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Événements tragiques : sollicitude du législateur

Être victime d’un événement tragique ne pourra plus causer une perte d’emploi prématurée. C’est l’essence de la Loi modifiant la Loi sur les normes du travail relativement aux absences et aux congés, adoptée à l’unanimité le 18 décembre 2007 par l’Assemblée nationale, et qui introduit de nouveaux congés sans salaire permettant de protéger les salariés lourdement éprouvés.

18 juin 2008
Pierre Pilote, CRIA

L’intention à la base de ces modifications mérite d’être soulignée. L’Assemblée nationale et son ministre du Travail, monsieur David Whissell, ont voulu, par cette modification, exprimer compassion et sollicitude envers les personnes éprouvées. En effet, à l’occasion du dépôt à l’Assemblée nationale le 27 novembre 2007, le ministre déclarait :

« Lorsque des personnes sont plongées dans un état de souffrance ou de détresse qui les empêche de vaquer à leurs activités normales, il est légitime qu’elles puissent avoir l’assurance de conserver leur emploi. Le geste que nous avons posé en est un de compassion qui pourra donner, et je le souhaite, un peu de répit aux personnes éprouvées par de tels événements. »

Alors que l’actualité montre chaque jour la souffrance des familles éprouvées par des événements tragiques, on peut penser qu’une telle loi aura un impact direct sur la qualité de vie des personnes durement touchées par le sort.

Des modifications qui auront un impact réel
Les modifications apportées à la Loi sur les normes du travail sont significatives. Ainsi, elles ont été accueillies favorablement par les organisations syndicales et patronales. Un salarié justifiant de plus de trois mois de service continu peut maintenant s’absenter de son travail sans salaire dans les situations et selon les modalités suivantes :

  • pour une période maximale de 104 semaines si lui-même ou son enfant mineur subit un préjudice corporel grave à la suite d’un acte criminel ou si son conjoint ou son enfant décède en raison d’un tel acte;
  • pour une période maximale de 52 semaines si son conjoint ou son enfant décède par suicide;
  • pour une période maximale de 52 semaines en cas de disparition de son enfant mineur.

Ce dernier cas de figure n’est pas sans rappeler le cas de la petite Cédrika Provencher, dont la disparition a ému le Québec l’été dernier. Les emplois des parents éprouvés comme le sont ceux de cette enfant seront désormais protégés par les nouvelles modifications prévues par la loi.

Des absences justifiées et encadrées
Les trois cas de figure déclinés plus haut sont cependant bien encadrés par la Loi. Le congé consenti à la suite d’un préjudice grave causé par un acte criminel s’appliquera également si le salarié, ou son enfant mineur, est blessé :

  • en procédant ou en tentant de procéder légalement à l’arrestation d’un contrevenant ou d’un présumé contrevenant;
  • en assistant un agent de la paix procédant à une arrestation;
  • en prévenant ou en tentant de prévenir légalement qu’une infraction soit commise ou en assistant un agent de la paix qui prévient ou tente de prévenir une infraction.

Ce congé pourra être pris au plus tôt le jour où l’acte criminel est commis et prendra fin au plus tard 104 semaines après la commission de l’acte. Il ne sera évidemment pas accordé si les circonstances permettent de tenir pour probable que le salarié a participé à l’acte criminel ou a contribué à son préjudice par sa faute lourde.

Lorsqu’une absence est occasionnée par le décès du conjoint ou de l’enfant suite à un acte criminel, l’employé peut s’absenter sans salaire pour une période maximale de 104 semaines, lorsqu’il est probable que l’acte criminel soit la cause du décès. Les mêmes conditions prévalent quant à l’application.

Le salarié dont le conjoint ou l’enfant décède par suicide peut s’absenter sans salaire pour une période maximale de 52 semaines, lorsqu’il est probable que le décès résulte d’un suicide. Ce congé pourra être pris au plus tôt le jour du décès et prendra fin au plus tard 52 semaines après le décès. Comme dans les cas de disparition, ce congé ne sera pas accordé si les circonstances permettent de tenir pour probable que le salarié a participé à l’acte.

