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Les forces du caractère en milieu de travail

Article écrit pour Effectif et traduit par Danièle Veillette, traductrice agréée. [ English version ]

18 juin 2008
Christopher Peterson et Nansook Park

La psychologie positive est l’étude scientifique de ce qui fait que la vie vaut la peine d’être vécue. Dès le départ, les psychologues tenants de ce courant ont cherché des milieux naturels pour leur étude, des cadres où l’excellence est reconnue, célébrée, encouragée et nourrie. Le milieu de travail est un cadre naturel évident. On remarquera qu’il n’existe pas de livres sur les affaires intitulés À la recherche de la médiocrité ou De correct à passable.

Quel emploi convient le mieux à une personne? Étant donné l’importance que revêt le travail dans nos vies, et les besoins multiples – économiques, psychologiques et sociaux – qu’il comble, les psychologues cherchent depuis longtemps la réponse à cette question. Le bon sens et une littérature populaire en pleine expansion conseillent aux gens de trouver leurs forces, c’est-à-dire ce qu’ils accomplissent particulièrement bien, puis de chercher un nouvel emploi ou de transformer leur emploi de façon à mettre constamment ces forces à profit. Ainsi, ils feront un meilleur travail, seront davantage mobilisés et éprouveront une plus grande satisfaction.

Les forces englobent les talents et les aptitudes et, en conséquence, le conseil selon lequel on doit faire correspondre ses habiletés à un emploi donné tombe sous le sens, à tel point que c’est presque une tautologie. Il existe sans aucun doute des exceptions, mais en général, les dentistes doivent posséder une dextérité manuelle, les athlètes professionnels doivent être rapides et forts, les actuaires doivent avoir des aptitudes pour les mathématiques, etc.

Cependant, les forces comprennent aussi des traits de caractère positifs, comme la curiosité, l’intégrité, l’honnêteté, l’optimisme ou la bonté, et ce conseil n’est alors plus aussi évident; de toute façon, il ne peut être étayé par les éléments d’information dont on dispose. On a de bonnes raisons de croire que la correspondance entre les forces du caractère et les exigences d’un emploi donné est bénéfique à la fois pour l’employé et pour l’organisation, mais les recherches actuelles sur l’employé et l’emploi ne s’y intéressent pas.

Le classement VIA
Au cours des dernières années, un projet majeur portant sur la psychologie positive a été mené dans le cadre duquel on a recensé les forces du caractère importantes et conçu des outils pour les mesurer. Ce projet, qui a donné lieu au classement des valeurs en action (le classement VIA ou Values in Action), aborde le caractère positif comme une famille de caractéristiques qui existent chacune à des degrés divers chez les gens. Comme le montre le tableau de la page 16, le classement tient compte de vingt-quatre traits de caractère positifs classés selon six grandes catégories de vertus : 1) sagesse et connaissance; 2) courage; 3) humanité; 4) justice; 5) tempérance; 6) transcendance. Les forces du caractère qui concernent le milieu de travail ne sont pas toutes prises en compte, mais ce classement fournit néanmoins un point de départ pour une enquête systématique et comparative du caractère et de ses effets.

Pour réaliser cette recherche axée sur la psychologie positive, nous avons conçu un questionnaire d’autoévaluation qui permet de mesurer ces vingt-quatre forces, le VIA-IS. À ce jour, plus d’un million de personnes dans le monde ont participé à cette évaluation de leurs forces, en répondant à ce questionnaire traduit en plusieurs langues et accessible gratuitement en ligne.

Classement des forces du caractère

 
1. Sagesse et connaissance
= Créativité : trouver des façons novatrices et productives de faire les choses
= Curiosité : porter un intérêt à tout ce qui constitue une expérience
= Ouverture d’esprit : examiner une situation sous tous ses angles
= Amour de la connaissance : maîtriser de nouvelles habiletés, sujets et ensembles de connaissances
= Discernement : avoir la capacité d’offrir des conseils sages à d’autres
2. Courage
= Authenticité : dire la vérité et se présenter de façon authentique
= Bravoure : ne pas craindre les menaces, les défis, la difficulté ou la douleur
= Persévérance : terminer ce que l’on a commencé
= Enthousiasme : aborder la vie avec dynamisme et énergie
3. Humanité
= Bonté : rendre service et faire de bonnes actions
= Amour : accorder de l’importance au maintien de relations étroites avec les autres
= Intelligence sociale : être conscient de ses motifs et de ses sentiments et de ceux des autres
4. Justice
= Équité : traiter toutes les personnes de la même façon suivant des principes d’équité et de justice
= Leadership : organiser des activités de groupe et assurer leur réalisation
= Travail d’équipe : bien fonctionner au sein d’un groupe ou d’une équipe
5. Tempérance
= Indulgence : pardonner à ceux qui ont mal agi
= Modestie : laisser ses réalisations parler d’elles-mêmes
= Prudence : faire preuve de circonspection dans ses choix; ne pas dire ou faire des choses que l’on risque éventuellement de regretter
= Maîtrise de soi : maîtriser ce que l’on sent et fait
6. Transcendance
= Appréciation de la beauté et de l’excellence : remarquer et apprécier la beauté, l’excellence ou une exécution habile dans tous les domaines de la vie
= Gratitude : être conscient et reconnaissant des bonnes choses qui nous arrivent
= Espoir : vouloir ce qu’il y a de mieux et travailler pour l’obtenir
= Humour : aimer rire et plaisanter; faire sourire les autres
= Dévotion : avoir des croyances cohérentes au sujet de sa raison d’être et du sens de la vie

