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Mieux encadrer le réseautage social au travail

À chaque minute, des milliers de personnes se joignent à l’un ou l’autre des réseaux sociaux actuellement en vogue dans Internet. L’utilisation qu’en font leurs millions d’usagers est non seulement diversifiée, mais elle évolue aussi avec le temps.

1 mars 2011
Pierrick Bazinet

Le phénomène demeure relativement nouveau pour les employeurs et est constamment appelé à se transformer. Des enjeux importants se dessinent, que l’on soit salarié ou employeur.

L’univers des médias sociaux évolue donc rapidement et amène l’employeur à s’y intéresser dans la gestion quotidienne de son entreprise. Ainsi, après s’être renseigné sur les caractéristiques propres aux différents sites de réseautage, il sera intéressant pour le gestionnaire d’en connaître le fonctionnement. Une fois cette étape franchie, l’employeur sera en mesure de faire une meilleure évaluation des possibilités qui s’offrent à lui et des décisions qu’il sera amené à prendre, notamment la mise en place d’une politique d’entreprise concernant les médias sociaux.

Si l’utilisation des médias sociaux par les salariés en dehors du travail ne pose généralement pas de problème, il y a tout de même quelques risques potentiels liés aux interventions qu’ils peuvent y faire : manquement aux obligations de loyauté et de confidentialité, harcèlement psychologique, atteinte à la réputation de l’entreprise, incluant aussi la responsabilité potentielle de l’employeur à l’égard des dommages que pourraient subir des tiers.

La politique d’entreprise constitue le principal outil de l’employeur pour prévenir de tels risques. Elle représente également un moyen efficace pour le gestionnaire désirant communiquer à ses salariés les conséquences que peuvent entraîner leurs interventions dans les médias sociaux. En voici les principaux éléments…

Utilisation d’Internet durant le travail
Le moment est tout indiqué pour décider si l’utilisation d’Internet à des fins personnelles est autorisée durant les heures de travail et dans quelle proportion. En effet, les dernières statistiques démontrent une augmentation marquée de la fréquentation des médias sociaux pendant le travail. Si une politique générale concernant l’utilisation d’Internet existe déjà, il suffira d’y faire référence. Sinon, il peut être nécessaire d’énoncer clairement si l’utilisation d’Internet à des fins personnelles est tolérée ou non, et dans quelles circonstances.

Objectifs
De façon à assurer une bonne compréhension des motifs de l’introduction d’une politique sur les médias sociaux, l’employeur doit informer ses salariés des buts recherchés. Certains favoriseront la participation des salariés aux médias sociaux et voudront donc veiller à la cohérence et à la pertinence de l’information qui y sera véhiculée; d’autres voudront limiter les interventions de leurs salariés pour éviter les conséquences indésirables pour leur entreprise.

Dans tous les cas, on devra s’assurer que les salariés comprennent bien la position de l’employeur concernant l’utilisation des médias sociaux. N’oublions pas que l’objectif premier de la politique est d’énoncer les critères et lignes de conduite établis par l’employeur en matière d’utilisation des médias sociaux et de guider les employés à cet égard.

Champ d’application de la politique
Il est fondamental d’identifier précisément les salariés à qui s’appli­que la politique d’entreprise. Certains employés seront appelés, dans le cadre de leurs fonctions, à représenter l’entreprise dans les médias sociaux. Une politique spécifiquement applicable à ces salariés pourrait alors être requise. Autrement, la politique doit identifier les salariés ou groupes de salariés concernés.

Également, il serait bon de souligner que les directives s’appliquent en tout temps, durant ou après les heures de travail. Bien que l’employeur ne puisse pas empêcher ses salariés d’être actifs sur les médias sociaux en dehors du travail, il doit leur rappeler que certaines obligations leur incombent en tout temps.

Définitions
La politique doit définir en quoi consistent les médias sociaux. Il est donc utile pour l’employeur, après avoir dressé le portrait de ce que constitue de façon générale le concept de « médias sociaux », de définir chacun des principaux sites, en ouvrant la porte à d’autres sites de même nature. En ce moment, il s’agit essentiellement de Facebook, LinkedIn et Twitter.

