ressources / revue-rh / archives

L’apprentissage organisationnel : un levier essentiel au développement de l’organisation

Depuis quelques années déjà, la gestion des connaissances s’impose comme solution aux défis que rencontrent les organisations, tels le besoin de maintenir un avantage compétitif, l’intégration constante de nouvelles technologies dans les opérations quotidiennes et l’effritement accéléré de la mémoire corporative causé par les nombreux départs à la retraite. Certains estiment que l’apprentissage organisationnel – soit le processus par lequel s’opère la gestion des connaissances – constitue l’un des principaux leviers pouvant permettre aux organisations d’accroître leur valeur (Easterby-Smith et Lyles, 2003).

23 octobre 2014
Martin Lauzier, CRHA | Jacques Barrette

L’intérêt que portent les organisations d’aujourd’hui à l’apprentissage organisationnel s’explique du fait qu’elles évoluent dans un contexte marqué par des changements de plus en plus fréquents, de plus grande complexité et parfois même, vécus simultanément (Collerette, Lauzier et Schneider, 2013). Celui-ci exige toutefois le développement et la maîtrise de nouvelles compétences afin d’assurer un succès organisationnel à long terme (Starbuck et Holloway, 2008).  

Qu’est-ce que l’apprentissage organisationnel?
Malgré la grande diversité des perspectives théoriques qui alimentent les travaux de recherche sur l’apprentissage organisationnel, on reconnaît trois courants de pensée plus prédominants. L’un met l’accent sur la dimension cognitive de l’apprentissage organisationnel. Il conçoit celui-ci comme la principale résultante du processus de réflexion fait par les acteurs organisationnels. La remise en question des prémisses sous-jacentes aux façons de faire de l’organisation (apprentissage en double boucle) illustre bien cette perspective (Argyris, 1957). Un autre courant de pensée met l’accent sur l’implantation de processus logiques et cohérents qui opérationnalisent les procédés par lesquels l’organisation acquiert ou crée une connaissance particulière, la diffuse, puis assure son transfert vers ses employés, ses groupes et ses unités (Argote et Miron-Spektor, 2011). Enfin, une troisième perspective s’inspire des théories traitant de l’apprentissage social (Elkjaer, 1999). Selon cette approche, l’apprentissage organisationnel prendrait source dans les échanges et interactions s’effectuant à l’intérieur (ainsi qu’à l’extérieur) de l’organisation, ce qui faciliterait l’émergence et le partage de nouvelles connaissances ou expériences. Malgré leurs différences et particularités, ces perspectives soutiennent toutes l’idée voulant que l’apprentissage organisationnel soit la capacité d’une organisation à créer (ou à acquérir), diffuser, analyser, critiquer et intégrer de façon durable de nouvelles connaissances dans la réalisation de ses objectifs.

Quelles sont les conditions facilitantes de l’apprentissage organisationnel?
De récents travaux sur le sujet ont permis d’élaborer un modèle (voir figure 1) regroupant cinq principales conditions facilitantes (ou leviers) de l’apprentissage organisationnel (voir Barrette et al., 2012), en plus d’avoir permis la validation d’un outil diagnostic de la présence de ces leviers dans un milieu de travail donné (voir Lauzier et al., 2013).

Acquisition et transformation des connaissances
Une première condition est la capacité d’une organisation d’acquérir, d’emmagasiner, puis de diffuser des informations et des connaissances nouvelles à ses membres. L’information et l’acquisition de nouvelles connaissances, l’examen et l’interprétation de ces informations par les employés ainsi que la mise en place de mécanismes favorables au stockage et à l’extraction de connaissances sont au nombre des aspects de ce levier.

Culture d’apprentissage
Un deuxième levier concerne le degré auquel une organisation promeut et soutient un ensemble de valeurs et de comportements favorables à l’apprentissage individuel et collectif. Plus clairement, cette condition renvoie à un ensemble de valeurs et de normes qui favorisent l’apprentissage et l’expérimentation. L’instauration d’une telle culture oriente les comportements et les attitudes autour de normes et de valeurs partagées par les membres de l’organisation, en facilitant la création d’un milieu de travail propice au partage d’idées nouvelles ainsi qu’à la tolérance au risque (et à l’erreur).

Leadership axé sur l’apprentissage
Une troisième condition renvoie aux pratiques de leadership, ainsi qu’au degré auquel celles-ci favorisent la remise en question, l’expérimentation et l’exploration d’idées nouvelles et, par ricochet, permettent la mise en place d’un climat favorable au débat d’idées et à la prise de risques calculés.

Soutien organisationnel à l’apprentissage
Une quatrième condition désigne le degré auquel une organisation fournit à ses membres des moyens concrets pour soutenir l’apprentissage individuel et collectif ainsi que le transfert de ces nouveaux acquis dans le cadre du travail. L’accès à un programme de mentorat ou de coaching, la possibilité pour les membres d’une équipe de suivre certaines formations et la mise en place de comités de réflexion traduisent bien l’essence de ce levier.