Quant au salarié dont l’enfant mineur est disparu, il peut s’absenter sans salaire pour une période maximale de 52 semaines, lorsqu’il est probable que l’enfant disparu est en danger. Ce congé pourra être pris au plus tôt le jour où l’enfant disparaît et prendra fin au plus tard 52 semaines après la disparition.

Si l’enfant est retrouvé avant l’expiration des 52 semaines, le salarié doit revenir au travail dans les 11 jours qui suivent. Ce congé ne sera pas accordé si les circonstances permettent de tenir pour probable que le salarié a participé à la disparition ou y a contribué par sa faute lourde.

Des notions qu’il importe de bien saisir
En matière de lois du travail comme en toute autre matière légale, il importe de cerner les notions clés. Dans le cas qui nous occupe, selon la Commission des normes du travail, « l’acte criminel » auquel la LNT réfère désormais correspond aux offenses tirées de certaines sections du Code criminel et détaillées à la Loi sur l’indemnisation des victimes d’actes criminels du Québec, y compris l’utilisation d’une arme à feu, l’inceste, la négligence criminelle, l’homicide, le meurtre, les voies de fait et les agressions sexuelles.

Un « préjudice corporel » est un préjudice physique ou moral sérieux, y compris une grossesse résultant de la commission d’une infraction à caractère sexuel ou d’une agression.

L’employeur peut demander au salarié de lui fournir un document attestant des motifs d’absence si les circonstances le justifient, notamment quant à la durée de l’absence ou à son caractère répétitif.

Des droits sauvegardés
Les salariés touchés par les modifications apportées à la Loi sur les normes du travail verront donc certains de leurs droits sauvegardés. Le salarié peut travailler à mi-temps ou de manière intermittente durant son congé si l’employeur y consent. Sa participation aux régimes d’assurance et de retraite ne doit pas être affectée par l’absence.

À son retour, l’employé devra être réintégré dans son poste habituel avec les mêmes avantages auxquels il aurait eu droit s’il était resté au travail.

Par contre, si l’employeur peut prouver que, n’eût été de l’absence, le salarié aurait été licencié durant cette période, ce dernier n’aura pas plus de droit et sera réputé licencié à la date où ce licenciement aurait normalement eu lieu.

Une première mondiale : perspectives
Il sera intéressant de découvrir l’interprétation et l’application que les tribunaux feront de ces nouvelles dispositions à la Loi sur les normes du travail dans l’avenir, d’autant plus que, selon le ministre du Travail du Québec, elles constituent une première mondiale en la matière.

Considérant la grande variété d’actes criminels couverts, les employeurs risquent de commencer à recevoir graduellement des demandes pour de telles absences.

Comme c’est le cas présentement en matière de congés de maladie, les employeurs pourront exiger un rapport médical du salarié demandant un congé parce qu’il a subi un préjudice corporel grave à la suite d’un acte criminel, et ce, afin de déterminer si cette demande est justifiée dans les circonstances.

En effet, il ne faut pas perdre de vue que, pour se prévaloir d’un congé basé sur un préjudice occasionné par un acte criminel, le salarié doit démontrer qu’il s’agit d’un préjudice « grave » et que ce préjudice l’empêche d’occuper son poste habituel. Nous entrevoyons donc plusieurs débats à ce sujet.

Les employeurs seront appelés à gérer ces dossiers de la même manière qu’ils gèrent présentement les dossiers d’absence pour invalidité.

Évidemment, l’obligation de confidentialité et de non-divulgation des renseignements personnels s’applique intégralement. Ainsi, les employeurs devront s’assurer que seules les personnes au sein de l’entreprise ayant besoin de connaître cette information dans le cadre de leurs fonctions la reçoivent et qu’elles en assurent la confidentialité.

Pierre Pilote, CRIA, avocat, Gowling Lafleur Henderson s.e.n.c.r.l.

Source : Effectif, volume 11, numéro 3, juin/juillet/août 2008.


Pierre Pilote, CRIA