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Fonction publique fédérale : rapport de force et règles du jeu en période de négociation collective

En déclenchant des élections au mois d'août dernier, le gouvernement conservateur de Stephen Harper a du même coup suspendu la ronde de négociation collective qui avait lieu avec les quelque 220 000 syndiqués de la fonction publique fédérale pour le renouvellement de leurs conventions collectives, pour la plupart échues depuis au moins un an. Pour certains, l’issue du suffrage du 19 octobre dernier, lequel a porté au pouvoir un gouvernement libéral majoritaire, crée une embellie dans les relations de travail entre le gouvernement et ses employés et dans le processus actuel de négociations collectives, y compris dans le rapport de force entre les syndicats et l’employeur. Cet article a pour objectif d’étayer brièvement les principaux points en litiges entre les deux parties ainsi que de présenter un aperçu des moyens d’action qui s’offrent aux syndicats de la fonction publique fédérale.

18 novembre 2015
Gilbert Morin, CRHA

LLe projet de Loi C-59 (Loi no 1 sur le plan d'action économique de 2015), sanctionné le 23 juin 2015, constitue le point d'achoppement des négociations actuelles. Pour les syndicats, cette loi modifie le droit des fonctionnaires à négocier collectivement, en donnant le droit unilatéral au gouvernement, par voie législative, d'imposer des programmes d’invalidité de courte et de longue durée, de même que de modifier le régime actuel des congés de maladie. Les syndicats sont d’avis que leur pouvoir de négociation est nettement brimé puisque le gouvernement pourra imposer ces dispositions en contournant le processus de négociation collective.

Peu après le dépôt du projet de loi, l’Alliance de la fonction publique du Canada (AFPC) qui représente à elle seule plus de la moitié de l'effectif syndiqué, a déposé une contestation constitutionnelle devant la Cour supérieure de l’Ontario, arguant que les nouvelles dispositions violaient le droit constitutionnel de pouvoir négocier collectivement et d'avoir recours à la grève. L’Organisation internationale du travail (OIT) a également été saisie de ce dossier. En effet, une plainte y a été déposée au nom de 230 000 fonctionnaires fédéraux, laquelle faisait suite à une autre plainte semblable déposée devant cette même instance par suite du projet de loi C-4. Le projet en question donnait notamment au Conseil du Trésor (l’employeur) le pouvoir de décider de ce qui constitue un service essentiel et de quelle convention collective pouvait être établie par arbitrage ou négociation, modifiant du coup substantiellement les paramètres actuels du droit de grève.

Cela met en lumière le rapport de force qui subsistait jusqu’à tout récemment entre les syndicats et l’employeur. Dans sa Lettre ouverte aux fonctionnaires du Canada, publiée le 25 septembre dernier, soit pendant la campagne électorale, Justin Trudeau a toutefois laissé entrevoir des changements considérables en la matière advenant son élection, soit en s’opposant aux dispositions du projet de loi C-59 : « Un gouvernement responsable doit respecter le processus de négociations syndicales et finaliser ses plans financiers à la fin des négociations, et non au début ». Bien qu’il se garde de toute décision, il ajoute que le gouvernement libéral consultera les partenaires de la fonction publique et réexaminera les dispositions du projet de loi C-4, afin que les travailleurs ne soient pas brimés dans leurs droits à la négociation et quant aux choix du mode de résolution des différends.

Alors que la ronde actuelle de négociations collectives est au ralenti, voire en pause, les moyens de pression, eux, ne sont pas en veille. Comme nous le verrons dans les paragraphes suivants, les règles du jeu ont toutefois été bien encadrées par la récente jurisprudence.

La majorité des conventions collectives contient des dispositions plus ou moins précises sur l'utilisation des biens et des installations de l’employeur, permettant aux syndicats de communiquer avec leurs membres. À titre d'exemple, l'affichage sur des babillards physiques ou électroniques est de rigueur. À l'exception des avis concernant précisément les affaires syndicales, l'employeur devra donner son approbation préalable, bien que celle-ci ne puisse être refusée sans motif valable, soit lorsque par exemple, des propos sont considérés comme préjudiciables aux intérêts de l'employeur.

Si la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP) est peu loquace sur le type d'activités syndicales permises en milieu de travail, plusieurs décisions de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP) sont venues clarifier la question.

