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L’ADN du partenaire d’affaires RH

Les partenaires d’affaires RH sont présents dans un nombre grandissant d’entreprises. Qu’est-ce qui caractérise l’ADN de ce professionnel et quel est son rôle au sein des organisations? Avis d’experts et témoignages de gens de terrain.

26 novembre 2014
Emmanuelle Gril

En gestion des ressources humaines, agir à titre de partenaire d’affaires peut être vu comme une façon de concevoir le rôle du professionnel, mais aussi comme un métier en tant que tel, souligne Alain Gosselin, Fellow CRHA, professeur titulaire au département de la gestion des ressources humaines et directeur de la formation des cadres et des dirigeants à HEC Montréal.

Concernant le premier aspect, Alain Gosselin souligne que les enjeux de gestion des ressources humaines sont une source de préoccupation constante pour les dirigeants. « Dans la mesure où les professionnels en ressources humaines les aident à trouver des solutions et apportent une réelle valeur ajoutée, ils les considèrent comme des partenaires d’affaires », explique-t-il.

Mais lorsque l’on envisage le rôle de partenaire d’affaires RH sous l’angle du métier et du titre d’emploi spécifique, alors l’approche est différente. « Le service des ressources humaines des entreprises est généralement composé de spécialistes dans différents domaines (formation, dotation, santé et sécurité du travail, etc.). Or, les gestionnaires sont souvent confrontés à des problèmes complexes impliquant plusieurs dimensions. »

Dans ces conditions, à qui peuvent-ils s’adresser pour obtenir de l’aide? Quelle personne aura une vision de la problématique dans son ensemble? « Un généraliste qui serait appuyé par des spécialistes, et c’est exactement ce qu’est le partenaire d’affaires RH », répond M. Gosselin. Pour faire une analogie, on pourrait le comparer à un omnipraticien qui recommanderait son patient à un médecin spécialiste pour traiter un problème de santé particulier.

Le partenaire d’affaires est donc une sorte de directeur des ressources humaines pour un secteur d’activité particulier. « Il œuvre en étroite collaboration avec une unité administrative. On pourrait d’ailleurs le retrouver comme membre du comité de direction de cette unité. En résumé, c’est un généraliste qui travaille au service d’un groupe ou d’un ensemble de groupes spécialisés. Son rôle est donc à la fois opérationnel et stratégique », précise M. Gosselin.

Un intérêt pour les affaires et les opérations
Selon Ronny Bernatchez, CRHA, associé au sein de la firme Altifica, chez tout bon partenaire d’affaires, on retrouve l’intérêt et la compréhension des affaires et des opérations au sein de l’organisation. « On doit bien connaître son entreprise et adapter ses stratégies aux besoins particuliers de celle-ci », dit-il.

Alain Gosselin confirme que le partenaire d’affaires doit avoir une connaissance intime de son secteur, de ses projets et de ses grands enjeux. C’est à ces conditions qu’il gagnera la confiance des dirigeants, bâtira sa crédibilité à la fois professionnelle et personnelle, et apportera une réelle plus-value à son organisation. Il souligne d’ailleurs que l’élément central qui ressort d’une vaste étude sur les compétences des professionnels en ressources humaines, réalisée notamment par des chercheurs de l’Université du Michigan, est la notion de credible activist. « C’est l’idée de crédibilité alliée à la proactivité. Dans ce sens, le partenaire d’affaires pose des questions, voit venir les coups, propose des solutions et accompagne les gestionnaires. Ce faisant, il développe une relation de proximité avec les dirigeants et les superviseurs. C’est un influenceur et même un coach. Trop de gens en ressources humaines sont encore dans l’attente de commandes de la part du client, qui définit les besoins et donne le mandat. Prendre le leadership et anticiper, c’est ça être un véritable credible activist », soutient-il.