Constatations découlant de la recherche
Les données recueillies permettent de conclure raisonnablement que le caractère est important. Voici un aperçu des résultats obtenus…

+ Dans de nombreux pays, les forces les plus courantes, c’est-à-dire celles qui sont le plus fréquemment mentionnées, sont la bonté, l’équité et l’honnêteté.
+ Les forces les moins courantes sont la prudence, la modestie et la maîtrise de soi.
+ La curiosité, la gratitude, l’espoir, l’amour et l’enthousiasme sont fortement associés à la satisfaction personnelle et au bonheur.
+ Ces cinq mêmes forces sont un important indicateur de la satisfaction professionnelle.
+ Il existe des forces à valeur ajoutée qui contribuent à la satisfaction professionnelle dans le cadre de certaines activités précises; ainsi, les boulangers créatifs sont comblés par leur travail, les dessinateurs industriels prudents sont particulièrement heureux et les gestionnaires indulgents,
particulièrement satisfaits.
+ Il y a par ailleurs des forces qui enlèvent de la valeur à certaines tâches précises et nuisent à la satisfaction professionnelle; par exemple, les teneurs de comptes créatifs ne sont pas particulièrement heureux, tout comme les pompiers prudents, etc.
+ Dans de nombreux emplois, l’enthousiasme donne souvent le sentiment que le travail exercé est une vocation.
+ Une bonne santé physique est associée à l’espoir et à la maîtrise de soi.
+ Pour enseigner l’efficacité, il faut de l’enthousiasme, de l’humour et de l’intelligence sociale.
+ Les chefs militaires qui possèdent une dose importante de la force du caractère qu’est l’amour sont jugés particulièrement efficaces par leurs commandants. Surprenant? Pas vraiment pour quiconque a vu Frères d’armes (Band of Brothers).
+ Chez les personnes qui ont affronté avec succès des événements tragiques, on retrouve la dévotion, la gratitude, la bonté, l’espoir et la bravoure.
+ Les personnes qui se sont remises de maladies graves ont tendance à posséder la bravoure, la bonté et l’humour.
+ Les personnes qui se remettent de problèmes psychologiques sérieux font montre d’une appréciation de la beauté et d’un amour de la connaissance.
+ Les personnes qui utilisent leurs principales forces de façon créative deviennent plus heureuses et ce bonheur accru perdure.

Naturellement, la question se pose de savoir comment on peut contribuer au développement de certaines forces. Les forces ne sont pas toutes la cible d’interventions délibérées, mais on croit pouvoir dire qu’un certain nombre de forces peuvent être développées : c’est le cas de l’espoir, de la gratitude, de la bonté, de l’amour et de l’humour, notamment. Les interventions fructueuses reposent sur une formation didactique et une pratique intensive. L’établissement de buts et la rétroaction sont essentiels. Les mentors et les modèles d’identification aident pour beaucoup au processus de changement. Il importe aussi de reconnaître que, pour changer son caractère, il faut beaucoup d’efforts. Un atelier d’une fin de semaine ou un conférencier inspirant peuvent inciter une personne à envisager un changement, mais le changement lui-même met beaucoup de temps à se produire et nécessite des efforts actifs de la part de la personne.

Utilisation en milieu de travail
Toutes les personnes qui répondent au questionnaire VIA-IS reçoivent une rétroaction sur leurs principales forces ou forces caractéristiques. Si elle est utilisée adéquatement, cette information peut avoir une utilité considérable en milieu de travail.