Gestion stratégique des connaissances et des apprentissages
Une cinquième condition fait référence aux liens entre les objectifs stratégiques de l’organisation et les moyens qu’elle met en place pour assurer le partage de messages clés (mission, vision, objectifs) auprès de ses membres. Plus clairement, cette condition renvoie aux actions concrètes qui contribuent à clarifier les liens entre les objectifs stratégiques de l’organisation et la gestion des compétences collectives. Ce levier est d’une importance certaine pour l’apprentissage organisationnel, considérant que les employés ont besoin d’une part de comprendre en quoi leur travail contribue à la mission de l’organisation et d’autre part d’acquérir les connaissances et habiletés essentielles au succès de celle-ci.

Que faire pour favoriser l’apprentissage organisationnel?
Une organisation qui ne peut apprendre de ses erreurs est nécessairement vouée à les répéter. Qui plus est, une organisation qui ne peut conserver ses expertises collectives se retrouvera en situation perpétuelle de réapprentissage, ce qui pourrait réduire sa capacité à réagir efficacement aux défis qu’elle rencontre. On trouvera au tableau 1 des pistes d'action pouvant permettre d’engager une organisation sur la voie de l’apprentissage organisationnel.

Au niveau stratégique, la création d’un environnement favorable à l’apprentissage organisationnel incombe grandement à la direction des ressources humaines. Celle-ci, en raison des liens étroits qu’elle entretient avec la haute gestion, doit jouer un rôle actif dans l’établissement d’une stratégie globale d’apprentissage ainsi que dans l’identification de moyens et actions tangibles pour l’articuler. En outre, elle a aussi pour rôle de mettre en place des pratiques RH innovantes qui soient garantes du développement et du maintien de compétences collectives (voire d’expertises organisationnelles).

Les gestionnaires auront pour leur part à cocréer un environnement propice à l'apprentissage organisationnel, en travaillant notamment à la mise en place de systèmes d'acquisition de connaissances et de pratiques visant le développement de compétences collectives dans leur équipe de travail, et ce, afin de résoudre les problèmes auxquels fait face l’organisation présentement. Afin de poser les bonnes actions, ils doivent comprendre quels sont les principaux leviers de l’apprentissage organisationnel et savoir comment ces conditions se complètent et se renforcent mutuellement. Leur position dans l’organisation laisse croire qu’ils sont peut-être les mieux placés pour entreprendre un tel travail de réflexion.

De leur côté, les professionnels en ressources humaines doivent aussi travailler à la création d’un environnement favorable à l’apprentissage organisationnel. Ils le font en identifiant et en éliminant les obstacles à l’apprentissage, en concevant des interventions permettant de maximiser le transfert des apprentissages au niveau des équipes de travail et en participant à la sélection et au développement des leaders de l’organisation. De par leurs rôles stratégiques, ils seront appelés notamment à fournir des services-conseils à diverses clientèles cibles (membres de l’équipe de direction, gestionnaires, employés, etc.) en proposant, d’une part, des activités qui amélioreront le rendement de l’organisation (rôle de partenaire stratégique) et en s’assurant, d’autre part, que les nouvelles approches de gestion pourront être implantées avec succès (rôle d’agent de changement).

