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Formation en ligne : prêt à changer les façons de faire?

L’an dernier, les entreprises autour du monde ont dépensé plus de cent milliards de dollars pour former leurs employés. Mais les approches traditionnelles en formation n’arrivent pas à avoir un impact considérable sur la performance de l’entreprise.

Selon une étude du groupe McKinsey d’octobre 2011, « à peine un quart des entreprises considèrent que leur stratégie de formation a un effet quelconque sur la performance ». Puisqu’il est devenu essentiel de mettre à la disposition des employés les connaissances requises à tout moment et en tout lieu, les organisations doivent donc revoir leur façon de faire. La formation en ligne fait partie des solutions permettant d’offrir plus de flexibilité et d’atteindre les objectifs souhaités. C’est sans doute pourquoi les entreprises intègrent de plus en plus les nouvelles technologies dans leur stratégie de formation.

7 janvier 2013
Jean-Philippe Bradette, CRHA

La formation en ligne peut être définie assez simplement comme l’utilisation optimale et judicieuse de la technologie pour former des personnes, partout et en tout temps, de manière interactive et encadrée. Elle a des objectifs de formation identifiés et mesurables. Il ne s’agit pas uniquement de capsules d’autoformation diffusées sur Internet, mais d’une variété de méthodes qui utilisent les technologies de l’information pour aider les gens à apprendre, comme les classes virtuelles, les simulations, le jeu sérieux, l’apprentissage mobile, etc.

Plusieurs entreprises n’ont pas hésité à offrir la formation en ligne à leurs employés. En voici un portrait.

Les pionniers
Ils se sont lancés dans la formation en ligne depuis plusieurs années. Ils ont fait de nombreux essais positifs et négatifs. Actuellement, ils veulent revoir leurs pratiques et élaborer une stratégie à long terme au lieu de pallier des problèmes ponctuels. Ils se questionnent sur la manière de mixer les différentes méthodes. Ils ont beaucoup d’expérience et de connaissances dans le domaine. Leur système de gestion de l’apprentissage (Learning Management System ou LMS) est implanté depuis longtemps.

Les modèles
Ils ont observé plusieurs entreprises et se sont préparés en conséquence. Ils ont appris des expériences des autres en développant une stratégie à long terme et n’ont pas fait les mêmes erreurs que les pionniers. La gestion du changement est leur priorité. Actuellement, la formation en ligne fait partie de leur culture et les employés en redemandent.

Les résistants
Ils sont beaucoup plus nombreux qu’on pourrait le croire. Ils sont conscients que la formation en ligne devra être intégrée dans leur stratégie de formation. Ils sont inquiets de plusieurs facteurs : la résistance, la réaction de leurs employés, les coûts, la manière de faire, etc. Ils ne savent pas par où commencer. Certains ne croient pas à l’efficacité de la formation en ligne.

Les écorchés
Ils ont vécu une expérience atroce! La formation en ligne a souvent été implantée sans gestion de changement. Ils se sont fait développer un cours endormant, inefficace, plein de promesses pourtant. Ils sont désillusionnés et doutent de ce moyen de formation.

L’efficacité de la formation en ligne
Partout dans le monde, la formation en ligne a fait ses preuves. Toutefois, au Canada et plus particulièrement au Québec, on doute encore de son efficacité. Il s’agit pourtant d’un facteur de succès important : pour que ça marche, il faut d’abord y croire!

Une recherche importante du département de l’Éducation des États-Unis, datant de 2009, a conclu que les apprenants utilisant la formation en ligne ont, en moyenne, mieux performé que ceux qui ont reçu une formation en classe. Le rapport Evaluation of Evidence-Based Practices in Online Learning – A Meta-Analysis and Review of Online Learning Studies fait le point sur les recherches de 1996 à 2008 en comparant l’efficacité de différentes méthodes de formation. La conclusion du rapport stipule que l’enseignement mixte est plus efficace, à condition que la conception et l’implantation d’une stratégie d’apprentissage mixte soient justifiées et correctement développées. Plusieurs autres études ont également démontré l’efficacité de ce type de formation. Une étude intitulée Training and retraining, commanditée par l’American Psychological Society et publiée en 2000, conclut à la suite d’une analyse statistique que les individus apprennent davantage à l’aide d’un module d’autoformation informatisé; c’est donc une approche plus efficace que les méthodes traditionnelles de formation.