Il peut donc être très utile de connaître ses forces caractéristiques. Les adultes sont rarement surpris par la rétroaction reçue, mais ils sont parfois étonnés de constater que la curiosité et l’humour sont des forces du caractère. En conséquence, la rétroaction peut être libératrice, même stimulante.

Dans d’autres cas, certaines personnes trouvent la rétroaction surprenante et l’utilisent pour changer de carrière. Pensons à cette jeune femme dont la force caractéristique est la bonté, qui quitte son emploi dans une maison de courtage pour devenir travailleuse sociale. Pensons également à cet homme d’âge moyen dont la force caractéristique est l’amour de la connaissance, qui décide de retourner aux études pour obtenir son diplôme universitaire. On peut penser enfin à cet administrateur dont la force caractéristique est l’humour qui a décidé de mettre de la fantaisie dans les réunions hebdomadaires qu’il dirige.

Les cadres qui connaissent les forces de leurs employés, et qui acceptent que des personnes différentes aient des forces différentes, peuvent utiliser cette information pour attribuer les tâches ou constituer les équipes. Les employés dont une des forces est l’équité peuvent être amenés à jouer le rôle d’ombudsman ou d’« avocat du diable ». Les personnes très créatives peuvent s’attaquer à des problèmes qui nécessitent des solutions novatrices. Enfin, les personnes très prudentes peuvent examiner soigneusement les solutions « créatives ».

La valeur sans doute la plus générale pour le milieu de travail du questionnaire VIA-IS – ou de toute autre approche sur les forces – réside dans ce qu’il modifie la perception que les gens ont d’eux-mêmes et des autres. Il est nettement préférable de voir un collègue comme une personne talentueuse plutôt qu’imparfaite, bonne plutôt que mauvaise et qui suscite l’enthousiasme plutôt que le découragement. De nombreux éléments contribuent à la satisfaction et à la réussite professionnelle, outre la perception que nous avons les uns des autres, mais une meilleure perception pose les bases d’un travail efficace.

Pensons à ce bureau où travaillent trente employés qui ont tous participé à notre recherche et reçu une rétroaction. Au cours d’une réunion ultérieure, un animateur énumère chacune des vingt-quatre forces et demande aux employés de se lever si une force donnée fait partie de leurs cinq principales forces. Les employés sont demeurés debout jusqu’à ce que toutes les forces aient été énumérées et alors, toutes les personnes se trouvant dans la salle étaient debout. « Regardez autour de vous », a fait remarquer l’animateur. Il n’était pas nécessaire d’en dire plus.

Mise en garde
Le questionnaire conçu dans le cadre de notre recherche n’est pas un test diagnostique à toute épreuve et ne devrait pas être traité comme tel. (On peut dire la même chose de toute évaluation psychologique qui repose sur une autoévaluation, même si ses promoteurs ne le disent pas haut et fort.) Si le questionnaire apprend à une personne que la « bonté » ne fait pas partie de ses forces principales, alors qu’elle consacre de nombreuses heures chaque semaine au bénévolat, paye annuellement sa dîme et sourit à tous ceux qu’elle rencontre, quelle conclusion tirera-t-elle? Tout simplement que le test n’a pas fonctionné pour elle. La validité du test peut être démontrée, mais il faut comprendre qu’il n’est ni fiable ni valable à 100 %.

Les résultats du questionnaire devraient être idéalement utilisés comme point de départ et sujet de discussion sur les forces. Si la rétroaction sur les forces caractéristiques ne suscite aucun écho chez une personne, si une personne ne reconnaît pas les forces qui lui sont attribuées, il faut alors chercher un point de départ et un sujet de discussion différents.

Il faut aussi insister sur le fait que la rétroaction donnée est ipsative, ce qui signifie que les principales forces sont identifiées en comparaison avec les autres forces du répondant, et non par rapport aux personnes en général. Aussi, une personne pourrait avoir comme force caractéristique la maîtrise de soi parce que cette force est plus importante chez elle que ses autres forces, mais elle pourrait néanmoins avoir une faible maîtrise d’elle-même en comparaison avec d’autres personnes.

Enfin, une force « moindre » n’est pas un synonyme de faiblesse, bien que de nombreuses personnes qui répondent au questionnaire semblent interpréter ainsi leurs forces moindres. En raison de la logique qui sous-tend la rétroaction au questionnaire, certaines forces reçoivent une note plus élevée et certaines, une note plus faible. Le questionnaire ne cerne pas les problèmes. Il cerne les forces.