M. Gosselin remarque à juste titre que l’évolution des termes associés aux professionnels en ressources humaines est représentative de la réalité. « Avant, on parlait surtout de “conseiller RH”, un concept qui fait référence à un expert en attente d’une question ou d’un problème. Puis, on est arrivé avec le terme “partenaire”, qui implique un niveau d’engagement supérieur et de partage de risques dans l’élaboration et la mise en place d’une solution. On évolue désormais vers le “leader RH”, qui introduit la notion de proactivité. Le leader voit plus loin, il anticipe, il pose des questions qui dérangent et, à ce titre, se comporte comme un véritable activist », remarque-t-il.

Créer un lien de confiance
Geneviève Cloutier, CRHA, associée, rémunération et performance au sein de la firme Normandin Beaudry, insiste pour sa part sur la notion de confiance. « Le partenaire d’affaires RH est un contributeur important. Il a un impact sur l’organisation en lui apportant son expertise, et ce, avec une vision d’affaires. Cet impact aide à bâtir une relation avec les gestionnaires et les dirigeants, relation qui devient un véritable lien de confiance au fil du temps », souligne-t-elle.

À ce sujet, elle mentionne d’ailleurs le concept de trusted advisor, développé par l’expert des pratiques de management David Maister dans l’ouvrage du même nom. « L’auteur définit différentes étapes pour devenir un partenaire de confiance. Il souligne qu’on “gagne” véritablement le droit de le devenir chaque fois que l’on accroît sa crédibilité en résolvant une problématique, et pas uniquement une problématique RH », dit-elle.

Pour illustrer le concept, Mme Cloutier donne l’exemple d’un partenaire d’affaires qui serait consulté sur la question du déménagement des locaux de l’entreprise. « Il pourra enrichir la discussion en regardant les choses à travers ses lunettes RH. Par exemple, l’accès à un bon bassin de ressources humaines serait-il favorisé par la relocalisation de l’organisation? Le directeur financier analysera la situation en se basant sur l’écart du coût du loyer; le partenaire RH considérera le transport des employés entre leur lieu de travail et leur résidence, le taux d’absentéisme, le taux de productivité réduit causé par la circulation et les retards multipliés, etc. Ce sont des problèmes d’affaires auxquels on apporte une vision et une contribution RH. »

Julie Blanchet, CRHA, directrice, acquisition et développement du talent chez Reitmans, ajoute que, dans cette démarche, l’un des défis est de développer des approches ou des solutions qui répondent aux besoins d’affaires particuliers tout en respectant les pratiques de gestion des ressources humaines de l’entreprise.

Pour sa part, Silvana Cutrone, CRHA, chef, gestion des ressources humaines et développement organisationnel à la Société de transport de Laval, soutient qu’avoir la confiance des gestionnaires ne veut pas dire pour autant qu’il est permis de se substituer à eux. « Le partenaire d’affaires RH est un généraliste qui soutient les clients internes dans différents volets et projets de gestion des ressources humaines. Mais attention, dans cette démarche, il faut accompagner le gestionnaire et non pas prendre sa place », prévient-elle.

Elle déplore par ailleurs le fait que le rôle ou le titre de partenaire d’affaires soit quelquefois donné à une personne dont le sens des affaires est peu développé. « Si l’on veut être un partenaire d’affaires crédible et stratégique, il est essentiel d’avoir une préoccupation envers la raison d’être opérationnelle, les enjeux et la mission de l’entreprise. Le partenaire RH a pour mandat de s’imprégner de la réalité opérationnelle, d’accompagner les clients internes et de ne pas se cantonner à de grandes théories ou programmes RH », soutient-elle. Elle ajoute que l’expérience sur le terrain permet aussi d’acquérir des compétences incontournables pour un partenaire d’affaires. Par exemple, des habiletés politiques et d’analyse ainsi que le jugement nécessaire pour exercer adéquatement son rôle-conseil.

Habiletés à développer
Pour exceller, un partenaire d’affaires devrait posséder un certain nombre d’habiletés. Parmi celles-ci, la curiosité. « Avoir l’esprit curieux permet de rester à l’affût des pratiques exemplaires dans notre domaine, mais aussi dans d’autres, comme la finance ou le marketing. Ces connaissances aideront à naviguer dans les problématiques complexes », indique Geneviève Cloutier.