Pourquoi? L’efficacité repose sur le niveau de participation via l’interactivité (engagement cognitif et rétention) et l’auto-apprentissage qui permet à l’apprenant de « digérer les connaissances » à son rythme. Il y a cependant un gros MAIS… Tout dépend de la qualité de la conception. On doit concevoir des formations en ligne qui obligent l’apprenant à investir de l’énergie. Si l’apprenant ne travaille pas, il n’y a pas d’apprentissage. Le rôle du concepteur pédagogique est donc fondamental. De plus, lorsqu’elle est jumelée à d’autres méthodes (coaching, formation traditionnelle, simulation, etc.), la formation en ligne augmente en efficacité.

Les tendances
Afin de développer des formations en ligne mixtes efficaces, il est important de s’intéresser aux tendances mondiales. On peut en trouver sur le web plusieurs qui suivent les courants technologiques : médias sociaux, formation informelle, apprentissage mobile, jeu sérieux, vidéos, etc. La plus importante est certainement l’utilisation des médias sociaux et de la formation informelle. Ce que plusieurs spécialistes ont appelé le e-learning 2.0. Bien que son utilisation soit, pour l’instant, marginale au Québec, on verra de plus en plus d’entreprises sur les réseaux sociaux à des fins de formation.

Par ailleurs, l’apprentissage mobile est en forte croissance. Il s’agit d’utiliser les principaux appareils mobiles aux fins de formation. Cette méthode nécessite de nouvelles approches pédagogiques et technologiques. Elle permet d’acheminer de l’information plus près de l’utilisateur et élimine l’ordinateur qui peut être encombrant.

Le jeu sérieux, pour sa part, permet l’utilisation des technologies du jeu vidéo dans un but pédagogique. Il offre un environnement hautement interactif et stimulant pour les apprenants.

Les vidéos en ligne sont également en croissance, la technologie est accessible, la qualité des vidéos est améliorée et les bandes passantes augmentées. Plusieurs entreprises utilisent des vidéos existantes, les convertissent et ajoutent de l’interactivité.

Quant aux systèmes de gestion de l’apprentissage, plusieurs entreprises font l’acquisition de systèmes moins coûteux et plus simples.

Au Québec, les préoccupations sont différentes. Très peu d’entreprises utilisent le web 2.0, le jeu sérieux, le mobile ou autres. Cependant, la vidéo est très utilisée, mais de manière passive. À l’heure actuelle, l’efficacité de la formation en ligne est encore et toujours recherchée ainsi que les meilleurs moyens pour mixer les méthodes. Le jeu sérieux soulève, par contre, beaucoup d’interrogations et plusieurs organisations ont de la difficulté à voir le rendement d’un investissement dans un tel moyen de formation.

Sur le plan pédagogique, les tendances sont les suivantes :

  • augmentation de la complexité des scénarios afin de créer des formations plus proches de la réalité et de fournir des rétroactions plus complexes;
  • présence accrue d’histoires dans les formations; faire vivre une histoire, une expérience permet de garder l’attention, d’accroître la motivation;
  • augmentation de la modularité et de l’interactivité;
  • augmentation de l’utilisation de la vidéo pour démontrer des émotions ou des comportements qui seraient difficiles à animer.

L’idée est de prendre connaissance de ces tendances et des forces des moyens pédagogiques afin de les exploiter judicieusement.

Facteurs de succès

Avoir une vision stratégique de la formation en ligne
Toute action de formation en ligne doit s’inscrire dans un programme planifié et structuré. Globalement d’abord, selon des objectifs stratégiques organisationnels, et individuellement par la suite, selon le développement des compétences envisagées pour l’employé.

L’implantation d’une formation en ligne est trop souvent considérée comme la solution à une problématique précise et reste donc une action ponctuelle qui ne fera pas l’objet d’une réflexion plus large et plus stratégique. Par conséquent, dès qu’un autre problème surgit, une autre action formative doit être conçue. Une telle approche ne peut fonctionner que dans le court terme.

