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Mieux-être : créer un modèle durable de responsabilité de l'entreprise

Au sein de la plupart des organisations vit sous une forme ou sous une autre une toxine immatérielle. Fait inquiétant, cette toxine prolifère et envahit aussi nos maisons, nos familles et nos collectivités. Ses conséquences sont aussi dévastatrices que celles d’un déversement de pétrole sur l’environnement.

[In English Well-being: Create a long-term model for corporate responsibility]

15 octobre 2010
Diane Wiesenthal, CHRP

Conférence – Beyond Workplace Wellness… Building a Sustainable Model for Corporate “People” Responsibility

Cependant, les effets de cette toxine sur les êtres humains sont beaucoup plus difficiles à détecter et à quantifier, ce qui expliquerait pourquoi personne ne monte aux barricades pour protester contre cette injustice.

Cette toxine naît dans les environnements de travail pollués et elle vit et se reproduit là où les pratiques inefficientes, les patrons incompétents et les employés toxiques peuvent sévir en toute liberté. Ne nous y trompons pas, là où il vit et croît, ce virus est un adversaire à prendre au sérieux et tenter de le contenir et de l’empêcher de se propager n’est pas une mince tâche.

Ce poison tue ni plus ni moins les entreprises, même s’il donne la mort lentement par milliers de petites compressions, et il affecte bien sûr les personnes. Comment les gestionnaires des ressources humaines peuvent-ils influencer l’efficacité organisationnelle lorsqu’ils sont confrontés à cette force aussi sournoise que dévastatrice? D’abord en débusquant systématiquement et méthodiquement les sources de la toxine (les processus tout comme les personnes) et en la neutralisant ou en l’éliminant du lieu de travail. Il existe plusieurs méthodes d’élimination dont l’éducation, la responsabilisation à l’égard des actions et de leurs conséquences ou l’expulsion des personnes toxiques volontairement ou involontairement incapables de changer et l’abolition des processus inadéquats.

Pourquoi fait-on vivre ces turbulences et cette dysfonction aux employés talentueux et loyaux qui ont la responsabilité de réaliser les promesses du plan d’affaires? C’est là un éternel mystère. Et pourtant, on permet que ces situations perdurent. Les raisons de cet état de fait sont certes très complexes. Souvent, c’est le système même qui protège et permet cette dysfonction, principalement parce que les êtres humains préfèrent ne pas voir les problèmes et espèrent qu’ils vont simplement « disparaître d’eux-mêmes ». Il est également difficile de détecter et de localiser un problème avec précision et on a tendance à accepter des exceptions à la règle  « Bien sûr, mais vous connaissez Jean; il ne fait pas ça pour mal faire et, de toute façon, il est brillant et nous ne pouvons nous passer de lui. » Or, justement, on peut se passer de lui et on peut même le plus souvent très bien se passer de lui. Si les règles et politiques ne s’appliquent pas à tous et si les cadres n’en exigent pas le respect, il vaut mieux les éliminer parce qu’elles sont alors totalement inutiles. En fait, les règles et politiques qui sont uniquement théoriques posent un risque important et engagent la responsabilité des entreprises.

Des méthodes dépassées…
À une époque où tout évolue de façon rapide et continue, les méthodes traditionnelles de gestion des ressources humaines ne sont plus efficaces. Encore aujourd’hui, la profession est fermement enracinée dans l’ère des relations industrielles, la plupart des principaux programmes de gestion des ressources humaines ayant été conçus dans les années 1950. On les a rénovés en appliquant de nouvelles couleurs ou du papier peint, mais face aux nouvelles réalités du monde des affaires, ces programmes ne sont plus efficients et efficaces. Ils sont également la source des vives critiques formulées à l’égard de la profession, perçue comme un frein aux activités et à la transformation des entreprises. Les programmes et services de gestion de ressources humaines doivent être restructurés pour tenir compte de la rapidité avec laquelle les entreprises changent et, mieux encore, pour prendre les devants afin de permettre la durabilité des entreprises et leur fournir le soutien pour lequel ils ont été conçus.

