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Oui à une gestion inclusive! Comprenons d’abord l’hésitation à l’adopter!

L’inclusion des employées et employés issus des communautés traditionnellement marginalisées exige l’engagement des gestionnaires, mais plusieurs hésitent à jouer ce rôle. Les professionnelles et professionnels RH doivent connaître les causes de leur hésitation pour les aider à la surmonter.
23 février 2024
Luc Simard, CRHA

De plus en plus d’organisations ont fait de l’EDI (équité, diversité et inclusion) une priorité stratégique. Dans cet acronyme, l’inclusion signifie le processus qui vise à créer un environnement accueillant et respectueux pour tout le monde. Puisqu’elles et ils dirigent les équipes, il appartient aux gestionnaires de superviser ce processus et de porter attention, en particulier, aux employées et employés issus des communautés traditionnellement marginalisées. Celles-ci comprennent, entre autres, les femmes, les personnes en situation de handicap, les personnes racisées, les Autochtones et les membres de la communauté LGBTQ.

Beaucoup de gestionnaires hésitent pourtant à jouer ce rôle attendu.

Nous déterminerons dans cet article les causes de cette hésitation et nous verrons comment, en tant que professionnelles et professionnels RH, nous pouvons les aider à la surmonter.

Les gestionnaires évoquent toutes sortes de raisons pour hésiter. D’abord, parce que l’EDI est arrivée récemment dans la plupart des organisations, elle manque d’ancrage pratique. Tout gestionnaire se doit d’accueillir une nouvelle orientation stratégique, mais elle ou il apprend avec l’expérience qu’elle peut se révéler éphémère. Elle ou il sait que la priorité de cette année risque de glisser en deuxième place l'an prochain et même de disparaître dans deux ans! Dans cette perspective, si l’EDI n’est pas appelée à durer, à quoi bon s’y investir?

Au Canada

  • 2/3 des cadres sont des hommes majoritairement blancs des cadres est un homme de minorité visible

Ensuite, même là où l’EDI a traversé l’épreuve du temps, elle n’est pas toujours liée clairement à la raison d’être de l’organisation, soit les produits et les services qu’elle doit fournir. L’EDI compte sur l’engagement de la haute direction, mais si celle-ci n’a pas indiqué comment cette démarche contribue à améliorer les produits ou les services, beaucoup de gestionnaires se contenteront d’appuyer l’EDI du bout des lèvres et se désengageront de sa mise en œuvre. Dans ce contexte, l’inclusion paraîtra au mieux comme une valeur moderne et positive, mais sans conséquence directe sur le cœur des opérations.

Par ailleurs, beaucoup de gestionnaires se méfient de l’EDI parce qu’elles et ils se sentent incompétents sur la question. Il faut savoir qu’au Canada, les deux tiers des cadres sont des hommes et qu’ils sont, dans leur vaste majorité, blancs. Seul un cadre sur quatorze est un homme de minorité visible (Statistique Canada, 2023). Il est probable qu’un gestionnaire blanc n’ait jamais rencontré sur sa route les barrières systémiques qui se dressent devant les collègues issus des autres groupes sociaux. Ces barrières, pourtant bien réelles, comprennent par exemple la difficulté d’accéder aux réseaux d’influence qui propulsent les carrières.

Comme leur effectif est plutôt homogène, les gestionnaires ont en général peu de familiarité avec les communautés traditionnellement marginalisées. Or, si leur organisation s’est fixé un objectif de représentation diversifiée, leur méconnaissance des communautés aura un effet négatif dès l’étape du recrutement. La ou le gestionnaire mal informé risque en effet de sous-estimer la valeur des talents qu’on lui présente et pourrait même craindre que leur embauche nuise à la performance de ses équipes.

Une dernière raison qui explique la méfiance des gestionnaires est qu’elles et ils se sentent oubliés par l’EDI (Hopke, 2022). Les cadres masculins et blancs, qui sont la vaste majorité, ne savent pas comment ils sont inclus dans cette démarche. Certains vont jusqu’à craindre que les futures promotions de cadres aillent principalement à leurs collègues issus des groupes en quête d’équité. Or, le déficit continu de femmes dans les postes de gestionnaires - elles ne représentent encore qu’un tiers du total - nous porte à croire que cela est peu probable (Statistique Canada, 2023).

Que pouvons-nous faire, comme professionnelles et professionnels RH, pour aider les gestionnaires à surmonter leurs craintes?

Puisque l’EDI est généralement absente du coffre d’outils des gestionnaires, un premier moyen est de développer notre propre expertise en EDI. Celle-ci passe par la formation et le développement des compétences, alors qu’elle devrait commencer par la fréquentation des membres de notre organisation qui proviennent des groupes sous-représentés. Nous devons en outre jeter des ponts vers les communautés, par exemple en invitant leurs représentantes et représentants à des journées portes ouvertes ou en organisant des stages professionnels pour de nouveaux talents.

Peu importe notre domaine professionnel, l’application d’un savoir-faire en EDI auprès des gestionnaires les fera gagner en efficacité. En dotation, par exemple, la maîtrise de l’EDI permettra de combattre les préjugés qui nuisent au recrutement des talents issus de viviers autrefois négligés.

Un autre moyen consiste à utiliser nos compétences humaines. Celles-ci, nombreuses, comprennent l'écoute, la curiosité, l'humilité, l'empathie et l'authenticité. Nous avons intérêt à montrer ces qualités pour gagner la confiance des collègues issus des groupes marginalisés et pour amener les gestionnaires à adopter des comportements plus inclusifs. Comme nous n’avons pas d’autorité hiérarchique sur ces gestionnaires, notre principal atout demeure notre pouvoir d'influence. Les compétences humaines sont particulièrement utiles dans le contexte matriciel propre à l'EDI, qui nous amène à travailler avec des cadres de divers secteurs et de différents échelons hiérarchiques.

Au Canada

  • 1/3 du total des postes de gestionnaires est occupé par des femmes

Un dernier moyen est d’aménager des forums pour permettre aux gestionnaires de discuter librement des difficultés éprouvées dans la mise en œuvre de l’EDI. La nouveauté de l’enjeu, l’absence de lien établi avec la raison d’être de l’organisation et les craintes que l’EDI provoque chez les gestionnaires sont autant de freins à leur engagement. Or, elles et ils gagnent à décrire leurs défis et à partager leurs solutions. À cette fin, certaines organisations ont employé avec succès la méthode du codéveloppement pour mobiliser leurs gestionnaires. L’approche du codéveloppement en petits groupes permet en effet d’installer un espace sécuritaire au sein duquel les participantes et participants réfléchissent et dialoguent afin d’améliorer leur pratique (Champagne, 2021).

Il appartient aux gestionnaires de prendre en charge le processus d’inclusion. En comprenant leurs craintes et en les aidant à les vaincre, nous pouvons les aider à jouer leur rôle avec confiance.

Références


Author
Luc Simard, CRHA Expert-conseil en EDI et en relations avec les Autochtones

Source : Revue RH, volume 27, numéro 1 ─ JANVIER FÉVRIER MARS 2024