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Frileux ou fiévreux face à la grippe A(H1N1)?

Depuis son apparition au Mexique, en mars 2009, il ne se passe pas une journée sans que les médias parlent du virus de la grippe A(H1N1). Le 11 juin dernier, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a déclaré l’état de pandémie en élevant le niveau d’alerte au maximum. En juillet, l’Agence de la santé publique du Canada rapportait plus de 10 156 cas de grippe A(H1N1) au pays et, en septembre, plus de 78 décès reliés au virus.

24 novembre 2009
Philippe Lévesque-Groleau, CRHA | Marie-Hélène Jetté, CRIA

Bien que cette pandémie soit la première de ce siècle, elle est loin d’être la première de notre histoire. Au siècle précédent, trois pandémies ont frappé à des intervalles de 11 à 44 ans, soit la grippe espagnole en 1918, la grippe asiatique en 1957 et la grippe de Hong Kong en 1968, touchant chaque fois plusieurs millions d’individus dans le monde.

Les experts disent que la question n’est plus de savoir s’il y aura une seconde vague de A(H1N1), mais plutôt quand elle déferlera. Il devient donc essentiel que chaque entreprise se prépare à faire face à cette crise appréhendée qui posera sans doute son lot de défis.

Les absences
Le virus A(H1N1) aura entre autres comme conséquence première d’augmenter de façon significative le taux d’absentéisme dans les entreprises. En fait, l’employeur doit s’attendre à devoir gérer près de cinq types d’absence pendant cette période. Le premier type sera le fait des employés infectés par le virus. Ces personnes seront invitées par les messages de la santé publique à demeurer à la maison. Il y aura ensuite les employés qui devront prendre soin d’un membre de la famille immédiate et qui ne pourront se présenter au travail. Troisième type d’absence : les employés qui seront en quarantaine parce qu’ils auront été en contact avec des individus atteints de la grippe. Cet isolement peut être déclenché par l’employeur pour limiter les risques de contamination ou par le médecin dans le cadre d’un protocole médical. Un quatrième type d’absence est en lien avec les employés qui refuseront de se présenter au travail par peur d’être contaminés au travail ou dans leurs déplacements (transport public). Enfin, certains employés seront absents à la suite d’un retrait préventif dû à une condition médicale précaire ou à la grossesse et parce que le milieu de travail représente un risque élevé pour eux.

Certains enjeux légaux
Outre les aspects humains, la pandémie appréhendée comporte certains enjeux légaux. Ainsi, on peut se demander si un employeur a l’obligation de prendre des mesures de prévention, s’il doit payer les employés absents, s’il peut requérir de ces derniers des renseignements de nature médicale, forcer un employé à rester chez lui ou rendre la vaccination obligatoire.

Disons d’entrée de jeu que les lois relatives à l’emploi et au travail ne contiennent pas de dispositions spécifiques en matière de pandémie. Il faut donc appliquer à cette situation exceptionnelle les règles générales créées pour encadrer le quotidien normal des entreprises.

Relativement à l’obligation de mettre en place certaines mesures de prévention, la législation en matière de santé et de sécurité du travail de même que le Code civil indiquent clairement que l’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour protéger la santé et la sécurité de ses employés. Bien que cette obligation soit libellée en termes généraux, elle demeure lourde de conséquences et s’applique à toutes les entreprises, indépendamment de leur taille. Afin de satisfaire cette obligation dans un contexte de pandémie, l’employeur devrait mettre en place des mesures concrètes pour informer ses employés sur les moyens de prévenir le virus. Les gestionnaires devront bien connaître les principaux symptômes du virus et questionner un employé qui s’absente sur la présence de ces symptômes (forte fièvre, toux, mal de tête important, fatigue intense, parfois des nausées et des vomissements). À ce sujet, il est vrai qu’à moins de circonstances particulières (absence abusive ou douteuse, politique interne ou plan de gestion particulier), l’employeur a normalement un accès limité à l’information médicale au sujet de ses employés pour les absences de courte durée. Toutefois, dans un contexte de maladie contagieuse, l’employeur devrait poser des questions précises à son employé.

De façon générale, un employeur ne pourrait exiger de ses employés qu’ils se fassent vacciner pour avoir le droit de continuer à se présenter au travail. Toutefois, dans des situations particulières où les employés sont en contact avec des personnes à risque (par exemple une résidence pour personnes âgées), il a déjà été décidé que l’employeur ne pouvait forcer la vaccination, mais qu’il pouvait exiger qu’un employé qui refuse d’être vacciné reste à la maison sans solde pour un certain temps.

L’employeur pourrait aussi faire face à une situation où il devra se fier à la bonne foi de ses employés qui se disent malades. En effet, dans notre système de santé actuel et à plus forte raison en contexte de pandémie, il pourrait s’avérer difficile, voire impossible pour les employés d’avoir accès à un médecin pour faire confirmer la présence ou non du virus ou obtenir un billet médical. Cela étant, les employeurs devront appliquer avec une certaine souplesse leur politique de gestion des absences.