La transformation de l’être humain et celle de l’entreprise sont toutes deux difficiles à réaliser, mais elles sont totalement interdépendantes. Lorsqu’on améliore les processus d’affaires et l’environnement de travail, l’être humain réagit étonnamment bien. Lorsque l’être humain prend soin de sa santé, il a plus d’énergie à consacrer à la productivité de l’entreprise. Ces principes fondamentaux sont d’une simplicité désarmante. Pourtant, s’ils sont incroyablement simples, ils n’en sont pas moins extrêmement difficiles à mettre en application.

Par exemple, chaque individu sait que, pour être en santé, il doit bien manger et être physiquement actif. Pourtant, il trouve un million de raisons et d’excuses pour ne faire ni l’un ni l’autre. On peut dire la même chose pour la santé d’une organisation. Nous savons bien ce qu’il faut faire, mais il faut mettre beaucoup de temps pour apporter les changements nécessaires, et nous avons un million de raisons et d’excuses pour ne rien faire.

Responsabilisation et durabilité
Alors, quelle est l’étincelle qui incite à agir et à favoriser le mieux-être tant des personnes que de l’organisation? La réponse est simple  la responsabilisation et la durabilité. Prenons cette simple analogie  lorsque les vêtements d’une personne deviennent trop serrés, deux possibilités s’offrent à elle  engager des coûts pour acheter une nouvelle garde-robe ou mettre en œuvre un plan pour réduire son poids. De même, lorsque les budgets d’une entreprise deviennent trop serrés en raison d’une augmentation des coûts attribuable à l’invalidité, à la perte de productivité, etc., il y a aussi une alternative  engager des coûts pour acheter de nouveaux programmes et pour financer les programmes actuels ou adopter un plan pour réduire au minimum la dysfonction et les pertes.

Éliminer les causes du stress…
Les coûts cachés qui saignent les budgets des entreprises sont stupéfiants. Perte de productivité, diminution de la mobilisation, flux de tâches inefficientes, dédoublement du travail, la liste s’allonge et l’argent s’envole. La liste des problèmes de santé est tout aussi longue. Le stress se manifeste comme un symptôme de ces problèmes de santé de l’organisation et des personnes. Malheureusement, en général, la réaction consiste à trouver des solutions de fortune pour traiter les symptômes, plutôt que de chercher l’origine de la maladie et d’investir pour la guérir.

On a pour habitude d’axer l’essentiel des efforts sur la gestion du stress, qui n’est pourtant qu’un symptôme. Il faut plutôt creuser davantage pour trouver et éliminer les causes du stress. Souvent, cela signifie qu’il faut trouver le responsable d’un problème et attribuer à l’employeur ou à l’employé concerné la tâche de le résoudre, ce qui n’est pas facile, car l’être humain est porté à se cabrer et à tout faire pour démontrer qu’il n’est pas le responsable. Pourtant, il est crucial de toujours attribuer la responsabilité à celui auquel elle appartient pour créer des environnements de travail sains et durables.

…et contrer la manie du blâme
Il y a également une autre force à contrer. Notre société aime blâmer. Une personne en blâme une autre souvent sans avoir les connaissances ou l’information nécessaires, peut-être parce qu’elle est simplement trop paresseuse pour rassembler les faits ou parce que les faits ne correspondent pas à son système de valeurs et qu’elle ne veut pas consacrer du temps à apprendre quelque chose de nouveau. Il en résulte des situations où un employé ou un employeur blâme tous les autres pour ses problèmes et ne veut simplement pas reconnaître ses propres actions et décisions et en accepter la responsabilité.

Par exemple, certains employés ont tendance à apporter leurs problèmes personnels au travail et tentent d’attribuer la responsabilité de ces problèmes à l’employeur. Souvent, le milieu médical ajoute à la complexité de la situation en confirmant les perceptions de l’employé (alors qu’il ne connaît qu’une version du problème). Et c’est sans compter des systèmes judiciaires complexes qui permettent que soient entendues des plaintes souvent exagérées et qui ont des réglementations parfois contradictoires. Pour leur part, les employeurs ont tendance à blâmer les employés pour les délais non respectés ou la baisse de productivité, et ils imposent des attentes irréalistes. Des flux de tâches et des méthodes de travail dysfonctionnelles dans un environnement complexe compliquent encore davantage ces problèmes. Comme personne ne collabore pour se pencher sur les vraies questions, on ne s’étonne pas que l’issue soit désastreuse et le redressement, coûteux.