Tableau 1–Actions et moyens pouvant faciliter l’apprentissage organisationnel (AO)
LEVIERS ACTIONS MOYENS
Acquisition et transformation des connaissances
  • Mettre en place des systèmes et mécanismes formels favorisant l’échange et le partage d’informations entre les membres de l’organisation.
  • Mettre en place des pratiques informatives et réflexives.
  • Mettre sur pied un forum d’échange électronique
    (ex. système de questions-réponses).
  • Mettre sur pied des communautés de pratique pour certains groupes occupationnels (ex. gestionnaires de premier niveau).
  • Partager l’information sur les meilleures pratiques de gestion auprès des gestionnaires.
  • Partager les rapports de performance de l’organisation avec certains groupes clés de l’organisation.
  • Mettre sur pied des ateliers de réflexion pour évaluer les conditions de succès d’un projet et les raisons de son échec.
Culture d’apprentissage
  • Agir comme agent de changement dans l’établissement d’une culture organisationnelle centrée sur l’AO.
  • Promouvoir une culture d’ouverture face à l’expérience.
  • Mettre sur pied un système d’évaluation de la performance des groupes ou unités basé sur des indicateurs de rendement collectif.
  • Embaucher des individus qui partagent les valeurs liées à l’AO (ouverture d’esprit, partage d’idées nouvelles, collaboration, travail en équipe).
  • Mettre sur pied un programme d’orientation, pour les nouveaux employés, qui met l’accent sur les valeurs sous-jacentes à l’apprentissage organisationnel (collaboration, tolérance aux erreurs).
  • Mettre sur pied un système de reconnaissance des équipes performantes qui prennent des initiatives.
Leadership axé sur l’apprentissage
  • Promouvoir les principes de l’apprentissage organisationnel auprès des dirigeants de l’entreprise.
  • Agir comme partenaire stratégique dans le développement d’équipes collaboratrices.
  • Mettre sur pied des initiatives de formation pour les leaders de l’organisation (tolérance aux erreurs, prise de décision participative, ouverture à l’expérimentation, etc.).
  • Embaucher des individus qui ont un profil cohérent avec les préceptes de l’apprentissage organisationnel (p. ex. leaders orientés vers le développement des compétences des membres de l’organisation).
Soutien organisationnel à l’apprentissage
  • Fournir des moyens concrets pour soutenir le développement des compétences des membres de l’organisation (temps, ressources, budgets, outils).
  • Mettre en place des pratiques cohérentes avec les préceptes de l’apprentissage organisationnel.
  • Mettre sur pied des initiatives donnant accès à des moyens de formation flexibles (cyberapprentissage, apprentissage juste-à-temps, rotation de poste, etc.).
  • Identifier les barrières au transfert des apprentissages et travailler à leur élimination (ou à réduire leur effet).
  • Offrir des formations ciblées, portant sur les besoins identifiés chez les employés et exprimés par ceux-ci.
  • Concevoir un système de rémunération récompensant
    les idées créatives.
Gestion stratégique des connaissances et des apprentissages
  • Sensibiliser la haute gestion à l’importance de l’apprentissage organisationnel pour l’acquisition d’un avantage concurrentiel.
  • Lier les actions de formation et de développement des ressources humaines aux objectifs stratégiques de l’organisation.
  • Concevoir un plan stratégique en intégrant les principes de l’apprentissage organisationnel dans sa structure et ses ramifications.
  • Communiquer les objectifs stratégiques aux diverses unités de l’organisation et les relier aux activités de développement des compétences des membres des équipes de travail.
N. B. Les actions et moyens présentés dans ce tableau sont appuyés par les résultats d’études scientifiques.

En somme, l’apprentissage organisationnel peut, par l’entremise de ces conditions facilitantes, produire un effet de levier positif pour les employés et la performance organisationnelle. Cet effet, en contrepartie, peut contribuer au processus de transformation de l’organisation dans son ensemble ainsi qu’à l’accroissement de sa capacité à embrasser de nouveaux changements.

Martin Lauzier, CRHA, Ph. D., psychologue, professeur, Département de relations industrielles, Université du Québec en Outaouais
Jacques Barrette, Ph. D., professeur, École de gestion Telfer, Université d’Ottawa

Source : Effectif, volume 17, numéro 4, septembre/octobre 2014.


Références

  • Argyris, C. (1957). Personality and Organization, New York: Harper Collins.
  • Argote, L. et Miron-Spektor, E. (2011). Organizational learning: from experience to knowledge. Organization Science, 5, 1-22.
  • Barrette, J. Lemyre, L. Corneil, W. et Beauregard, N. (2012). Organizational learning facilitators in the Canadian public sector. International Journal of Public Administration, 35, 137-149.
  • Collerette, P., Lauzier, M. et Schneider, R. (2013). Le pilotage du changement organisationnel (2e ed.). Staint-Foy, Québec : Presses de l’Université du Québec.
  • Easterby-Smith, M. et Lyles, M. A. (2003). The Blackwell Handbook of Organizational Learning and Knowledge Management. Oxford, UK: Blackwell Publishing.
  • Lauzier, M., Barrette, J., Lemyre, L. et Cornell, W. (2013). Validation française de l’Inventaire des facilitateurs de l’apprentissage organisationnel (IFAO) : une étude comparée des impacts sur l’apprentissage individuel, par équipe et organisationnel. Revue européenne de psychologie appliquée, 63, 353-362.
  • Starbuck, W. H. et Holloway, S. (2008). Managing learning and knowledge. Organizational Learning and Knowledge Management. Cheltenham, UK: Edward Elgar Publishing.

Martin Lauzier, CRHA Consultant Travailleur autonome
Martin Lauzier est psychologue du travail, CRHA et professeur titulaire en gestion et développement des ressources humaines à l’Université du Québec en Outaouais (UQO). Spécialiste de la formation, il a mené de nombreuses études sur le transfert des apprentissages, l’évaluation de la formation et l’apprentissage organisationnel. Il a publié ses recherches dans des revues scientifiques nationales et internationales et a présenté le fruit de ses travaux dans des forums scientifiques canadiens, américains et européens. Il est le coauteur de deux ouvrages sur la formation qui se destine à la pratique (Rivard et Lauzier, PUQ 2013) ainsi qu’à l’enseignement universitaire (Lauzier et Denys, PUQ 2016). Fréquemment sollicité par des organisations publiques et privées, il fournit régulièrement des conseils sur l’art de concevoir et d’évaluer des activités de formation. En 2016, l’UQO lui a octroyé un prix d’excellence pour souligner la grande qualité de ses enseignements.

Jacques Barrette Professeur Université d'Ottawa