Lignes directrices
La politique est l’occasion pour l’employeur de rappeler aux salariés le code de conduite qui régit les interactions entre les salariés et avec les tiers. Un tel code de conduite, qui relève souvent de la simple logique, peut s’avérer nécessaire dans l’utilisation des réseaux sociaux. En effet, les études démontrent que les utilisateurs de médias sociaux y adoptent très souvent un ton familier, sans se soucier de la diffusion élargie du contenu des conversations.

Ainsi, et d’autant plus si les salariés s’identifient comme membres de l’entreprise, il est utile de leur recommander de s’assurer de la véracité de l’information transmise, d’être en tout temps respectueux des autres utilisateurs et des intérêts de l’entreprise ou encore d’être modérés dans les propos tenus à l’endroit d’entreprises concurrentes. Il s’agit de donner ainsi aux salariés un guide leur permettant d’utiliser correctement les médias sociaux.

Ressources en cas de questionnement
Selon l’utilisation que les employés voudront faire des médias sociaux, diverses questions sont susceptibles de se présenter. Par exemple, certains employés voudront peut-être créer des groupes de discussion réservés à des équipes de travail, commenter des produits offerts par des concurrents ou faire la promotion d’événements. L’employeur est-il disposé à permettre l’utilisation de son nom ou de son logo par les employés en de telles circonstances? Il est bon d’établir une procédure par laquelle le salarié désirant agir sur les médias sociaux à titre de représentant de l’entreprise, en utilisant son nom ou son logo, pourra demander conseil pour s’assurer de la légitimité ou de la conformité d’une intervention éventuelle. L’identification d’une personne autorisée à guider les employés permettra aussi d’assurer une bonne compréhension de la position de l’employeur.

Personne-ressource en cas de problème
Les liens qui unissent les salariés dépassent fréquemment le cadre traditionnel du travail. Il est fort probable que plusieurs sont déjà en interaction sur l’un ou l’autre des réseaux sociaux. Tout comme les interactions entre les salariés dans le cadre du travail, les échanges dans les médias sociaux peuvent engendrer certains problèmes, qui peuvent avoir une répercussion sur le travail. Ce sera le cas si un employé se fait menacer, intimider ou manquer de respect par un autre membre de l’entreprise et que cette situation est en lien avec le milieu de travail. Il est donc important d’identifier une personne-ressource à qui le salarié pourra confier toute information reliée à une situation en cours dans un site de réseautage social et qu’il juge problématique.

Obligations des salariés
L’utilisation des médias sociaux par les salariés comporte en soi une part de risques pour l’employeur. C’est pourquoi plusieurs obligations incombent aux salariés à cet égard. En voici quelques-unes.

L’obligation de loyauté du salarié, contenue à l’article 2088 du Code civil du Québec, est la plus susceptible d’être en cause. À cet effet, le salarié ne doit pas agir contre les intérêts de l’employeur. Ainsi, tout propos diffusé sur les médias sociaux et causant préjudice à l’employeur pourra faire l’objet d’une mesure disciplinaire, allant jusqu’au congédiement. Cette obligation de loyauté incombe également au salarié dans les propos qu’il tient envers ses supérieurs et qui doivent respecter l’autorité établie. L’employeur est ainsi justifié d’imposer une mesure disciplinaire à l’employé qui discrédite son image, par exemple en invitant d’autres personnes à ne pas recourir à ses services en raison de leur piètre qualité. Par ailleurs, le salarié qui ridiculise ses supérieurs en proférant des insultes à leur endroit dans les médias sociaux est aussi passible de sanctions, allant jusqu’au congédiement.

L’obligation de confidentialité prévue au même article du Code civil du Québec est également en question. En effet, le salarié ne doit pas, dans ses interactions sur les sites de réseau social, communiquer l’information à caractère confidentiel qu’il obtient dans l’exécution ou à l’occasion de son travail. On parle alors d’indiscrétion, geste répréhensible et passible de sanctions disciplinaires. Ainsi, quand des groupes de discussion portent parfois sur des sujets bien précis, relevant de l’expertise particulière des salariés, la fuite d’informations confidentielles constitue un risque réel. Tel serait par exemple le cas si un salarié, dans le cadre de sa participation à l’un des multiples groupes de discussion existant sur LinkedIn, transmettait un secret de commerce auquel il a accès.