Se pose alors l’épineuse question de savoir si l’employeur a l’obligation de payer ou non les employés absents du travail. Disons que, de façon générale, pour être payé il faut travailler. À moins qu’il y ait une disposition particulière dans la convention collective ou la politique interne, un employé absent pour cause de maladie n’est pas payé par son employeur. Il en va de même de ceux qui s’absentent afin de s’occuper d’un proche malade ou qui sont en quarantaine. Dans la mesure où l’employeur ferme temporairement son établissement ou un secteur pour moins de six mois, il n’a pas à donner de préavis individuel ou collectif de mise à pied.

Il est possible que certains employés exercent le droit de refus prévu à la législation en matière de santé et de sécurité, selon lequel un employé qui a des motifs raisonnables de croire que l’exécution de son travail comporte un risque pour sa santé a le droit de refuser de continuer à travailler. Toutefois, la Direction de la santé publique, dans une brochure adressée aux travailleurs et intitulée Grippe A(H1N1) Questions et réponses aux travailleurs du Québec, mentionne que, lorsque l’employeur a mis en place les recommandations qui se trouvent dans le site Urgence Québec, le droit de refus n’est pas applicable. Il restera à voir comment la CSST qui est chargée de gérer l’exercice du droit de refus réagira, mais une telle affirmation devrait inciter les employeurs à mettre en place des mesures de prévention et de gestion.

La prévention
Afin de réduire les risques que les employés soient contaminés par le virus A(H1N1), l’employeur est encouragé à prendre certaines mesures de prévention. La vaccination est l’une de ces mesures. Plusieurs employeurs tiennent des séances de vaccination contre la grippe saisonnière sur les lieux du travail ou remboursent les frais du vaccin reçu à l’extérieur par l’entremise de leur programme d’assurance collective.

Dans le contexte d’une pandémie de grippe, il est essentiel que l’employeur rappelle les règles d’hygiène de base comme de se laver les mains après avoir été aux toilettes ou encore de tousser dans le pli du coude. Que ce soit par des affiches, des communications écrites ou des séances d’information, tous les moyens sont bons pour sensibiliser les employés aux règles d’hygiène de base que les gens oublient malheureusement trop souvent.

En outre, il est possible de recourir à d’autres moyens pour prévenir la grippe. Les produits antiseptiques de type Purell peuvent être disposés à divers endroits où les contacts plus nombreux peuvent poser un risque de contamination, que ce soit la réception, les salles de conférence, les sorties d’ascenseur, etc.

Considérant que le virus peut aussi se loger sur des surfaces comme un clavier d’ordinateur ou le téléphone, il pourrait s’avérer judicieux de désinfecter les postes de travail utilisés par plus d’une personne de même que les zones de grande affluence. Selon la santé publique, la personne infectée peut être contagieuse 24 heures avant l’apparition des premiers symptômes et jusqu’à sept jours après.

Pour les milieux de travail plus à risque, comme les établissements de santé ou les lieux publics, on peut recourir au port du masque de protection. Bien que le masque puisse représenter une barrière à la communication, il peut s’avérer efficace contre la contamination par les voies respiratoires, mais à condition de choisir le bon modèle approuvé pour le A(H1N1).

Un autre moyen de restreindre les risques de contamination est de limiter l’accès aux installations aux personnes non essentielles et de repousser les voyages d’affaires en ayant recours aux téléconférences par exemple.

Le plan de continuité
Afin d’assurer la continuité des affaires, plusieurs employeurs ont recours à un plan de continuité des activités. Ce plan permet de prévoir à l'avance les ressources humaines, matérielles et financières, de conclure des accords et de définir des procédés permettant à l'entreprise de réagir adéquatement et efficacement à une situation de perturbation, comme une pandémie de grippe A(H1N1) qui a pour conséquence de ralentir ou d'interrompre les activités normales de l'entreprise.

Le volet ressources humaines du plan de continuité devrait prévoir différents types de scénarios en fonction d’un taux d’absentéisme qui varie entre 5 % et 50 %. Ces scénarios devraient inclure une révision des politiques et pratiques de gestion des ressources humaines et des solutions pour maintenir le niveau de productivité, comme le télétravail. De plus, le plan devrait tenir compte de l’environnement externe et être modifié selon les décisions de la Direction de la santé publique en suivant les lignes directrices émises, comme le fait de demeurer à la maison en cas de contamination par le virus A(H1N1).

Conclusion
Il est encore trop tôt pour savoir si la pandémie de la grippe A(H1N1) aura un impact aussi sévère et désastreux que certains le prédisent. Il demeure toutefois que, de tout temps, l’être humain a eu à faire face à l’éclosion de maladies contagieuses qui ont été lourdes de conséquences. Il serait surprenant qu’à une époque où on peut faire le tour du monde en vingt-quatre heures, on y échappe encore longtemps. Alors, qu’il soit fiévreux ou frileux devant l’ampleur du phénomène, tout employeur doit agir de façon responsable et proactive en se préparant pour le pire tout en espérant le mieux!

Philippe Lévesque-Groleau, CRHA, partenaire d’affaires, ressources humaines, Aéroplan, et Marie-Hélène Jetté, CRIA, associée, Ogilvy Renault

Source : Effectif, volume 12, numéro 5, novembre/décembre 2009.


Philippe Lévesque-Groleau, CRHA Consultant PLG Capital Humain

Marie-Hélène Jetté, CRIA Avocate - Langlois avocats S.E.N.C.R.L. Gestion LKD s.e.c.