Concevoir des formations en ligne de qualité
La qualité de la conception est fondamentale et doit répondre aux questions suivantes :

  • Le contenu a-t-il du sens pour l’apprenant? Est-il proche de sa réalité?
  • Le contenu a-t-il un impact sur l’apprenant de sorte qu’il se souvienne des connaissances?
  • L’expérience est-elle motivante pour l’apprenant?
  • L’apprenant y trouve-t-il son compte?

L’encadrement et la collaboration
Des mécanismes d’encadrement doivent être mis en place pour que les participants ne soient pas laissés à eux-mêmes. En effet, 95 % des adultes ont peu ou pas d’expertise en apprentissage autonome; on ne peut pas espérer que tous aient spontanément la confiance et les aptitudes requises pour apprendre en solo. Les outils de collaboration doivent être rendus accessibles en tout temps pour faciliter la communication et les échanges entre pairs et avec un mentor.

La gestion du changement
Dans une entreprise, les changements sont durables et efficaces pour autant que les dirigeants manifestent un engagement et un leadership forts. La formation en ligne ne fait pas exception à cette règle et il importe que les leaders s’impliquent dans la promotion du projet. Plusieurs mesures peuvent être mises de l’avant : promotion de la formation, mise en place d’incitatifs, concours, etc. Il s’agit du facteur de succès le plus important. Dans la gestion du changement, on doit porter une attention particulière aux superviseurs de premier niveau. Ils doivent être informés et avoir suivi la formation en ligne avant les employés. S’ils sont impliqués, ils font d’excellents ambassadeurs.

Les pièges à éviter
En terminant, voici quelques pièges à éviter pour s’assurer du succès des projets de formation en ligne :
  • s’assurer de la qualité du contenu, c’est la matière première : plus le contenu est interprétable et transférable, plus la formation est facile à développer;
  • veiller à la qualité de communication des experts : ceux-ci fournissent des informations précieuses; on doit s’assurer qu’ils sont en mesure de partager leurs connaissances;
  • éviter le syndrome de la machine : le cerveau humain n’est pas une éponge; il faut limiter le contenu et provoquer l’apprentissage, il ne suffit pas de communiquer des connaissances, il faut offrir un environnement qui permette à l’apprenant de jongler avec les connaissances pour pouvoir les intégrer et les rendre disponibles;
  • éviter le syndrome de l’avatar… même si on a vu une très belle formation avec des personnages en 3D, cela ne veut pas dire qu’une telle formation peut s’avérer efficace dans l’entreprise; il faut s’assurer de faire les bons choix et de ne pas être tenté d’en mettre plein la vue!

Bref, une chose est sûre, pour que la formation en ligne se développe avec succès, les professionnels en ressources humaines et les spécialistes en formation devront être prêts à changer leurs façons de faire.

Jean-Philippe Bradette, CRHA, vice-président, directeur stratégies de formation, Ellicom

Source : Effectif, volume 15, numéro 5, novembre/décembre 2012.


Bibliographie

Evaluation of Evidence-Based Practices in Online Learning - A Meta-Analysis and Review of Online Learning Studies

Fletcher and Tobias in Training and Retraining, commissioned by the American Psychological Society, published in 2000.

Francoise Crevier, 2010, Pistes de réflexions.


Jean-Philippe Bradette, CRHA Président Apprentx

Jean-Philippe Bradette, CRHA est cofondateur d’ellicom, une entreprise mondialement reconnue pour le développement de solutions de formation sur mesure, où il a été pendant 13 ans vice-président, stratégies d’apprentissage et innovation. En plus de diriger l’équipe de développement technologique, M. Bradette a mis sur pied un service entièrement consacré à la recherche et au développement : la Dream Factory, un incubateur technologique favorisant le pilotage de projets hors des sentiers battus pour des clients souhaitant explorer le monde de la technologie. Jazz Pharmaceuticals, l’UNICEF, Postes Canada, l’OMS, Cascades, Maroc Télécom, le CN et Loblaws font partie des clients qu’il accompagne dans le choix de stratégies d’apprentissage. Ces projets, qui mettent l’utilisation créative des technologies au service du transfert efficace des connaissances, lui ont d’ailleurs valu de nombreux prix nationaux et internationaux. Conférencier, entrepreneur dans l’âme, papa de jumelles et cycliste aguerri, Jean-Philippe Bradette s’est donné pour mission de faire une différence dans la vie des gens à travers des solutions d’apprentissage qui facilitent leur travail au quotidien..