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Révolutionner sans tambour ni trompette

Les révolutions tranquilles et ordonnées sont souvent celles qui donnent les meilleurs résultats. C’est ce qui sous-tend l’approche adoptée par la Caisse de dépôt et placement du Québec en matière de santé organisationnelle, au lendemain de la crise financière de 2008. Aucun geste spectaculaire, aucun programme qui réinvente le monde des ressources humaines. Simplement une série de mesures qui répondaient aux véritables besoins exprimés par les équipes. Et beaucoup de cohérence dans leur application au fil des ans.

12 janvier 2014
Frédérick Charette | Nathalie Pronovost

C’est aujourd’hui chose connue et reconnue: une organisation en santé performe mieux. Et ce qui démarque les entreprises en bonne santé, c’est la qualité de leur leadership, une mission bien définie, une vision claire, des valeurs qui se vivent au quotidien ainsi qu’une capacité à exécuter leur stratégie et à s’adapter à l’évolution de leur environnement. La santé organisationnelle n’est évidemment pas l’unique clé de la performance, mais elle joue un rôle très important. À preuve, des études démontrent que, lorsqu’on compare des entreprises qui se situent dans le premier quartile au chapitre de la santé organisationnelle à d’autres qui se classent aux derniers rangs, les premières sont deux fois plus nombreuses à générer des résultats financiers supérieurs à la médiane de leur industrie. Autrement dit, plus on se soucie de la santé organisationnelle, plus on augmente la probabilité d’obtenir une bonne performance financière. Car derrière les résultats financiers d’une entreprise se cachent la mobilisation et la fierté de ses employés.

Quand une crise se superpose à une autre
On a abondamment parlé de l’ampleur de la crise financière de 2008 dans les médias. Il est donc assez facile d’en imaginer les impacts sur le quotidien des équipes d’un investisseur institutionnel de l’envergure de la Caisse. Ce dont on se souvient peut-être moins, c’est qu’au même moment, un flottement se vivait à l’interne au chapitre du leadership. En effet, après l’annonce du départ du président et chef de la direction à la fin de mai 2008, deux personnes ont successivement assuré l’intérim avant la nomination de Michael Sabia en mars 2009. Tout cela pendant que le monde basculait dans la pire crise financière et économique des quatre-vingts dernières années et que les marchés financiers se disloquaient, avec pour conséquence des résultats qui ont fait les manchettes pendant des jours, voire des semaines.

Quand le Québec en entier a les yeux rivés sur l’institution, nul besoin de dire que l’incertitude plane à tous les échelons de l’organisation et que la fierté est durement touchée. Or, dans une institution financière comme la Caisse, la matière première, c’est la matière grise. Ce qu’elle produit, c’est du rendement. Et pour ça, il faut du talent, de l’expertise. Il faut des équipes mobilisées, d’où l’importance d’agir rapidement.

Privilégier les gestes concrets
Quand on vit une pareille crise, ce n’est pas le moment d’exposer de grandes théories. C’est le temps de poser des gestes concrets pour rassurer les gens. À l’échelle de la Caisse, il fallait rebâtir les fondations, pierre après pierre. Revenir à l’essentiel. Sans artifice ni éclat. Et cela commençait par les équipes. L’organisation s’est donc recentrée sur ce qui est à la base de la mobilisation.

Comme la stratégie de l’organisation visait à renforcer la gestion des risques – dont le risque opérationnel – et à cibler la performance à long terme plutôt que les gains rapides et trop souvent éphémères, on a d’abord revu la rémunération pour mieux s’assurer de renforcer les comportements attendus: rigueur, collaboration, service-client. On s’est donné les moyens d’attirer et de conserver les meilleurs talents tout en encourageant une prise de risque mesurée. Ainsi, la performance d’un individu n’est plus l’unique critère entrant dans le calcul de la rémunération incitative. S’y sont ajoutés la performance globale de la Caisse à long terme ainsi que les comportements souhaités et encouragés par l’organisation.

Ensuite, la gestion des équipes. La Caisse regorge de gens très bien formés qui sont d’abord des experts, ensuite des gestionnaires. Des activités de développement du leadership ont donc été mises en place pour les outiller pour qu’ils puissent mieux gérer l’abondance de talents qui composent l’organisation (voir plus loin dans le texte).

Enfin, le bien-être des employés. Aussi simple que cela puisse paraître comme action, l’environnement de travail, au quotidien de la Caisse, a été considéré. Dans un forum de discussion composé d’employés représentant tous les secteurs, ceux-ci ont proposé plusieurs améliorations que la Caisse a implantées. Par exemple, on a facilité l’accès à certains services informatiques à distance, mis en place un encadrement pour faciliter le télétravail tout en maintenant le niveau attendu de collaboration et de productivité, amélioré l’offre alimentaire santé en partenariat avec le fournisseur externe. En somme, la Caisse s’est préoccupée d’éléments qui peuvent sembler anodins lorsqu’ils sont pris isolément, mais qui, globalement, comptent vraiment dans le quotidien de nos gens.

