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Retour au travail : le rôle des acteurs clés

Depuis une décennie, les problèmes de santé mentale constituent l’une des causes les plus importantes d’absence du travail. Les prestations d’invalidité attribuables aux problèmes de santé mentale, comme la dépression ou le trouble de l’adaptation, ont doublé au cours des dix dernières années. Au Québec, 30 % à 50 % des absences du travail pour invalidité de longue durée (plus de six mois) seraient attribuables à des problèmes de santé mentale.

5 mai 2010
Pierre Lemieux, CRHA, et Marc Corbière

De fait, la dépression affecte hommes et femmes de tous âges et de tous statuts sociaux. Et selon Statistique Canada, de 4 % à 10 % des travailleurs adultes nord-américains sont aux prises avec un épisode de dépression au cours d’une année donnée et la perte de productivité ainsi occasionnée se chiffre à plusieurs milliards de dollars annuellement, au Canada seulement.

Par ailleurs, les récentes connaissances scientifiques suggèrent que les incapacités provoquées par les problèmes de santé mentale sont de nature multifactorielle. La littérature spécialisée a notamment mis en lumière que le milieu de travail est parmi les causes importantes de l’arrêt de travail. Par exemple, dans une recherche faite auprès d’employés de la fonction publique du Québec en 2004, St-Arnaud, St-Jean et Damasse indiquent que plus de 90 % des personnes s’étant absentées pour un problème de santé mentale ont fait référence, en tout ou en partie, à la vie professionnelle pour expliquer la détérioration de leur état de santé et leur arrêt de travail.

Devant cette situation, les employeurs n’ont d’autre choix que de se tourner vers la prévention et d’examiner leurs pratiques de gestion de l’invalidité. Plus particulièrement, ils doivent mettre leur priorité sur le processus facilitant le retour au travail d’une personne qui souffre d’un problème de santé mentale. Leur rôle à cet égard ainsi que l’impact de leurs attitudes à l’égard du retour au travail des travailleurs ayant un problème de santé mentale sont importants.

Rappelons d’abord quelques concepts clés inhérents à cette problématique.

L’action concertée
La recherche sur la gestion de l’invalidité révèle que le processus du retour au travail va bien au-delà de la réduction des symptômes de la maladie. En fait, il s’agit d’un processus complexe qui doit aussi prendre en compte l’interaction entre la personne en invalidité et trois principaux systèmes, soit le système de soins de santé, l’environnement de travail et le système de compensation financière.

Ainsi, on sait maintenant que le travailleur, ses collègues, les représentants de l’employeur et plus particulièrement le supérieur immédiat, les professionnels de la santé, le syndicat et l’assureur, dans leur façon d’interagir, viendront appuyer ou, au contraire, compromettre de façon significative le processus de retour au travail. L’accent doit donc être mis sur une démarche de collaboration entre ces divers acteurs. Cela devient encore plus déterminant quand la personne en invalidité souffre d’une perte d’estime de soi, car elle est alors plus vulnérable aux incongruités ou aux divergences de vues des personnes impliquées dans le processus de son éventuel retour au travail.

Les mesures d’accommodement
Il est démontré que, dans la majorité des cas d’absence pour invalidité, il est important que l’employé puisse revenir dans son milieu de travail le plus rapidement possible. En effet, la recherche nous enseigne que le travailleur, privé de l’accès à son lieu de travail, et par le fait même des interactions avec ses collègues de travail, peut ressentir une détresse psychologique qui peut exacerber les symptômes de sa condition mentale. L’exclusion du milieu de travail a donc un impact considérable sur la santé de la personne.

La disponibilité de mesures d’accommodement devient alors un facteur crucial de succès du retour au travail. Parmi les formes d’accommodement les plus répandues, mentionnons notamment le retour progressif, le travail allégé ou les tâches modifiées, le partage des tâches avec un collègue, la flexibilité de l’horaire et des aménagements au poste de travail. Toutefois, s’il n’y a pas d’action concertée des divers acteurs, la réussite du retour au travail ne sera pas assurée, et ce, même si l’entreprise applique un processus rigoureux de gestion de l’invalidité, incluant la mise en place de mesures d’accommodement.

La divulgation du problème de santé mentale et le stigmate social
Divulguer ou non son problème de santé mentale en milieu de travail est une question essentielle à se poser : cette annonce peut en effet renforcer la stigmatisation sociale rattachée aux maladies mentales. Trop souvent, la personne concernée pense avoir le choix entre vivre sa situation dans la confidentialité ou vivre avec le regard soupçonneux des autres. Cependant, il y a des avantages à faire connaître la nature de l’invalidité. Par exemple, on a pu déterminer que la personne vit moins le stress relié au fait qu’elle n’a pas à cacher son problème. De même, en dévoilant la nature de son incapacité, elle peut avoir accès à des accommodements, puisque son employeur est tenu de lui offrir ces accommodements, pour autant qu’ils ne lui causent pas une contrainte excessive.

