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Sur la ligne de front

Quand la bourse joue au yoyo et que l’économie s’en va à vau-l’eau, le marché du travail finit inévitablement par en subir le contrecoup. Sur la ligne de front, les spécialistes des relations du travail rationalisent, informent, rassurent et mobilisent. Objectif : garder le cap sur l’avenir et préparer l’après-crise. Visite de l’autre côté du miroir.

12 mai 2009
Guylaine Boucher

Février 2008. Résultat du ralentissement de l’économie mondiale, Bombardier Aéronautique annonce la mise à pied de sept cents personnes au Québec. Dans un jeu de chaises musicales visant à préserver un maximum d’effectif, le géant québécois du transport annonce du même souffle l’embauche ou le transfert de près de quatre cents travailleurs ailleurs dans l’entreprise. C’est que, si la conjoncture économique fragilise temporairement les activités de la firme, l’avenir, lui, s’annonce prometteur et il sera alors primordial de compter sur le plus de travailleurs formés et compétents possible.

Chef des ressources humaines chez Molson Canada, Normand Lépine, CRIA, peut facilement imaginer les efforts déployés par les spécialistes des relations du travail de Bombardier pour maintenir le moral des troupes. C’est que, dit-il, « toutes les entreprises finissent un jour ou l’autre par faire face à l’inquiétude de leurs employés, lorsqu’un peu partout, on parle de récession et de crise économique. Il faut alors, poursuit-il, savoir maintenir un bon climat de travail, même si les choses sont difficiles ».

En vérité, en dehors des périodes où l’économie chancelante mine les relations du travail, la vie d’une entreprise peut être ponctuée de moments charnières tout aussi cruciaux. Directrice des ressources humaines chez Norampac à Drummondville, Julie Pelletier, CRHA, en sait quelque chose. En 2003, l’entreprise, division de Cascades, est passée à un cheveu d’une grève. « Le syndicat avait un mandat de grève officiel en main. Nous avons convaincu les représentants syndicaux de tenter une dernière ronde de négociation et ça a finalement fonctionné, mais il était minuit moins une. »

Même son de cloche à la Société de transport de Montréal (STM) où, après deux ans de négociation, on vient de signer une convention collective de cinq ans avec le personnel de l’entretien. Il aura fallu environ soixante rencontres en présence d’un conciliateur et beaucoup de doigté pour en venir à une entente. « En raison du cadre financier fixe que nous avions, les augmentations de salaire étaient définies à l’avance et les autres mesures mises en place devaient s’autofinancer. En d’autres mots, affirme la chef de division des relations professionnelles, Pascale Dionne, il fallait trouver des solutions novatrices. »

Les solutions mises en place ont finalement pris la forme d’une entente sur l’amélioration de la performance. « Les employés sont, comme nous, préoccupés par la qualité du service à la clientèle. L’augmentation de la performance du réseau en ce qui a trait notamment à l’entretien des autobus aura nécessairement un impact positif sur la clientèle. Il y a aura aussi des économies que nous pourrons réinvestir dans l’amélioration des conditions de travail. Tout le monde est donc gagnant en fin de compte », explique la chef de division, visiblement satisfaite du dénouement de la situation.

Supporter la pression
Cela dit, que ce soit en contexte de négociation ou non, la pression mise sur les équipes de relations du travail est énorme. « Comme responsables des relations du travail, affirme Julie Pelletier, nous sommes au front avec le syndicat. C’est nous qui représentons l’employeur, non seulement pendant les négociations, mais au jour le jour également. Aussi, précise-t-elle, quand nous sommes aux prises avec un problème et que les gens sont fâchés, nous devenons vite LE coupable, même si nous pouvons expliquer et montrer noir sur blanc le passage de la convention collective qui nous permet de faire telle ou telle chose ou qui justifie notre décision. Il faut savoir objectiver les choses et les expliquer. »

Chez Molson Canada, Normand Lépine abonde dans le même sens. À son avis, les positions antagonistes que nourrit très souvent chacune des parties ajoutent un coefficient de difficulté supplémentaire. « Quand je travaille en développement organisationnel, l’essentiel de mon travail se fait auprès des gestionnaires. Ils sont du même côté de la barrière que moi et ils ont, en fin de compte, les mêmes grands objectifs de profitabilité pour l’entreprise. En relations du travail, c’est autre chose. Les gens qui sont face à moi ne poursuivent pas nécessairement les mêmes objectifs que moi. Quand un représentant syndical discute relations du travail, il pense d’abord et avant tout à ses membres. C’est tout à fait normal. Il joue son rôle, comme moi le mien, celui de représentant de l’employeur. C’est normal, mais ça complique parfois les choses et ça ajoute une pression supplémentaire. Celle d’être en mesure de se comprendre et de trouver un terrain commun d’entente. »

Quand on évolue dans le secteur public, où chacun de ses moindres gestes peut avoir un impact sur la vie quotidienne d’un nombre considérable de personnes, comme c’est le cas à la STM, la pression monte également d’un cran. « Nos services permettent d’assurer un million et demi de déplacements par jour. C’est énorme et ça signifie que beaucoup de gens dépendent du bon fonctionnement de nos services. Dans ce contexte, affirme sans hésiter le directeur exécutif des ressources humaines de la STM, Alain Brière, CRHA, la pression sur nos épaules est quotidienne. Pour beaucoup de gens qui utilisent le transport en commun, il n’y a pas de plan B. Il faut donc s’assurer que tout roule et que les relations du travail ne nuisent pas au bon fonctionnement des opérations sur le terrain. En contexte de négociation, ça devient particulièrement critique. »