Développement du leadership: un regard humain sur l’humain
Pour que la Caisse puisse naviguer avec succès dans un environnement complexe et changeant, elle doit pouvoir compter sur une équipe de gestion forte, capable de mobiliser ses gens envers l’atteinte des objectifs communs. Or, les indicateurs révélaient qu’il y avait des améliorations à apporter à cet égard. C’est pourquoi on a veillé au développement du leadership des gestionnaires d’équipes. Car ils n’avaient pas besoin d’apprendre à gérer leurs tâches, mais plutôt d’améliorer la gestion des humains et de leurs talents. Des activités de développement transversal mettant l’accent sur la connaissance de soi comme leader et sur la gestion des personnes ont été élaborées. L’approche retenue est dynamique, fondée sur l’expérience des participants et fait appel à des méthodes d’apprentissage variées, très ancrées dans le concret et efficaces.

À ce jour, un grand nombre de participants ont salué le fait que les activités mettent l’accent sur l’humain. Il faut bien l’avouer, c’est un choix qui est plutôt inhabituel dans le domaine financier. Et les résultats sont au rendez-vous puisqu’en moins de deux ans, l’évaluation du leadership a connu une nette amélioration. Il en va de même pour le niveau de mobilisation des employés.

Mobiliser plus de 800 personnes autour d’une vision
Depuis 2008, la Caisse évolue dans un environnement économique et financier en profonde transformation. C’est pourquoi un vaste exercice de consultation a été lancé en 2012 afin de définir les principes qui devraient guider le travail. Pendant plusieurs mois, quelques centaines d’employés ont participé à une démarche de collaboration – rencontres, ateliers, plateforme web – visant à réfléchir sur les comportements qui serviraient le mieux la Caisse. Le tout a mené à l’élaboration d’une vision commune. Une vision qui n’est pas le fruit de la réflexion d’une poignée de dirigeants ou de quelques consultants externes, mais bien de l’ensemble des employés. Une vision mobilisatrice à laquelle les gens adhèrent avec conviction.

Lancée en décembre 2012, cette vision suscite leur enthousiasme parce qu’elle reflète leurs aspirations et qu’elle correspond à la mission de l’institution. Son contenu et la campagne de communication qui en a découlé ont permis de rallier les troupes et de susciter la fierté des gens. Le défi consiste maintenant à la maintenir au fil des ans.

Maintenir le cap, année après année
L’approche de santé organisationnelle adoptée n’a pas la prétention de réinventer la roue. Une révolution n’a jamais été annoncée aux équipes. Mais elles ont été consultées et, surtout, écoutées. Leurs commentaires ont permis de créer et d’implanter des mesures qui répondent vraiment à leurs besoins et à leurs préoccupations.

De plus, non seulement l’équipe chargée du projet s’est assurée d’avoir l’aval de la haute direction et du conseil d’administration dès le départ, mais elle a élevé la santé organisationnelle au rang d’outil de gestion. Elle mesure formellement ses quatre dimensions (leadership, direction, exécution et renouvellement) tous les ans à l’aide d’un questionnaire validé statistiquement et les résultats sont soumis au conseil d’administration. Cela permet de voir ce qu’il faut améliorer et où investir des efforts. C’est de cette façon qu’un lien concret est établi entre la santé organisationnelle et la performance.

À ce jour, l’ensemble de la démarche a donné des résultats probants. Et le meilleur indicateur réside sans doute dans la fierté, puisque près de 90 % des employés de la Caisse affirment aujourd’hui qu’ils sont fiers d’y travailler et de contribuer à sa mission. Sachant d’où l’on partait et connaissant le rôle de la fierté dans la mobilisation, c’est un résultat remarquable.

Certes, il reste encore des éléments à mettre en place. Mais on peut affirmer sans l’ombre d’un doute que la Caisse a retrouvé la santé. Cela dit, il n’est pas question qu’elle s’endorme sur ses lauriers : elle devra poursuivre ses efforts et maintenir le cap année après année. Après tout, la mobilisation est un travail de tous les instants et la performance en dépend.

LA CAISSE EN BREF
  • Un des plus importants gestionnaires de fonds institutionnels au Canada et en Amérique du Nord.
  • Actif net de 176,2 G $ au 31 décembre 2012.
  • Gestion des fonds de 30 clients, principalement des régimes de retraite et d’assurances publics et privés.
  • Mission visant à répondre aux besoins de rendement de ses clients pour qu’ils puissent respecter leurs obligations à long terme, tout en contribuant au développement économique du Québec.
  • 813 employés.

Frédérick Charette, premier vice-président, gestion des talents et développement organisationnel, Caisse de dépôt et placement du Québec, et Nathalie Pronovost, CRHA, directrice conseil principale, développement des compétences et de l’organisation, Caisse de dépôt et placement du Québec

Source : Effectif, volume 16, numéro 5, novembre/décembre 2013.


Frédérick Charette

Nathalie Pronovost