Ronny Bernatchez souligne que cet esprit curieux poussera aussi le partenaire d’affaires à explorer, et donc à mieux comprendre l’organisation pour laquelle il travaille. « On doit être bien au fait de l’ADN de son entreprise, de sa mission, de ses valeurs », confirme Frédéric Roy, CRHA, chef de service, Systèmes et opérations RH à la SAQ. Julie Blanchet partage son avis, ajoutant que cette connaissance permettra également au partenaire RH de rester près des opérations.

Autre habileté à démontrer selon M. Roy :l’aptitude à écouter le client et la capacité de s’adapter à ses besoins. « Il faut être conscient de sa réalité et agir en conséquence. Par exemple, une solution peut être bonne pour la direction des ventes, mais pas nécessairement pour la direction de la chaîne d’approvisionnement. Ces deux unités ne parlent pas non plus le même langage. On doit donc bien comprendre les distinctions », dit-il.

Mme Cloutier qualifie plutôt cette aptitude d’empathie chez la personne qui veut établir une relation professionnelle de qualité avec les gestionnaires et les clients. « Il faut être capable de se mettre dans la peau des autres, même si nos intérêts divergent. Cela permet de créer des ponts et de favoriser le développement de réseaux à l’interne, mais aussi à l’externe », souligne-t-elle. Car en tout état de cause, c’est le client qui devrait se trouver au cœur des préoccupations du partenaire d’affaires : « C’est au client que l’on veut apporter une valeur ajoutée et non au service RH! Si l’on veut bien l’accompagner, on doit se mettre à son service et au service de sa mission », indique M. Roy.

L’aptitude à gérer les priorités, la rapidité de réaction et d’adaptation sont également au nombre des habiletés à développer, indique Julie Blanchet. Geneviève Cloutier ajoute à cette liste la capacité d’anticiper et donc de toujours se tenir prêt : « Un partenaire d’affaires RH, lorsqu’il entend parler de divers phénomènes sociaux, est en mesure d’anticiper l’impact que cela aura sur les employés. Prenons comme exemple le fait que les jeunes familles ont tendance à quitter Montréal pour s’établir en banlieue. Quel sera l’impact de cette tendance sur la main-d’œuvre pour une entreprise dont les locaux sont situés dans le centre-ville? Un partenaire d’affaires saura faire le lien entre les deux, voir venir les difficultés et anticiper », dit-elle.

Julie Blanchet termine ce tour de piste en soulignant qu’en plus de ces nombreuses habiletés, le partenaire d’affaires doit savoir se détacher de ses dossiers, parce qu’il lui faudra éventuellement les déléguer à l’équipe de spécialistes qui le soutient. « À cet égard, la capacité de bien travailler en équipe est essentielle », dit-elle.

Ces nombreuses habiletés et compétences devraient non seulement être reconnues, mais aussi être valorisées sur le marché du travail. Geneviève Cloutier déplore cependant que cela ne soit pas toujours le cas. « Si l’on veut attirer des ressources de qualité, il faudrait que le titre soit reconnu à sa juste valeur, notamment du point de vue des perspectives de carrière. Un bon partenaire RH ne doit pas nécessairement viser un poste de vice-président en ressources humaines. Il doit y avoir un autre cheminement de carrière : celui qui valorise la complexité et l’impact de son métier dans l’organisation. Un bon partenaire d’affaires devrait aussi recevoir une rémunération à la hauteur de sa contribution en tant que spécialiste. En reconnaissant la richesse de la contribution du partenaire d’affaires RH, on valorise du même coup ce rôle et on lui donne de la crédibilité aux yeux des gestionnaires », conclut-elle.

Emmanuelle Gril, journaliste indépendante

Source : Effectif, volume 17, numéro 5, novembre/décembre 2014.


Emmanuelle Gril