Il est très difficile de traiter le syndrome du blâme, mais pas impossible. Pour aider les employés affectés par cette maladie, il faut souvent prescrire une bonne dose de réalité et ne plus permettre le comportement dysfonctionnel. Certains considèrent que c’est une mesure sévère, mais en réalité, en adoptant cette solution, on traite au contraire ces personnes enfin avec respect. Il faut avoir la discussion franche qui va faire en sorte que l’individu ne sera plus le seul à ne pas savoir que son comportement est insupportable. Si on peut réussir à réhabiliter la personne pour qu’elle ait une activité plus productive, n’est-ce pas le but ultime?

Un modèle durable de mieux-être
Pour aider les employeurs à relever ce défi, les gestionnaires des ressources humaines peuvent commencer par établir un plan d’action en vue de l’élaboration et de l’intégration d’un modèle durable de mieux-être en milieu de travail. La tâche peut être intimidante parce qu’elle concerne le domaine du changement de culture, favorisant la responsabilisation des employés et des gestionnaires et définissant le lieu de travail comme un avantage concurrentiel. On prépare ainsi la voie à l’élaboration d’un cadre pour la responsabilité des entreprises envers leurs ressources humaines générateur d’avantages concrets qui en valent la peine.

La responsabilité de l’entreprise envers ses ressources humaines signifie qu’il faut investir dans la protection des environnements de travail pour améliorer la mobilisation et la productivité, réduire les coûts et augmenter le bénéfice net. Cela signifie qu’il faut concevoir et créer des programmes pour le personnel qui mobilisent le cerveau et l’esprit en vue d’exploiter le vaste potentiel et le talent qui existent au sein des entreprises et évaluer le rendement de l’investissement.

L’être humain est complexe et ses besoins également. Il n’y a pas de solution unique qui convienne à tous. Dans l’empressement à assurer « l’équité ou l’égalité », on a en fait créé des lieux de travail qui favorisent l’apathie et la complaisance. On a écrasé la créativité, les personnes en sont venues à croire qu’elles n’ont aucun contrôle sur leur travail et elles ont par conséquent perdu tout intérêt et toute motivation, comme en font foi les statistiques sur le pourcentage de Nord-américains qui disent détester leur travail. Cette situation est inquiétante, démoralisante et malsaine pour les personnes, les entreprises, les familles et les collectivités.

Même dans les postes d’autorité, on retrouve le syndrome du « comité décisionnel ». Qui assume la responsabilité des décisions? Chacun fait porter le blâme à l’autre et le système encourage cet état de fait. Ce type d’environnement est une condamnation à mort des employés et des organisations.

Il est temps de transformer les environnements de travail pour éveiller la passion, mobiliser les cerveaux et exploiter le potentiel humain. Il est temps également de privilégier une nouvelle orientation pour que les professionnels de la gestion des ressources humaines puissent aider les entreprises à 

  • éliminer ou à réduire au minimum les comportements toxiques et les méthodes de travail et structures organisationnelles dysfonctionnelles;
  • responsabiliser les personnes dans l’ensemble de l’organisation;
  • accroître le leadership et la responsabilisation de la direction;
  • concevoir des postes en fonction des forces des personnes pour exploiter le talent;
  • concevoir des systèmes et programmes visant à responsabiliser les employés;
  • investir dans la formation pour rendre les personnes autosuffisantes, leur donner les bons outils et leur permettre de contribuer à ajouter de la valeur;
  • créer des contextes d’apprentissage agréables, sains et stimulants.

En intégrant des solutions relatives aux ressources humaines pour répondre aux besoins des entreprises et en mettant en œuvre ces solutions avec la collaboration des dirigeants, les professionnels de la gestion des ressources humaines ont la possibilité de transformer les personnes et les entreprises. Il est possible de placer le concept du mieux-être au cœur du développement organisationnel pour accroître la productivité, favoriser la mobilisation, une culture d’innovation et la durabilité.

Voilà les nouveaux défis d’une gestion des ressources humaines stratégique et à valeur.

Diane Wiesenthal, CHRP, vice-présidente, Services aux personnes et organisationnels, La Commission canadienne du blé

Traduit par Danièle Veillette, traductrice agréée. 

Source : Effectif, volume 13, numéro 4, septembre/octobre 2010.


Diane Wiesenthal, CHRP