Aussi, le salarié doit faire preuve de civisme et agir respectueusement envers les autres membres de l’entreprise. À cet égard, il ne doit pas adopter de comportement assimilable à du harcèlement envers les autres salariés. Les échanges musclés et irrespectueux entre salariés dans les médias sociaux, dans la mesure où ils ont un impact sur le travail, peuvent être sanctionnés par l’employeur. Ainsi, il est possible que des salariés, membres de groupes créés dans les médias sociaux et dont l’accès est limité ou non aux membres de l’entreprise, aient des interactions liées au travail. En de telles circonstances, si l’un d’eux adopte une conduite vexatoire envers un collègue, par exemple en commentant négativement et régulièrement la qualité de son travail, l’employeur doit agir et sanctionner le salarié fautif. Tel est aussi le cas lorsqu’un salarié harcèle sexuellement une autre personne par l’entremise des médias sociaux, par exemple en diffusant des propos à caractère sexuel à son égard. Finalement, si une politique sur le harcèlement psychologique existe dans l’entreprise, il est nécessaire d’y faire référence.

La politique d’entreprise en matière de médias sociaux permettra ainsi de rappeler aux salariés certaines de leurs obligations, de façon à prévenir les comportements fautifs.

Sanction en cas de manquement à la politique
De façon à démontrer son importance, la politique doit contenir une clause avisant les salariés que tout manquement aux directives émises est passible d’une mesure disciplinaire. Ainsi, suivant la faute reprochée au salarié, l’employeur pourra imposer une sanction plus ou moins sévère, allant de l’avis verbal jusqu’au congédiement. Le choix de la mesure relèvera de l’analyse faite par l’employeur de l’ensemble des facteurs aggravants et atténuants applicables à la situation, au cas par cas.

Enfin, de façon à mieux prévenir le salarié des conséquences de ses gestes et afin d’appuyer une décision prise à cet effet, il est recommandé d’indiquer que tout manquement à la politique pourra être sanctionné par le congédiement. Notons qu’en milieu syndiqué, l’arbitre de grief n’est pas lié par cette sanction déterminée de façon unilatérale par l’employeur.

Conclusion
La politique sur les médias sociaux sera le reflet du choix préalable concernant le positionnement de l’entreprise dans les différents réseaux sociaux. Le contenu d’une telle politique variera donc d’une entreprise à l’autre selon les objectifs recherchés.

De manière plus générale, la jurisprudence en droit du travail a élaboré plusieurs critères permettant d’apprécier la validité d’une politique d’entreprise. Ainsi, les règles établies dans la politique ne doivent pas, le cas échéant, aller à l’encontre des dispositions de la convention collective, elles doivent être claires et facilement compréhensibles des personnes à qui elles s’appliquent et ne pas être déraisonnables. Évidemment, la politique doit être appliquée de façon constante à tous les salariés, sans discrimination. Finalement, elle doit être communiquée à tous les salariés concernés – l’employeur devant conserver une preuve de cette communication – et facilement accessible.

Pierrick Bazinet, CRIA, avocat, Loranger Marcoux, avocats S.E.N.C.R.L

Source : Effectif, volume 14, numéro 1, janvier/février/mars 2011.


Author
Pierrick Bazinet Avocat Gravel² Avocats

Me Pierrick Bazinet exerce en droit du travail et de l'emploi depuis 2008. Bachelier de la faculté de droit de l’Université de Montréal, il possède également un baccalauréat en relations industrielles et est conseiller en relations industrielles agréé (CRIA).

Dans le cadre de sa pratique, il conseille les employeurs des secteurs privé et public sur l'ensemble des aspects entourant la gestion des ressources humaines et des relations de travail. Il représente sa clientèle dans le cadre de litiges devant les tribunaux administratifs et de droit commun et agit également à titre de porte-parole patronal dans le cadre de négociations de conventions collectives, et ce, dans différents secteurs d’activités. Par ailleurs, son implication active dans plusieurs conflits de travail lui a permis de développer une expertise particulière en matière d’injonctions et d’ordonnances.

Me Bazinet donne régulièrement des conférences et formations sur divers sujets d'actualité en lien avec le droit du travail et de l'emploi. Il a par ailleurs rédigé différents articles parus dans la revue VigieRT publiée par l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés (CRHA).