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L’Oréal Canada - Parce qu’ils le valent bien

Au cours des cinq dernières années, L’Oréal Canada a fracassé des records de vente, battant coup sur coup la croissance du marché. Pour Javier San Juan, qui était au moment de cette entrevue président-directeur général de l’entreprise, le secret de cette ascension fulgurante réside dans les talents mis à contribution. C’est que, insiste-t-il, face aux marchés, « outre la qualité des produits offerts, seuls des hommes et des femmes de talent peuvent faire la différence ».

7 juillet 2014
Guylaine Boucher

Pur produit du Groupe L’Oréal, où il fait carrière depuis plusieurs années, Javier San Juan a pris les rênes de la filiale canadienne il y a huit ans avant d’être promu en janvier dernier au poste de président–Zone Amérique hispanophone. Tout au long de son mandat au Canada, comme dans les fonctions qu’il a occupées précédemment, il s’est fait un devoir de bien s’entourer. « Comme gestionnaire, je suis convaincu que je ne suis pas payé pour avoir raison, mais plutôt pour prendre les bonnes décisions. La meilleure façon d’y arriver est de faire en sorte d’être entouré de personnes qui sont meilleures que moi dans ce qu’elles font et d’avoir l’humilité de les écouter. Quand on voit son rôle de manager de cette façon, la gestion des talents est fondamentale, non seulement pour l’équipe de direction, mais aussi pour l’ensemble de l’organisation. »

Plus qu’une philosophie, la gestion des talents fait partie du quotidien de l’entreprise. Plans de carrière personnalisés, nominations, promotions, formation, rien n’est laissé au hasard. « Beaucoup d’entreprises parlent de gestion des talents, mais en réalité peu d’entre elles en font une véritable priorité. Chez L’Oréal, affirme Catherine Bédard, CRHA, vice-présidente, ressources humaines, l’intérêt porté au talent est réel et concret. Comme responsable RH, mon rôle est de connaître les employés, de savoir quelles sont leurs aspirations pour les accompagner dans leur développement. Et la beauté de l’histoire, ajoute-t-elle, c’est que je ne le fais pas seule. Tous les membres du comité exécutif sont très près des collaborateurs eux aussi. »

Signe tangible de cette affirmation, tous les directeurs de division et de marque sont invités deux fois l’an à présenter au président et à son équipe de conseillers le profil des gens qui composent leurs équipes. Objectif avoué : évaluer le succès remporté par les collaborateurs, identifier les plus performants et discuter des prochaines options qui s’offrent à eux dans l’organisation pour favoriser leur progression. Exigeant, l’exercice représente chaque fois quatre ou cinq jours de travail intensif en plus de générer un nombre important d’actions dans les semaines et mois qui suivent.

Le culte de la mobilité
Au cours de la dernière année seulement, un collaborateur par jour ouvrable a fait l’objet d’une nomination à l’interne, nomination parfois synonyme de promotion, mais parfois aussi de déplacement latéral. D’autres ont été promus vers l’international. Le tout, sans affichage. « Le fait que nous ayons beaucoup de marques et de divisions nous permet de faire en sorte qu’un responsable du marketing par exemple travaille pendant deux ans pour les produits de luxe et qu'il mette ensuite son talent au service des produits professionnels ou grand public. Nous forçons cette prise de risque, parce que nous croyons que c’est la meilleure façon de permettre aux gens de se développer. Plus encore, insiste Javier San Juan, il y a une sorte d’accord tacite entre le collaborateur et nous qui veut que nous prenions ce risque juste un peu avant qu’il se sente vraiment prêt à le faire. »

Si le pari apparaît risqué, les résultats ne trompent pas. Bien que l’âge moyen des employés soit de trente-sept ans, la moyenne des années de service dans l’entreprise atteint pratiquement la décennie. Une éternité dans un secteur aussi concurrentiel. « Les changements que nous proposons aux gens les sortent de leur zone de confort et ils ne sont pas toujours convaincus. Il arrive parfois même, admet Catherine Bédard, qu’ils n’aiment pas l’expérience; mais avec le recul, ils voient ce que tout cela leur a apporté par la suite et comprennent qu’il a été payant de prendre le risque. »

Des risques, l’entreprise en prend aussi beaucoup en favorisant la mobilité. Le premier de ces risques est d’accepter de se départir de talents d’exception en leur ouvrant les portes de l’international. « L’an passé seulement, nous avons envoyé douze personnes vers une filiale du Groupe L’Oréal ailleurs dans le monde. Ce sont pour la plupart des gens que nous avons recrutés à l’université et que nous avons formés. Lorsqu’ils partent, il nous faut remplacer des gens d’expérience qui excellaient dans leur domaine. Ce n’est pas simple, puisque tout le monde veut les meilleurs », admet la vice-présidente, ressources humaines.

