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L’inclusion de la neurodiversité au travail : une prise de conscience essentielle

La neurodiversité est de plus en plus présente dans les conversations sur l’inclusion en milieu de travail. Malgré l’intérêt grandissant et des initiatives émergentes, des enjeux persistent. Une réflexion s’impose pour une neuroinclusion plus pérenne.
23 février 2024
Fran Delhoume | Melissa St-Louis, CRHA

L’inclusion de la neurodiversité au travail : une prise de conscience essentielle

Débutons par un constat : la neurodiversité est présente dans nos milieux de travail. Cette diversité cognitive est un simple fait de notre diversité humaine alors que notre société tend à catégoriser : le profil neurotypique est alors le standard auquel se comparer, au détriment de ceux qui sont différents. En somme, une norme tacite est établie. Ainsi, les personnes neurodivergentes, dont le profil cognitif diffère de ce standard dit neurotypique, sont-elles incluses dans nos organisations?

À noter

La documentation sur le sujet étant en mouvement, les concepts continuent d’évoluer. Bien que certaines personnes autrices englobent plus de conditions que d’autres, la neurodivergence est communément définie comme un terme parapluie incluant divers profils dont le fonctionnement neurocognitif diffère de celui neurotypique. Par souci de langage commun, cet article englobe les profils suivants : autisme, TDAH, profils dys+ (dyslexie, dysorthographie, etc.), syndrome de la Tourette, douance et profils « twice » (combinant une douance et une autre condition neurodivergente). Le terme « neurominorité » permet de référer à ces différents sous-groupes.

Une norme qui teinte les pratiques

Imaginons une scène organisationnelle commune à savoir une entrevue d’embauche.

Dans cette mise en situation, la conversation est fluide entre la personne candidate et l’équipe de recrutement. On lui demande de décrire une expérience professionnelle passée. Sa réponse surprenante lui vaut un compliment sur son approche novatrice et ses compétences. Dans un élan de confiance, elle déclare en riant qu’on lui reflète souvent sa créativité et ajoute que c’est une des forces de son profil neurodivergent. L’atmosphère change de manière subtile, mais significative : les membres de l’équipe de recrutement échangent des regards interrogateurs ; leur voix est plus hésitante. Cette transition de « candidature innovante » à « embauche risquée », trop de personnes neurodivergentes s’étant dévoilées la connaissent. L’entrevue d’embauche est une épreuve sociale qui souvent s’éloigne inconsciemment de sa fonction d’évaluation des compétences.

Nos stéréotypes cristallisés par des représentations médiatiques simplistes deviennent un élément décisionnel : lorsqu’une personne dévoile sa neurodivergence, ces stéréotypes agissent comme barèmes inconscients de référence. Ils opèrent aussi lors de l’évaluation de la performance ou de l’identification de la relève alors qu’on valorise plus certains profils que d’autres ou qu’on ne considère pas le manque de mesures adaptatives (horaire adapté, télétravail, outils ou logiciels de soutien à la tâche, modes de communication, etc.).

Mise en relief

  • 20 % proportion de profils neurodivergents dans la population générale

Des besoins déjà bien présents en milieu de travail

Une mise en relief est importante : les profils neurodivergents représenteraient environ 20 % de la population générale. Considérant les obstacles pour obtenir un diagnostic, il ne serait pas surprenant que ce portrait soit à réviser. Les nouvelles générations sont aussi plus sensibilisées, ayant eu accès à plus de mesures adaptatives dès la période scolaire. La réflexion s’impose.

La neurodivergence peut exposer à des situations de handicap invisibles et une importante stigmatisation. Le rôle de l’environnement est notable alors que ce sont des attentes neurotypiques qui tendent à dominer dans les milieux de travail. Plusieurs données nous informent de l’ampleur systémique de la situation :

  • Différentes études rapportent de hauts taux de sous-emploi et de non-emploi (66 %) chez les neurominorités, malgré la diplomation, les aspirations professionnelles et les compétences.
  • Jusqu’à 50 % des employées et employés neurodivergents estiment que le dévoilement pourrait limiter leurs possibilités professionnelles ou avoir d’autres répercussions négatives.
  • Seulement 21 % (É.-U.) à 32 % (R.-U.) des personnes salariées ayant un handicap invisible choisissent de le dévoiler aux RH.
  • Il y a surreprésentation - près du double - des profils neurodivergents en entrepreneuriat.

Dernièrement, des programmes spécialisés d’embauche de talents neurodivergents ont émergé. Bien qu’ils présentent des avantages, ils ne sont pas une solution suffisante ni idéale. L’accès à ces programmes est souvent freiné par une frontière diagnostique, un dévoilement obligatoire et des possibilités professionnelles restreintes.

Parler d’inclusion demande de faire autrement dans un système qui hiérarchise encore les identités. On ne peut se contenter d’agir sur le symptôme. Les approches actuelles, quoique bien intentionnées, sont une perpétuation d’un héritage médical, une vision restreinte du handicap, alors qu’une réflexion sociale est essentielle. Sans effacer la conversation diagnostique, nous devons nous pencher sur les dynamiques invisibles que sont notamment la stigmatisation et les systèmes dominants. Les situations de handicap invisibles engendrent encore trop de commentaires réducteurs quant à un « manque d’effort » de la part de la personne neurodivergente tandis que les mesures adaptatives sont vite jugées comme peu légitimes. Il est impératif de se pencher sur ces dynamiques qui agissent dans nos organisations et dans notre société.

Par ailleurs, inclure les neurominorités permet des avantages collatéraux pour l'ensemble de l'écosystème. Il s’agit souvent de bonnes pratiques organisationnelles. En outre, une mesure adaptative neuroinclusive essentielle pour une personne peut être utile à une autre. Par exemple, un logiciel de correction de texte pourrait bénéficier à une personne dyslexique, à celle en apprentissage du français ou simplement soutenir quiconque ayant besoin de corriger un texte.

Le rôle des ressources humaines : par où commencer?

Pour les spécialistes en ressources humaines, cela souligne l'importance de la formation continue et la remise en question de ce qui est tenu pour acquis. Cela passe par des sources fiables et surtout la consultation des personnes neurominorisées.

Il faut dépasser les bonnes intentions et adopter des pratiques allant au-delà des apparences. La culture organisationnelle est définie par ce qu’on vit, entend et observe. Il est crucial de reconnaître qu’il y a perpétuation des stéréotypes et des obstacles pour les différentes communautés marginalisées si l’on souhaite cultiver l’inclusion. La complexité humaine présente son lot de défis. Cependant, au-delà de ces barrières, la complexité, dans toute sa richesse cognitive et identitaire, reste une clé face aux obstacles importants de notre monde en constante évolution.

Ampleur de la situation

  • 66 % taux de non-emploi chez les neuro­minorités
  • 50 % des personnes neurodivergentes estiment que le dévoilement pourrait limiter leurs possibilités professionnelles
  • 21 à 32% des personnes salariées ayant un handicap invisible choi­sissent de le dévoiler aux RH

Références


Author
Fran Delhoume

Author
Melissa St-Louis, CRHA

Source : Revue RH, volume 27, numéro 1 ─ JANVIER FÉVRIER MARS 2024