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Le slow management, qu’est-ce à dire?

Remplacer le toujours plus par le toujours mieux. Voilà la philosophie derrière le slow management. Alors que les affaires s’accélèrent sur fond de détresse humaine, que les stresseurs s’accumulent, l’idée de remettre qualité et bien-être au centre de l’attention des gestionnaires se fait jour, peu à peu. Concrètement, comment fait-on du slow management?

14 mai 2012
Myriam Jézéquel

Un certain goût pour la lenteur


Qu’elles représentent un mouvement de fond ou un feu de paille, les valeurs de qualité, de durée et de bien-être reviennent au goût du jour en matière de gestion. Signe de ce temps nouveau, l’intérêt éveillé par un petit ouvrage aux idées assez simples, Éloge du bien-être au travail : le slow management, cosigné par trois chercheurs, Loïc Roche, Dominique Steiler et John Sadowsky, qui montrent la voie vers cette gestion d’un nouveau type. Mais qu’on ne se fie pas aux apparences langagières! Le slow management n’a rien à voir avec une gestion molle, plutôt gnangnan, fonctionnant au ralenti. Pas question de perdre son temps… Il s’agit plutôt de retrouver la valeur du temps ou l’art de bien utiliser son temps. Il s’agit de cesser de vivre en permanence dans l’urgence et de se ménager du temps pour écouter, comprendre, expliquer. Faire du slow management, c’est d’abord prendre le temps d’aller à la rencontre des employés et, donc, donner de son temps. Les auteurs recommandent, entre deux rendez-vous ou deux tâches, de traverser les couloirs, de serrer des mains, de dire bonjour, de discuter autour de la machine à café. De petits gestes conviviaux pas si anodins que cela. Car ce sont de bons moments pour prendre le pouls de l’entreprise, en apprendre sur ses employés, faire passer des messages, expliquer les stratégies et la vision de l’entreprise. Et en temps de crise, c’est l’occasion de donner l’heure juste.

Un antidote au stress
Sous la pression de la performance et de la compétition, le monde du travail craque. Épuisement professionnel, dépression, maladie deviennent des maux de plus en plus fréquents, qui mènent dans certains cas exceptionnels à un geste irréparable. « Comment peut-on en arriver à se suicider à cause des conditions de travail? », s’interrogent les auteurs de l’ouvrage cité plus haut. Car ce n’est pas par hasard si cette idée de slow management a émergé après une vague de suicides dans certaines grosses entreprises françaises. Loïc Roche s’insurge devant la faiblesse des moyens employés pour remédier à cette souffrance au travail. « Ce n’est certainement pas en créant des centres de relaxation au sein des entreprises que l’on combattra le stress. De telles initiatives ne sont qu’un moyen, pour les employeurs, de s’exonérer de leurs responsabilités », déclare-t-il lors d’une mission gouvernementale française d’information sur le mal-être au travail. Le mal-être est plus profond. Et il n’appartient pas qu’à la médecine du travail ou aux services des ressources humaines d’y remédier. Plutôt que des séances de relaxation, l’auteur propose une séance de réflexion sur les dysfonctionnements des conditions de travail. « D’où vient que le monde du travail est dominé par la peur? », s’interroge-t-il.

Le bien-être d’abord!
Selon les trois chercheurs, il faut revoir les priorités au travail. Leur principale stratégie? Attaquer le mal-être à sa base par une action en profondeur, une action touchant la conception même de la gestion. Halte à la gestion agressive centrée sur les résultats comptables! On remet à leur place tous les baumes (séances de relaxation, de détente, de massage) visant à soulager après coup (et en surface) le mal-être généré par ce style de gestion. Dans la visée du slow management : un travail en profondeur, qui touche les principes mêmes de l’épanouissement au travail. Premier principe : replacer l’humain au cœur des préoccupations du management. Puis, opter pour le principe gagnant-gagnant en sachant que travailler pour le bien-être des employés, c’est aussi travailler à ses propres intérêts. Il est urgent d’améliorer le cadre de vie dans l’entreprise, de créer des relations de travail épanouissantes, de renforcer la culture du plaisir et le climat de confiance… Un travail de fond pour des résultats durables.

Vers un retour à la qualité?
Autre constat des chercheurs : le management actuel aurait sacrifié la qualité du travail et des rapports humains à la triple fascination de la réussite, de l’exception et de la volonté de contrôle. « Nous avons voulu couper au plus court, au plus pressé, nous avons pensé qu’il suffisait d’imiter jusqu’aux mimiques, aux tics de langage, qu’il suffisait d’être un peu spécial, qu’il suffisait de tout contrôler. Mais cela ne fonctionne pas », notent-ils. Il faut de toute urgence remettre à l’honneur certaines valeurs telles que la capacité d’écoute, la sincérité dans les rapports, la légitimité de l’effort, le partage d’une vision. Dans l’esprit des chercheurs, renouer avec la qualité, c’est aussi viser le long terme et les bénéfices durables en lieu et place d’une vision à court terme.

Prendre le temps de tisser des liens…
Le slow management passe par la gestion participative. Un dirigeant qui veut assurer la présence de son entreprise sur le marché doit commencer par faire bénéficier ses employés de sa propre présence au sein de l’organisation. La meilleure manière d’être à l’écoute de son équipe, c’est encore de se rendre disponible par sa présence physique sur les lieux. Quel que soit le domaine de l’entreprise, soulignent les auteurs, c’est dans les échanges de tous les jours qu’un gestionnaire rallie le personnel à son point de vue et construit des liens de confiance. C’est le moment d’encourager, d’expliquer, de rassurer. De petits gestes de rapprochement qui peuvent rapporter gros, puisqu’ils témoignent tout autant de l’engagement personnel du gestionnaire que du désir de se sentir proche des employés. En un mot : occuper le terrain, c’est gagner les cœurs et les esprits!

Donner du sens au travail
Au top des valeurs du slow management : l’éthique du travail et la légitimité des efforts. Les auteurs pointent du doigt la perte du sens au travail. « En période de crise, donner du sens au travail, cela peut vouloir dire dessiner un avenir meilleur, c’est définir un but qui sera partagé avec tous, ce peut être aussi, et plus simplement, réussir à survivre », écrivent-ils. Comprendre la signification du travail jouerait un rôle crucial dans la motivation et le bien-être psychologique des employés. Pour Estelle Morin, professeure à HEC Montréal, le travail n’est pas que nécessité économique et moyen de subsistance. « Le travail est avant tout une activité par laquelle une personne se définit, s’insère dans le monde, actualise son potentiel et crée de la valeur, ce qui lui donne, en retour, le sentiment d’accomplissement et d’efficacité personnelle, voire peut-être un sens à sa vie. » Et de rappeler les propos de Sigmund Freud : « Le travail, comme l’amour, est une nécessité vitale pour le développement de la personne et de la société démocratique. » Et si la principale leçon du slow management était de retrouver la valeur du travail comme objet de plaisir et de gratification?

Myriam Jézéquel, journaliste indépendante

Source : Effectif, volume 15, numéro 2, avril/mai 2012.


Bibliographie

Loïc Roche, Dominique Steiler et John Sadowsky. Le slow management, éloge du bien être au travail, Éd. PUG, Grenoble, 2010, 105 p.

Jézéquel Myriam. Savoir profiter de l’instant présent en 35 leçons, Éd. ESI, Paris, mars 2012, 187 p.

Estelle Morin, Donner un sens au travail

Le mal-être au travail : passer du diagnostic à l'action


Myriam Jézéquel