionnelles et professionnels hautement qualifiés (PHQ) pour contrer la pénurie de main-d’œuvre hors du milieu universitaire

Les postes limités en milieu universitaire représentent une contrainte pour les PHQ qui souhaitent un emploi lié à leur scolarité. Une meilleure connaissance des PHQ permet une meilleure inclusion hors du milieu universitaire.
23 février 2024
Richard Rioux, Ph.D., CRHA

Dans la dernière décennie, la diplomation chez les universitaires a augmenté significativement passant de 9,6 % à 17,1 % de la population active (Lessard, 2023). Pour l’année 2021, c’est 29,5% de la population âgée entre 25 et 64 ans qui détenait un diplôme universitaire. De ce nombre, 70 % sont titulaires d’un baccalauréat, 20 % d’une maîtrise et 10 % d’un doctorat autre qu’un doctorat de premier cycle, tel que médecine, médecine vétérinaire ou médecine dentaire (Statistique Canada, 2022). Pour McKenzie (2009), l’ensemble de ces diplômées et diplômés universitaires sont considérés à titre de personnel hautement qualifié. Pour cet article, nous utiliserons la notion de professionnelles et professionnels hautement qualifiés (PHQ) pour définir les titulaires d’un diplôme de maîtrise ou de doctorat avec des profils en recherche.

Compte tenu du nombre limité de postes dans le milieu universitaire pour ces PHQ et des enjeux de main-d’œuvre dans l’ensemble des secteurs d’activité au Québec et au Canada, il devient nécessaire de s’intéresser aux barrières à l’inclusion de ces groupes hors du milieu universitaire ainsi qu’à leur apport pour pallier la pénurie de main-d’œuvre.

En 2021
  • 29.5 % de la population âgée entre 25 et 64 ans qui détenait un diplôme universitaire

Jeunes femmes et personnes immigrantes davantage concernées

Selon les statistiques disponibles, les défis de l’inclusion des PHQ en milieu non universitaire concernent davantage les jeunes femmes et les personnes immigrantes. En plus d’être touchées par les perceptions énumérées précédemment, ces populations se trouvent à l’intersection de plusieurs sous-groupes. On peut constater que les femmes représentent 58,8 % de l’ensemble de la diplomation universitaire dont l’âge se situe entre 25 et 34 ans (Lessard, 2023), mais qu’elles sont beaucoup moins nombreuses (20,8 %) dans le domaine des sciences, des technologies, de l’informatique et des mathématiques (STIM). Pour ce dernier domaine, les professionnelles et professionnels en ressources humaines doivent s’assurer d’accompagner les personnes et les milieux tant en ce qui concerne les réalités des PHQ que des réalités pour les femmes en milieux traditionnellement masculins.

Pour les personnes immigrantes, elles sont surreprésentées puisqu’elles constituent 27,3 % de la diplomation universitaire alors qu’elles ne représentent que 18,3 % de la population active (Lessard, 2023). Cette situation engendre une surqualification en milieu non universitaire (Statistique Canada, 2019), surtout que les personnes immigrantes représentent 50 % de toute la diplomation de maîtrise et de doctorat au Canada (Lessard, 2023, Statistique Canada, 2022). Pour ce groupe, les professionnelles et professionnels en ressources humaines doivent considérer les perceptions négatives pour les PHQ tout en portant une attention particulière à la plus faible connaissance du marché du travail québécois et une plus grande difficulté à convertir les apports et acquis de diplômes surtout s’ils sont obtenus à l’étranger.

Des perceptions négatives basées sur une méconnaissance commune

Pour les PHQ, le marché du travail non universitaire peut représenter un milieu hostile vu la méconnaissance de ces milieux. Une perception négative de la part des PHQ peut provenir, entre autres, d’une interprétation de l’organisation du travail basée sur des expériences passées et non significatives de la réalité du marché du travail. Étant donné que l’organisation du travail est principalement axée sur la réalisation de tâches ou sur des critères de rendement mesurables, l’écart est plus grand pour des professionnelles et professionnels qui apprécient une autonomie dans l’organisation de leur travail ou qui souhaitent recevoir un mandat à réaliser pour lequel ils et elles peuvent y définir les tâches et les critères de performance. Advenant le cas où un ou une PHQ se trouve dans un poste dans lequel les tâches sont routinières, répétitives ou désincarnées d’une vision globale, il est fort à parier que l’intégration et l’inclusion de cette personne seront plus difficiles ou qu’elle vivra des insatisfactions dans ce milieu.

Alors que les milieux non universitaires reconnaissent aisément l’expertise technique ou scientifique de ces professionnelles et professionnels, les PHQ souhaitent aussi un milieu qui valorise tant l’esprit critique que la réflexion. Du côté des organisations, l’esprit critique peut être confondu avec un trait de personnalité synonyme d’insatisfaction constante ou encore que ces personnes râlent inutilement. Quant à l’esprit réflexif, il peut être reçu de la part de quelques gestionnaires comme une difficulté pour la personne de se mettre en action, être une attitude qui vise à retarder la réalisation de certaines tâches ou même représenter un manque d’expérience. Considérant que le temps de réalisation d’un mémoire de maîtrise ou d’une thèse de doctorat se calcule en années, certaines personnes issues des milieux non universitaires peuvent interpréter toutes ces années comme une incapacité à réaliser des objectifs à plus court terme.

Parmi les autres perceptions négatives, on constate de la part des milieux non universitaires une appréhension à l’égard du salaire des PHQ. Dans plusieurs organisations, les personnes fortement scolarisées paraissent exigeantes pour leur salaire alors qu’elles ont peu d’expériences quantifiables pour un poste donné. De plus, certaines entreprises ont plus de difficulté à démontrer aux actionnaires ou à la haute direction la rentabilité ou la valeur ajoutée de ces personnes pour un poste pour lequel elles auraient pu embaucher une personne moins scolarisée ou qui a une plus grande expérience liée aux tâches.

Des apports transférables et transversaux

Plusieurs compétences requises en milieu non universitaire sont similaires à celles du milieu universitaire, mais elles se définissent différemment. À titre d’exemple, les PHQ peuvent gérer des situations ou des projets complexes en conciliant une multitude de parties prenantes. Lors de leur formation, les PHQ ont dû développer une rigueur, une autonomie et une discipline au travail, mais aussi de fortes capacités d’analyse, de synthèse, d’argumentation et de rédaction. Toutes ces compétences peuvent être transférables en milieu non universitaire, principalement lors de la gestion de projets. Ces compétences représentent aussi des qualités quant au respect des délais, à la capacité d’effectuer des diagnostics organisationnels ou encore d’influencer, de convaincre ou de transposer des solutions à d’autres contextes. Bien que des professionnelles et professionnels en ressources humaines seront en mesure d’introduire une évaluation de ces compétences dans le processus de recrutement et de procéder à l’adéquation entre ces compétences et le milieu de travail, il ne faut pas négliger qu’un certain nombre de PHQ auront plus de difficultés à exprimer la transversalité ou émettront des doutes quant à leurs compétences en intégrant un milieu non universitaire.

Femmes et diplomation

  • 58,8 % de femmes dans l’ensemble de la diplomation universitaire dont l’âge se situe entre 25 et 34 an

Références

Pour en savoir plus

 


Author
Richard Rioux, Ph.D., CRHA Conseiller-cadre en innovation et mobilisation des connaissances Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Saguenay-Lac-Saint-Jean

Source : Revue RH, volume 27, numéro 1 ─ JANVIER FÉVRIER MARS 2024