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Pratiques inclusives en organisations : comprendre les résistances pour mieux accompagner le changement

Cet article présente les principales résistances aux changements de la part d’organisations ayant entamé des démarches en EDI dans divers secteurs d’activités au Québec.
23 février 2024
Corinne Béguerie | Sophie Brière

De plus en plus d’entreprises au Québec se lancent dans des démarches en équité, diversité et inclusion, quel que soit leur secteur d’activité ou leur taille. Si plusieurs d’entre elles ont commencé à s’intéresser à ces questions par obligation légale, d’autres ont décidé d’aligner leurs actions à leur planification stratégique (Banque Nationale, 2021; Hydro-Québec 2021; Radio-Canada, 2021; Ville de Montréal, 2021).

Ainsi, elles se préoccupent de plus en plus de mettre en place des pratiques de gestion de la diversité et de formaliser des processus d’intégration des personnes issues des groupes sous-représentés en emploi, mais le principe d’organisation inclusive reste encore à travailler et les transformations suscitent des résistances au changement (Aquino et Robertson, 2018; Ferdman et Deane, 2014; Mor Barak, 2015).

L’Institut EDI2 (équité, diversité, inclusion, intersectionnalité) de l’Université Laval mène depuis quelques années des recherches en EDI et accompagne plusieurs organisations de différentes tailles et différents secteurs dans des démarches EDI. Selon nos observations, ces organisations se lancent dans l’aventure pour diverses raisons.

Certaines, comme les universités canadiennes, le font parce que le Programme des chaires de recherche du Canada les a contraintes depuis 2017 à produire et mettre en œuvre des plans d’action en équité, diversité et inclusion comme condition à l’obtention de leur financement (Chaires de recherche du Canada, 2023). Les universités canadiennes doivent ainsi démontrer plus de transparence dans leurs processus du recrutement des titulaires de chaires de recherches, notamment concernant les personnes issues des groupes historiquement marginalisés (GHM) - les femmes, les personnes en situation de handicap, les Autochtones, les minorités visibles et ethniques - qui représentent une faible part des titulaires de chaires de recherche canadiennes. Depuis 2017, les universités canadiennes, dont les universités québécoises, s’engagent, à travers ces plans d’action, à assurer une meilleure représentativité des personnes issues de ces groupes et à créer des environnements de travail inclusifs.

D’autres, comme les grandes organisations publiques et privées, ont mis en place divers programmes et initiatives en EDI enchâssés dans les principes environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). Ils s’inscrivent aussi parfois dans les objectifs de développement durable de l’ONU (Banque Nationale, 2022) ou dans leur planification stratégique pour refléter la société québécoise (Revenu Québec, 2023). D’autres mettent de l’avant les initiatives liées à des processus de recrutement ou encore à des programmes destinés aux personnes issues des GHM (Hydro-Québec, 2023).

Cependant, nous avons constaté lors de nos recherches et nos consultations que les changements à opérer pour devenir véritablement des organisations inclusives - et que les personnes issues des groupes sous-représentés en emploi se sentent incluses - sont parfois difficiles à mettre en œuvre et plusieurs types de résistances peuvent émerger. Nous en présentons quelques-uns.

D’abord, nous avons observé que les mesures mises en œuvre pour atteindre les cibles de représentativité mènent parfois à un sentiment d’iniquité chez des personnes qui ne sont pas issues des groupes sous-représentés; elles se sentent alors exclues des processus. Un exemple de ce type de résistance a fait la une des journaux du Québec fin 2022 lorsqu’un professeur s’est dit « victime de discrimination à titre d’homme blanc hétérosexuel. » (Morissette-Beaulieu, 2022) C’est dans ce contexte que certaines personnes opposent les pratiques d’inclusion aux notions de compétences alors que dans les faits, ces mesures de redressement respectent des processus rigoureux d’embauche, d’autant plus que les personnes issues des groupes sous-représentés en emploi sont souvent surqualifiées pour les emplois. Par exemple, selon Statistique Canada (2020), la proportion de personnes immigrantes titulaires d’un diplôme de baccalauréat vivant une déqualification persistante entre 2006 et 2016 s’élevait à 10 % contre moins de 4 % pour les personnes natives.

Ensuite, les recherches et les consultations montrent que, sans un engagement réel de la haute direction à implanter des mesures et des mécanismes EDI dans les organisations, il est difficile de mettre en œuvre des pratiques inclusives. Toutefois, certaines personnes ont mentionné que si des initiatives étaient « annoncées en grande pompe »[1] par la direction, il arrive que peu de changements dans les faits aient eu lieu, que ce soit dans la mise en œuvre de processus ou de procédures menant à un environnement de travail plus inclusif ou encore dans la représentativité des personnes issues des groupes sous-représentés dans les organes de gouvernance. Aussi, si une consultation est engagée pour proposer des actions visant l’inclusion des personnes issues des GHM, mais que la haute direction n’est pas convaincue des changements à apporter, non seulement ces changements n’auront pas lieu, mais les personnes consultées pourraient se montrer déçues, désengagées et pourraient éventuellement quitter l’organisation.

Enfin, les personnes issues des GHM sont parfois réfractaires à participer aux différents comités EDI ou de réflexion en EDI, car elles craignent d’être instrumentalisées ou encore stigmatisées. Elles ne veulent pas être « la minorité visible ou la personne en situation de handicap de service » qui sera mise de l’avant par les organisations pour montrer à quel point elles sont inclusives puisqu’elles recrutent des personnes issues de la diversité. Ces personnes peuvent refuser aussi de remplir les questionnaires d’auto-identification, car elles sont peu, pas ou mal informées de l’utilisation de ces informations qui doivent être traitées en toute confidentialité. Pourtant, cela vise en réalité à permettre de savoir s’il y a une représentativité des personnes issues des groupes dans l’organisation et lancer des consultations pour définir les actions à mettre en œuvre afin que l’organisation soit plus inclusive.

En somme, les organisations souhaitant être inclusives doivent parvenir à éliminer les barrières systémiques qui se dressent devant les personnes issues des groupes sous-représentés en emploi et à transformer leurs milieux de travail afin que ces personnes se sentent incluses. Pour y parvenir, les organisations doivent tenir compte des résistances aux changements dont certaines ont été abordées dans cet article pour éviter le sentiment que les démarches d’inclusion créent une certaine confusion ou soient perçues comme une obligation impliquant une surcharge de travail. Ainsi, alors que les pratiques inclusives sont relativement bien définies dans les études (p. ex. Aquino et Robertson, 2028; Brière et al., 2022), l’expérience montre également la nécessité de coupler à cette connaissance une réelle démarche itérative et collaborative de changement avec l’ensemble des diverses parties prenantes concernées dans les projets en EDI à initier au sein de l’organisation. Le rôle des personnes responsables des ressources humaines est important pour initier et participer aux démarches, notamment en matière de recrutement et de gestion des carrières, mais l’EDI est l’affaire de tous et toutes et ne doit pas reposer sur leurs seules épaules, car ces démarches concernent l’ensemble de l’organisation.

Bibliographie


Author
Corinne Béguerie professionnelle de recherche à l’Institut EDI21 et chargée de cours à l’Université Laval

Author
Sophie Brière directrice de l’Institut EDI2 et professeure titulaire Département de management de la faculté d’administration de l’Université Laval

Source : Revue RH, volume 27, numéro 1 ─ JANVIER FÉVRIER MARS 2024

  1. Les citations sont extraites de consultations menées ces dernières années. Pour des raisons de confidentialité, nous ne pouvons pas nommer les personnes ayant exprimé ces commentaires.