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Personne handicapée « selon la Loi » : une définition limitante pour l’inclusion en emploi

Toute personne peut être concernée par le handicap à un moment ou à un autre dans sa vie. En élargissant cette notion, on peut davantage prévenir la discrimination et créer un milieu de travail inclusif.
20 février 2024
Julie-Anne Perrault

Quiconque s’intéressant à l’inclusion en emploi se retrouve vite face à cette définition de personne handicapée : « Toute personne ayant une déficience entraînant une incapacité significative et persistante et qui est sujette à rencontrer des obstacles dans l'accomplissement d'activités courantes. »

Brandie dans les formations et les formulaires d’auto-identification des programmes d’accès à l’égalité en emploi, cette définition dite couramment « selon la Loi » fait émerger plus de questions que de réponses. Une personne ayant telle ou telle condition est-elle handicapée « selon la Loi » ? Faut-il accommoder les personnes qui ne correspondent pas à cette définition?

Se poser ces questions, c’est la meilleure manière de faire fausse route en inclusion en emploi. Néanmoins, on peut comprendre les employeurs d’être perplexes. Le handicap est complexe, tout comme les obligations légales. Voilà quelques réflexions pour mettre les pendules à l’heure afin de créer un milieu de travail réellement inclusif, au-delà de la définition de personne handicapée.

Le rôle et les limites de cette définition

La définition de personne handicapée précédemment mentionnée provient de la Loi assurant l'exercice des droits des personnes handicapées en vue de leur intégration scolaire, professionnelle et sociale. Même si l’expression « selon la Loi » est utilisée pour la décrire, il s’agit plutôt d’une définition selon cette loi. Elle n’a de portée juridique que lorsqu’elle est précisée, comme c’est le cas dans les programmes d’accès à l’égalité en emploi.

Cette définition de personne handicapée n’est pas mauvaise en soi. Elle tente de circonscrire les personnes les plus susceptibles de subir de la discrimination et des situations de handicap dans leur quotidien. Elle s’assure ensuite que les programmes et services de soutien correspondent réellement à leurs besoins. C’est probablement dans cette optique que la Loi sur l’accès à l’égalité en emploi des organismes publics réfère à cette définition.

Élargir la notion du handicap

Une des limites de cette définition, c’est qu’elle hiérarchise les incapacités. Il n’y a pourtant pas que les personnes ayant des incapacités « significatives et persistantes » qui peuvent faire face à de la discrimination ou qui peuvent avoir besoin d’accommodement. Le handicap est extrêmement variable et contextuel. Dans la Convention relative aux droits des personnes handicapées (CDPH), l’Organisation des Nations Unies présente d’ailleurs le handicap comme l’interaction entre les incapacités des personnes et les obstacles environnementaux. Il peut ainsi être temporaire, permanent, léger, sévère, invisible, évident, réel ou perçu. En vrai, n’importe qui peut être concerné par le handicap à un moment dans sa vie, que ce soit à cause d’une blessure, d’une maladie ou du vieillissement, par exemple.

Cette vision plus englobante du handicap a bien des avantages en milieu de travail. Elle permet à plus de personnes de se sentir concernées, en brisant l’idée qu’il n’y aurait qu’une seule manière d’être handicapé. Davantage de personnes peuvent se sentir légitimes de dévoiler leurs besoins dans un système qui élargit la notion de handicap. Cette démarche pourrait leur permettre d’enfin obtenir le soutien et les outils nécessaires pour réussir. L’élargissement de la notion de handicap permet réellement de tendre vers un milieu de travail plus inclusif.

Se fier à la Charte des droits et libertés

L’élargissement du handicap prend aussi tout son sens d’un point de vue légal. Comme la notion d’incapacité « significative et persistante » reste floue, un employeur ne peut pas déterminer si une personne correspond à la définition de personne handicapée « selon la Loi ». Ce n’est pas plus mal, car c’est somme toute assez futile.

Quand il est question de discrimination ou d’accommodement en emploi, la notion de personne handicapée « selon la Loi » n’est jamais mentionnée. La Charte des droits et libertés de la personne prend le dessus. C’est la discrimination fondée sur le handicap ou sur l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap qui y est interdite; pas la discrimination des personnes handicapées.

Ça pourrait sembler être une nuance, mais ça fait toute la différence : la charte n'encadre que le processus de discrimination, pas l’appartenance à un groupe, ni sa définition. Le handicap lui-même n’a pas de définition précise non plus. Comme indiqué par la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, « Toute personne susceptible de subir une discrimination du fait de sa condition physique ou mentale est en effet couverte par le motif handicap de la Charte québécoise. Ce sont les effets de ces facteurs sociaux qui prévalent : la cause ou la nature du handicap a peu d’importance. »

Cette approche oblige les employeurs à adhérer à une vision plus large et englobante du handicap, et ce, à travers tout le cycle de vie de l’emploi, comme l’article 16 de la Charte le souligne. C’est l’ensemble des pratiques de l’entreprise qui doivent être exemptes de discrimination. 

Il n’y a que dans le cas des programmes d’accès à l’égalité en emploi que la Commission des droits de la personne et de la jeunesse se limite à la définition dite « selon la Loi » (tel que requis par la  Loi sur l’accès à l’égalité en emploi des organismes publics. En dehors de ce programme et des défis qui en découlent, les employeurs ont tout à gagner à élargir la notion de handicap, autant d’un point de vue de prévention de la discrimination que de conception de milieux de travail inclusifs. L’intervention doit s’effectuer au-delà des définitions afin que l’ensemble du personnel puisse se réaliser.

Opter pour une approche proactive

Déterminer si une personne est handicapée « selon la Loi » ne permet donc pas de créer un milieu de travail où chacun et chacune dispose des outils et du soutien nécessaires pour réussir. C’est même contre-productif. L’important, c’est de retirer les obstacles et prévenir la discrimination à la fois de manière individuelle et systémique, en concordance avec les principes d’équité, de diversité et d’inclusion (ÉDI). L’accommodement assure la réussite de chaque personne, alors que l’accessibilité universelle réduit les obstacles (technologiques, communicationnels, attitudinaux, physiques ou structurels, par exemple), diminuant par ricochet les besoins d’accommodement.

Éloignons-nous de l’idée de la personne handicapée « selon la Loi » pour prévenir la discrimination liée au handicap et créer un milieu de travail réellement plus inclusif. 

Références


Author
Julie-Anne Perrault Consultante

Bachelière en administration des affaires œuvrant depuis près de 10 ans dans le milieu des personnes handicapées, elle accompagne les organisations qui souhaitent rendre leurs pratiques et leurs milieux de travail plus universellement accessibles.

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