Par ailleurs, il est vrai qu’en divulguant son problème de santé mentale, l’employé peut s’exposer aux attitudes discriminatoires de certains collègues. Son supérieur immédiat pourrait aussi ressentir de l’inconfort, ne sachant pas quoi dire et comment agir en une telle situation. D’où l’importance d’offrir en milieu de travail des activités de sensibilisation et d’information sur les problèmes de santé mentale et, plus particulièrement, une formation aux supérieurs immédiats sur l’accompagnement d’une personne ayant un problème de santé mentale lors de son retour au travail.

Le rôle de certains acteurs clés
Divers facteurs vont influencer le retour au travail d’un travailleur qui éprouve un problème de santé mentale. On peut penser, par exemple, à sa perception du contexte prévalant dans son milieu de travail avant son arrêt de travail, à l’impact de son retour sur l’environnement de travail ou sur ses collègues ainsi qu’à la surcharge de travail qui pourra être occasionnée par son retour progressif.

La direction de l’organisation
Lorsqu’un employé est absent pour invalidité, l’employeur fait face à un contexte qui l’incite fortement à prévoir des mesures efficaces de retour au travail. Outre l’augmentation significative des prestations d’invalidité qui exercent une pression financière de plus en plus importante sur la rentabilité de l’organisation, il a des obligations portant sur son devoir d’accommodement qui ont été clarifiées par la jurisprudence. En effet, afin de ne pas faire preuve de discrimination sur la base d’un handicap, l’employeur est tenu de consacrer les ressources nécessaires à l’adaptation du milieu de travail pour permettre au travailleur d’accomplir son travail en étant productif.

Des entrevues avec des gestionnaires apportent un certain éclairage sur le rôle de l’employeur dans le cadre d’un retour au travail. Ainsi, plusieurs supérieurs immédiats se disent tiraillés entre deux discours. Le premier dit que la santé et la sécurité des employés sont importantes et que ceux-ci représentent la plus grande valeur de l’entreprise; le second s’intéresse aux indices de productivité et de rentabilité. On peut alors comprendre la difficulté qu’ils ont à trouver un juste équilibre entre ces deux discours.

En revanche, certaines organisations ont pris un virage important en ce sens, avec de bons résultats à la clé. Un des facteurs de succès est le leadership assumé par la haute direction. Par exemple, dans une entreprise, la direction a clairement annoncé aux employés son engagement à favoriser la réintégration des employés en arrêt de travail et la mise en place de mesures d’accommodement à cet égard. Cette annonce a permis aux personnes responsables de la gestion de l’invalidité de prendre des mesures concrètes en travaillant plus étroitement avec les supérieurs immédiats. Ces derniers ont alors démontré une plus grande ouverture au retour précoce des employés, car la direction ne les pénalisait pas pour une baisse temporaire de productivité. Un autre élément clé était une formation sur la problématique de la santé mentale, offerte à tous les employés, ainsi qu’un module spécifiquement destiné aux supérieurs immédiats afin de les aider dans le processus d’un retour au travail.

Le service des ressources humaines
Curieusement, il y a encore peu de recherches sur le retour au travail vu sous l’angle du service des ressources humaines. Pourtant, la gestion de l’invalidité et du retour au travail vise une performance accrue de l’organisation par une meilleure réponse aux besoins spécifiques d’employés en difficulté. En cela, elle s’inscrit parfaitement dans la fonction ressources humaines. Mais on note effectivement que certaines organisations délèguent souvent la gestion administrative de l’invalidité et les décisions relatives au retour au travail à un assureur externe, en collaboration avec leur service médical, le cas échéant.

Avec les données probantes qui préconisent une action concertée de tous les partenaires, il apparaît que le service des ressources humaines pourrait assumer un rôle d’agent de liaison entre les services de santé, l’assureur, le supérieur immédiat et l’employé. De plus, il pourrait aussi fournir l’appui nécessaire autant à l’employé lors de son retour au travail qu’au supérieur immédiat. Il est à noter que, pour certains auteurs, le rôle d’interface entre les différents services et acteurs peut être assumé par le service de santé et de sécurité du travail ou par une personne externe spécifiquement affectée à ce travail.

Les syndicats
Le rôle premier d’un syndicat est la défense des droits des employés et la promotion de la qualité de vie au travail. Si ce principe apparaît évident quand il est question du retour au travail d’un employé en invalidité, son application concrète peut devenir plus délicate.

Dans le cadre d’un projet de recherche, des discussions avec des représentants de centrales syndicales québécoises ont démontré que celles-ci sont conscientes de l’efficacité des nouvelles approches sur le retour au travail; elles savent notamment qu’il est important de permettre au travailleur de revenir rapidement au travail et d’avoir une action concertée à cet égard. Cependant, des réticences peuvent se manifester sur le terrain, car certains se questionnent sur la motivation première d’une entreprise à vouloir ramener rapidement un travailleur à son poste de travail. Autrement dit, un tel retour au travail est-il effectué dans le respect du mieux-être de l’employé? Le représentant syndical peut parfois être tenté d’inciter l’employeur à « laisser l’employé tranquille » et cette solution s’avère parfois préférable. Cependant, des données probantes démontrent aujourd’hui qu’un retour au travail plus rapide, soutenu par une approche progressive et thérapeutique, est préférable dans la majorité des cas.