La mobilité extrême met aussi une pression supplémentaire sur les gestionnaires. « Quand un de vos employés part tous les mois pour occuper d’autres fonctions, ça signifie qu’il faudra non seulement coacher les nouvelles recrues, mais aussi garder les buts ou même marquer soi-même des points, le temps que tout le monde ait pris ses repères. C’est extrêmement exigeant et il faut beaucoup de générosité pour accepter de se prêter au jeu. C’est le prix à payer pour le fait de miser sur le talent d’abord et avant tout », résume Javier San Juan.

La guerre du recrutement
Choisir de compter dans ses rangs 60 % de grands talents comme le fait L’Oréal Canada, c’est aussi accepter d’être constamment en recrutement. Catherine Bédard l’avoue, il s’agit probablement de l’un des plus grands défis de l’entreprise. En fait, la difficulté n’est pas tant de convaincre les gens de joindre l’équipe L’Oréal, mais plutôt de dénicher les perles rares.

Pour y parvenir, l’entreprise visite notamment les campus universitaires à la grandeur du Canada et retourne ses propres employés à leur alma mater pour en faire des ambassadeurs de l’expérience employé L’Oréal. Une approche payante puisque, selon le plus récent classement Universum, L’Oréal Canada est aujourd’hui le onzième employeur le plus attrayant au pays du point de vue des étudiants.

Une personne au service des ressources humaines consacre aussi tout son temps à la gestion du programme Brandstorm. Sorte d’olympiades proposée aux étudiants de niveau universitaire, Brandstorm leur permet de travailler sur un cas concret vécu par l’une des marques de l’entreprise et de proposer leurs solutions marketing, le tout en collaboration avec les véritables fournisseurs de la firme: agence de publicité, studio de graphisme et autres. Tous analysés par la haute direction, les cas soumis sont ensuite évalués et les plus intéressants partent pour Paris où a lieu chaque année la finale internationale. Vitrine d’exception pour les étudiants, le programme est aussi un excellent mode de recrutement. « Le projet nous permet de voir les gens dans l’action, de tester leurs réflexes et de voir s’ils ont ou non le profil de l’employé L’Oréal que nous recherchons. Chaque année, il nous permet d’identifier des gens de grand talent », explique la vice-présidente, ressources humaines.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Sur les 1200 employés de l’entreprise, 55 % appartiennent en effet à la génération Y. C’est dire à quel point le recrutement de finissants prometteurs est encouragé. À ce chapitre, L’Oréal Canada est tout de même conforme à sa réputation de championne de la diversité, puisque 18% de ses employés sont des baby-boomers et que les 27 % restants sont de dignes représentants de la génération X. Des formations pour aider tous ces gens à travailler ensemble sont d’ailleurs offertes depuis longtemps par l’entreprise.

Le profil L’Oréal
En dépit des efforts consacrés à la question, Catherine Bédard admet que la collaboration intergénérationnelle constitue tout de même un défi. Un défi que l’entreprise a toutefois choisi d’aborder sous l’angle positif. « Chez L’Oréal, explique-t-elle, la diversité et la différence sont encouragées. Elles font partie de notre identité, tout comme la tolérance et le fait que les gens ont le droit de ne pas être toujours d’accord et qu’ils peuvent exprimer respectueusement leur point de vue. C’est inhérent à la gestion des grands talents. Tout comme le fait que chaque collaborateur bénéficie d’une grande latitude dans son travail. »

Or, pour Javier San Juan, la création d’un milieu propice à l’épanouissement des personnes de grand talent est de loin la plus grande réussite de l’entreprise en matière de ressources humaines. « Lorsqu’on se compare avec les autres filiales du groupe, nous avons plus ou moins les mêmes marques, plus ou moins les mêmes produits, une communication qui est similaire, etc. La seule chose qui diffère, ce sont les hommes et les femmes qui travaillent chez nous. Ce sont les talents, leurs talents qui font une différence. C’est vrai aujourd’hui et ce sera encore vrai demain. La grande bataille de l’avenir, c’est la bataille des talents. Vous pouvez tout faire avec des gens talentueux si vous leur donnez l’espace et les outils dont ils ont besoin. C’est ce que nous nous évertuons à faire chaque jour. C’est complexe et exigeant, mais je suis persuadé que c’est ce qui permettra à L’Oréal Canada de poursuivre sa croissance l’an prochain et l’année suivante encore. »

L’Oréal en chiffres
  • 1200 employés au Canada, dont 350 au siège social de Montréal
  • 33 marques au Canada
  • 4 divisions: Produits professionnels, Produits grand public, Produits de luxe, Cosmétique active
  • 1 milliard en chiffre d’affaires annuel, incluant Body Shop

Guylaine Boucher, journaliste indépendante

Source : Effectif, volume 17, numéro 3, juin/juillet/août 2014.


Guylaine Boucher