Des conditions de réussite claires
Heureusement, peu importe le secteur d’activité de l’entreprise, certaines approches ou façons de faire mènent plus facilement au succès. En haut de la liste figurent, selon Normand Lépine, la communication et la transparence. « Quand les gens sont informés périodiquement sur ce que vit l’entreprise, quand on les tient au courant des parts de marché et de l’évolution des ventes par exemple, ils comprennent mieux certaines contraintes ou décisions. Ça facilite les rapports au quotidien et, quand les coups durs arrivent, comme c’est le cas en ce moment pour beaucoup d’organisations, les décisions prises ne deviennent pas nécessairement conflictuelles ou personnelles. Si on doit faire des mises à pied par exemple, les gens qui restent ont généralement compris que ça permet d’assurer la survie de l’entreprise. »

Une telle façon de faire sous-entend toutefois que de bonnes relations du travail dans une entreprise se construisent au jour le jour. Ainsi, à Drummondville, Julie Pelletier affirme qu’une bonne partie de son travail se joue sur le plancher de production. C’est que, affirme-t-elle, « il n’y a pas des centaines de façons de savoir ce qui va et ce qui ne va pas. Il faut être présent au niveau des opérations, à l’écoute et disponibles. Personnellement, chaque jour, je vais dans l’usine voir les travailleurs et parler avec eux. Ça apporte beaucoup à la qualité des rapports et ça permet aussi de vérifier comment se vit la convention collective au quotidien. »

Une ligne de pensée à laquelle Pascale Dionne souscrit également. « Comme responsable des relations du travail, nous devons évidemment nous assurer que la convention collective est respectée, mais nous ne sommes pas non plus uniquement gardiens du petit livre. Le fait d’aller dans les milieux de travail aussi souvent que possible permet, déclare-t-elle, de s’imprégner de la réalité quotidienne des gens et d’apporter des solutions mieux adaptées à ce qui est vécu par eux. Ça donne du poids et de la crédibilité à nos interventions. »

Or, affirme Normand Lépine, la crédibilité est le bien le plus précieux sur lequel un spécialiste en relations du travail peut compter. C’est, à son avis, ce qui fait la différence entre un climat de travail sain ou non. « Quand, en tant que responsable des relations du travail, on te considère crédible et qu’on croit qu’il est possible de se fier à ta parole, des rapports de confiance s’installent et tout est possible. »

Rien de tout cela ne se construit cependant du jour au lendemain. « Il faut, précise le chef des ressources humaines de Molson, être visible, à l’écoute, conséquent dans l’interprétation de la convention collective, équitable et connaître l’entreprise que l’on représente. » Du point de vue d’Alain Brière, le fait de « donner l’heure juste en tout temps et de faire preuve d’ouverture est aussi fondamental ».

Le respect et le soin accordé aux relations établies avec les représentants syndicaux apparaissent aussi cruciaux. C’est pourquoi, une fois par semaine, la directrice des ressources humaines de Norampac rencontre le président du syndicat pour parler des situations vécues par les employés. Cette façon de faire lui permet non seulement d’être informée, mais aussi de préparer le terrain si une nouvelle politique est en voie d’être implantée par exemple ou si des mises à pied sont à prévoir. « Ça permet, dit-elle, de donner l’heure juste aux représentants syndicaux et de leur permettre de se préparer et de préparer leurs membres. »

Un travail d’équipe
L’approche mise de l’avant chez Norampac rappelle, selon Pascale Dionne, le fait que les relations du travail sont une responsabilité partagée dans la vie d’une entreprise. « Les responsables des relations du travail voient aux négociations et à l’interprétation des conventions collectives, mais seuls, ils ne peuvent pas tout faire. Les gestionnaires, aux opérations ou ailleurs, jouent aussi un rôle-clé. Nous devons les soutenir parce que ce sont eux qui appliquent la convention au quotidien. »

Normand Lépine, lui, parle d’un triangle « entreprise, syndicat et employé où chacune des parties est responsable du bon déroulement des choses et peut les influencer ». Une vision qui prend forme dans le quotidien chez Norampac au moyen d’un comité des relations du travail constitué de représentants des employés et des gestionnaires. « Nous voulions pouvoir parler des questions de relations du travail en dehors des périodes de négociation avec un groupe élargi de personnes, parce que nous croyons que chacun peut contribuer à les améliorer », explique Julie Pelletier. L’hypothèse de départ s’est avérée lorsqu’en 2008, les travaux du comité ont mené à la réouverture de la convention collective et ont permis de régler les problèmes d’horaire de travail à l’origine de nombreuses tensions dans l’entreprise. « Le fait de pouvoir s’asseoir tous ensemble, d’impliquer les gens et de démystifier le problème a été majeur. Nous regardions tous dans la même direction et nous sommes parvenus à résoudre un problème qui nous avait presque menés en grève il y a quelques années. Quand une chose comme celle-là arrive dans la vie d’une organisation, c’est magique. C’est aussi cela les relations du travail. »

Guylaine Boucher, journaliste indépendante

Source : Effectif, volume 12, numéro 2, avril/mai 2009.


Guylaine Boucher