Il peut aussi arriver que le droit d’un employé à un retour au travail nécessitant des accommodements vienne en contradiction avec certaines dispositions d’une convention collective. Il faut en effet être conscient que des conditions de travail devront possiblement être modifiées pour lui permettre d’offrir sa prestation de travail. Personne, incluant le syndicat, ne peut se soustraire à cette obligation. Il va de soi que l’employeur et le syndicat chercheront d’abord des mesures d’accommodement qui respecteront au mieux les conditions de travail prévalant dans l’entreprise, et ce, en vue de favoriser l’adhésion des collègues au plan de retour au travail. Ceci est d’autant plus justifié que le retour au travail dans les mêmes tâches et conditions (ou similaires) est thérapeutique pour un travailleur et améliore ainsi ses chances de réussite à cet égard.

Le supérieur immédiat
De tous les acteurs clés, le supérieur immédiat est probablement celui sur qui repose la plus grande responsabilité. En effet, différentes études nord-américaines et européennes montrent que la majorité des employés, questionnés sur les facteurs ayant le plus influencé leur retour au travail, citent les comportements de leur supérieur immédiat. En effet, ceux-ci peuvent facilement perturber tous les efforts entrepris par ailleurs pour venir en aide à l’employé. Les employés s’attendent à recevoir de la compréhension et du soutien de la part de leur supérieur immédiat. Qui plus est, c’est également sur les épaules ce dernier que repose la possibilité de mettre en place des mesures d’accommodement.

Il est aussi intéressant de prendre connaissance directement de l’opinion des supérieurs immédiats à propos des facteurs de réussite ou d’échec du retour au travail d’un employé en invalidité. Si la grande majorité des supérieurs immédiats sont conscients de l’importance de leur rôle, ils ne perçoivent pourtant pas qu’ils ont tous les éléments en main pour exercer pleinement le rôle qu’on leur attribue. À titre d’exemple, ils mentionnent que, compte tenu des pressions pour une meilleure productivité et un contrôle serré des coûts, ils voient négativement les retours progressifs au travail, en raison justement d’une productivité moindre du travailleur et du soutien constant qu’il nécessite. Pourtant, certaines entreprises ont réussi à améliorer cet aspect par une directive claire de la haute direction.

Par ailleurs, les supérieurs immédiats s’interrogent à propos du caractère confidentiel de la nature de l’invalidité. Le principe de la confidentialité est important, mais en même temps, si on veut que le supérieur immédiat participe activement au processus de retour au travail, il doit avoir suffisamment d’informations de son employé pour être en mesure d’identifier correctement, et avec son aide, les mesures d’accommodement requises. Il doit posséder également les renseignements nécessaires pour préparer le milieu de travail à accueillir correctement l’employé.

Enfin, mis à part les situations où le supérieur immédiat peut lui-même être à l’origine de l’arrêt de travail, les recherches démontrent qu’il peut jouer un rôle important dans la réintégration d’un employé, par le maintien d’une bonne communication avec lui tout au long du processus. Cependant, la littérature indique que les supérieurs immédiats n’ont pas nécessairement les connaissances et les habiletés requises pour bien communiquer avec un travailleur ayant un problème de santé mentale et qu’au contraire, ils se sentent très souvent démunis.

Conclusion
Devant l’ampleur du phénomène, les entreprises doivent se pencher sur leurs pratiques de prévention et de gestion de l’invalidité. L’action concertée dans le cadre du retour au travail de personnes avec un problème de santé mentale est particulièrement importante. Ainsi, les acteurs du milieu de la santé, de l’assureur et de l’entreprise doivent travailler ensemble afin de permettre un retour au travail à la fois rapide et thérapeutique.

En outre, malgré des mesures d’accommodement, l’employé aux prises avec un problème de santé mentale sera confronté à diverses difficultés au moment de son retour. Différents acteurs clés au sein de l’entreprise ont un rôle particulier à jouer afin de l’aider à surmonter ces difficultés. Certains comportements sont déterminants et il est important de sensibiliser les employeurs à cette situation. Il est démontré que le rôle du supérieur immédiat est fondamental, notamment dans la création d’un contexte propice à la réintégration au travail. Mais en même temps, l’employé lui-même a un rôle majeur à jouer dans le cadre de son retour au travail. En effet, il est entendu que sa participation à la démarche de retour au travail est indispensable et que sa bonne collaboration sera déterminante pour obtenir le concours du milieu de travail.

En résumé, la démarche de retour au travail des travailleurs aux prises avec un problème de santé mentale va bien au-delà de la rémission des symptômes; elle doit s’inscrire dans une dynamique qui nécessite, entre autres, l’intégration et la participation des acteurs clés de l’entreprise.

Pierre Lemieux, CRHA, et Marc Corbière, Ph. D., professeurs, École de réadaptation, Université de Sherbrooke

Source : Effectif, volume 13, numéro 2, avril/mai 2010.


Pierre Lemieux, CRHA, et Marc Corbière