Cette mise en garde est importante parce que l’on observe en milieu de travail une propension à vouloir trouver LA bonne façon de distinguer les bons employés et les bons superviseurs de ceux qui ne sont pas aussi bons, pour prendre des décisions rapides et efficientes sur les personnes à embaucher et à congédier. Notre questionnaire ne se prête pas à ce genre d’action. Le questionnaire, et de fait la psychologie positive, repose sur la prémisse que les personnes sont « bonnes » à leur façon, qu’elles devraient être décrites en fonction d’un profil et qu’il est futile de croire que, pour avoir la vie rêvée, il existe une solution unique qui convient à tous.

En d’autres mots, on aurait tort, sur les plans légal, moral et scientifique, d’utiliser ce type de questionnaire comme base pour la sélection ou l’avancement du personnel. Cependant, les résultats concernant les forces caractéristiques peuvent certainement servir à aider les personnes à façonner leur emploi et à élargir plutôt qu’à restreindre leurs champs d’activité.

Les forces du caractère, une ressource
Comment les professionnels de la gestion des ressources humaines peuvent-ils mettre à profit le travail effectué par les psychologues tenants de la psychologie positive sur les forces du caractère? En voyant d’abord celles-ci comme une ressource qui doit être reconnue, célébrée et nourrie, tout comme les talents et les habiletés des employés. Cela leur permettra d’oublier les slogans et de donner des conseils précis dans certaines situations.

De fait, le classement des forces du caractère peut être particulièrement utile lors de l’évaluation du rendement ou de la performance, qui peut constituer une bonne occasion de pratiquer la psychologie positive. Cet outil de gestion, utilisé par les entreprises de toutes tailles et de tous les secteurs d’activité, sert ordinairement à faire le bilan des forces et des faiblesses de l’employé. L’avantage de la psychologie positive, c’est qu’elle met l’accent sur les forces uniquement. Donc, au lieu d’appuyer sur les faiblesses, le gestionnaire identifiera dans cette évaluation les forces de chacun (sens des responsabilités, efficacité au travail, intégrité, qualité du travail, capacité de gérer le changement, esprit d’équipe…) de façon à pouvoir ensuite les mettre à profit dans les divers projets de l’organisation. C’est de cette façon que le processus pourra être rendu utile.

Grâce à la psychologie positive, le gestionnaire des ressources humaines peut aider ses employés à mieux comprendre leurs résultats. Ceux-ci doivent savoir que personne ne possède toutes les forces et que, puisqu’il s’agit d’une évaluation, il est normal que certaines forces reçoivent des notes plus élevées que d’autres. On le répète, des forces moindres ne sont pas des faiblesses.

Mentionnons également que le gestionnaire doit s’assurer de disposer de suffisamment de temps pour faire cette évaluation du rendement avec sérieux.

Les professionnels de la gestion des ressources humaines peuvent ensuite aider les employés à concevoir des façons créatives d’exploiter leurs forces, de rehausser certaines forces (l’enthousiasme, notamment), et d’unir leurs forces à celles des autres. Les exercices et interventions en psychologie positive sont parfois présentés très brièvement, ce qui donne l’impression erronée qu’il s’agit d’exercices et d’interventions génériques. Les interventions doivent au contraire être adaptées aux employés et au lieu de travail et, pour ce faire, il faut l’expertise du professionnel de la gestion des ressources humaines.

Christopher Peterson, psychologue social, clinicien et professeur de psychologie, Université du Michigan, et Nansook Park, psychologue clinicienne et scolaire et professeure agrégée de psychologie, Université du Rhode Island.

Source : Effectif, volume 11, numéro 3, juin/juillet/août 2008.


Bibliographie

Park, N., et C. Peterson (2006). « Methodological issues in positive psychology and the assessment of character strengths », dans A. D. Ong, et M. van Dulmen (dir.), Handbook of methods in positive psychology, p. 292-305, New York, Oxford University Press.

Park, N., et C. Peterson (2008). « The cultivation of character strengths » dans M. Ferrari & G. Potworowski (dir.), Teaching for wisdom, p. 57-75, Mahwah, NJ, Erlbaum.

Peterson, C. (2006). A primer in positive psychology, New York, Oxford University Press.

Peterson, C., et N. Park (2003). « Positive psychology as the evenhanded positive psychologist views it », Psychological Inquiry, 14, p. 141-146.

Peterson, C., et M. E. P. Seligman (2004). Character strengths and virtues: A classification and handbook, Washington, DC, American Psychological Association/New York, Oxford University Press.

Seligman, M. E. P., et M.Csikszentmihalyi (2000). « Positive psychology: An introduction », American Psychologist, 55, p. 5-14.

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Christopher Peterson et Nansook Park