Dans la décision Bartlett et coll. c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada) 2012 CRTFP 21, l’arbitre de grief mentionne que ce qui importe réellement dans ce cas, où l'employeur avait refusé le port d’un bracelet avec la mention « touche pas à nos pensions », est le fait de savoir si les bracelets avaient un effet négatif sur la capacité des fonctionnaires d’exécuter leur travail. Le ton et le contenu du message sont donc primordiaux lorsqu’il s’agit de déterminer si l'activité syndicale en question est légitime. Le message inscrit sur les bracelets du syndicat n’était dans ce cas-ci « ni illégal ni de nature abusive. Il ne contenait pas de déclarations diffamatoires ou frauduleuses ».

Une autre décision importante, Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor 2011 CRTFP 106, s'attarde à d'autres types d’activités syndicales tels le port de macarons et de t-shirts ou l’utilisation d’autocollants. « L’employeur n’a pas enfreint (...) la convention collective en refusant que des autocollants soient apposés sur ses biens et équipements. Il est tout à fait normal que l’employeur mette en place des directives pour empêcher la détérioration ou la légère modification de son matériel. Les biens et équipements appartiennent à l’employeur qui est en droit de refuser que des autocollants y soient apposés. De plus, rien dans la clause (...) ne donne ce droit à l’agent négociateur, à ses représentants ou aux employés du gouvernement fédéral ».

S’il n'est pas permis d'afficher quoi que ce soit sur le matériel de l'employeur, mis à part sur les babillards réservés à cet effet, il ne devrait toutefois pas être interdit aux employés d'arborer eux-mêmes des messages syndicaux, que ce soit directement sur un t-shirt ou sur un macaron, et ce, même s’ils sont en contact avec le public. « Dans Bodkin et coll., un arbitre de grief a jugé que l’employeur avait violé la clause d’élimination de la discrimination de la convention collective quand il avait ordonné aux employés, parmi lesquels certains étaient en contact avec le public, de retirer leurs boutons portant l’inscription [traduction] « En alerte de grève! ». (...) L’arbitre de grief a déclaré que, pour déterminer si le port d’un bouton constituait une activité syndicale légitime durant les heures ouvrables, il fallait examiner le libellé du bouton. Si ce libellé jette le discrédit ou nuit à la réputation de l’employeur ou à ses opérations, le bouton dépasse les limites permissibles ».

Dans le même ordre d'idée, et toujours dans la même décision, il a été statué que l’employeur avait le droit d’interdire l’utilisation de son réseau électronique aux fins de la diffusion des messages du syndicat. Étant donné que les réseaux électroniques sont la propriété exclusive de l’employeur, ce dernier a légalement le droit d’en restreindre l’utilisation ou de bloquer celle-ci, tel que confirmé également dans la décision Association professionnelle des agents du service extérieur c. Conseil du Trésor (ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement) (2013 CRTFP 111), où l’on a conclu que l’employeur avait agi de façon raisonnable en bloquant les courriels que le syndicat envoyait à ses membres sur leur adresse professionnelle, à l'aide d'un pare-feu. « Ce qui est en litige ici, ce n’est pas l’interdiction de diffuser le message, mais plutôt l’interdiction d’utiliser les biens du défendeur comme moyen de transmettre ce message. »

Cette décision a également confirmé l’interdiction du courriel de réponse automatique d’absence pour diffuser de l’information au sujet d’éventuels moyens de pression. Dans le cas en question, le courriel d'absence comprenait un paragraphe informant les destinataires qu’il y avait une rupture des négociations collectives. La Commission a penché du même côté dans la décision Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada) 2013 CRTFP 138, où elle a conclu que l’employeur n’avait pas violé la LRTFP et la convention collective en empêchant le syndicat de distribuer aux bureaux des employés un document visant à inviter ses membres à assister à une réunion portant sur la négociation collective, et ce, même si les propos n’étaient pas vexatoires ou préjudiciables.

En résumé, on peut constater que la jurisprudence du côté fédéral penche résolument vers le droit de propriété de l’employeur. Les syndicats disposent bien entendu d’un droit général à communiquer avec leurs membres, mais celui-ci n’est pas absolu et inconditionnel, et doit être évalué en tenant compte des droits de propriété, qui sont définis dans la plupart des conventions collectives.

Source : VigieRT, novembre 2015.


Références :


Gilbert Morin, CRHA