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Vendetta d’un ex-employé – Retour sur les recours de l’employeur

L’évolution des technologies bouleverse la relation entre l’employeur et ses employés, mais aussi, et surtout, avec ses ex-employés. Les avancées technologiques et la multiplication des outils à la disposition des employés dans le cadre de leur travail amplifient la nécessité pour l’employeur de structurer ses opérations et son cadre contractuel de façon stratégique, afin de conserver la propriété de l’information lui appartenant. De plus, l’accessibilité à des outils de communication efficaces par des ex-employés amers d’une fin d’emploi fait en sorte que de nombreux cas d’employés en « croisade » contre leur ancien employeur sont rapportés. À cet égard, par exemple, les ententes de fin d’emploi prévoient le plus souvent que les parties s’engagent à ne pas se nuire mutuellement, particulièrement dans l’utilisation des médias sociaux.

10 mars 2015
Pierrick Bazinet, CRIA

En effet, suivant un congédiement, les employeurs sont susceptibles d’être victimes de diffamation sur les réseaux sociaux. Dans la mesure où des liens se tissent désormais facilement entre les employés et les clients de l’entreprise, au moyen des connexions créées par l’utilisation des médias sociaux, l’ex-employé mécontent qui s’en prend à l’employeur expose celui-ci à des dommages potentiels importants.

Aussi, il devient facile pour un employé, suivant la fin de son emploi, d’avoir accès aux renseignements de l’entreprise, sans même se les être appropriés de façon illégale. En effet, par l’utilisation d’outils informatiques tels que les tablettes et les téléphones intelligents, les employés peuvent désormais avoir accès à des renseignements via le nuage numérique, et ce, peu importe où ils se trouvent. Dans la mesure où l’accès à ce nuage n’est pas contrôlé, l’ex-employé pourra aisément récupérer des renseignements confidentiels qui ne lui appartiennent pas. Aussi, bien souvent, il pourra ainsi retrouver les clients de son ancien employeur ainsi que ses anciens collègues sur les réseaux sociaux tels que Facebook et LinkedIn. Enfin, il est possible que l’ex-employé ait accès à toutes les coordonnées de ces derniers enregistrées à même son téléphone intelligent, son ordinateur portable ou tout simplement par le nuage.

Les recours à la disposition de l’employeur
L’employeur a cependant des moyens de prévenir de telles situations, mais également de les contrôler dans la mesure où elles contreviennent à la loi ou au contrat de travail. Ainsi, il apparaît dans un premier temps important de prévoir au contrat les clauses habituelles de confidentialité, de non-concurrence et de non-sollicitation. Aussi, la consultation du fournisseur de services informatiques apparaît importante afin de structurer l’utilisation des outils informatiques par les employés. À qui appartiennent ces outils, comment les utilisent-ils et qu’adviendra-t-il une fois que ces outils seront remis par l’employé? Il est important de prévoir des règles claires et de veiller à leur application pour qu’il soit impossible à un ex-employé d’avoir accès aux données de l’entreprise après sa fin d’emploi.

Si la prévention peut s’avérer efficace, elle ne peut enrayer tous les maux. Ainsi, il est souvent opportun de procéder à la transmission d’une mise en demeure à l’ex-employé fautif, de façon à ce qu’il cesse son comportement, et même qu’il confirme par écrit qu’il le cessera à l’avenir. Il pourra en être ainsi, par exemple, de l’employé qui dénigre l’ancien employeur sur les médias sociaux. Chaque situation mérite cependant une analyse particulière. Il ne s’agira pas de tenter de faire peur à l’employé en le menaçant de poursuite, mais en lui indiquant comment il a contrevenu à ses obligations et la façon d’y remédier. Il ne faut pas oublier qu’une mise en demeure risque d’être publiée sur les médias sociaux par son destinataire.

L’employeur pourra également procéder en s’adressant aux tribunaux, notamment par le recours en injonction. Ce recours se décline en plusieurs variantes visant parfois à récupérer de l’information, à faire cesser un comportement ou à rechercher un certain comportement. Il permettra, par exemple à l’employeur d’obtenir une ordonnance de la cour à l’endroit de l’employé enjoignant celui-ci à retirer des propos méprisants des médias sociaux ou encore à s’abstenir de faire de tels commentaires. De plus, l’employeur peut utiliser le véhicule de l’injonction pour récupérer de l’information lui appartenant dans les cas où l’ex-employé quitte son emploi avec ladite information, le tout afin de prévenir la diffusion et l’utilisation de cette information, mais aussi sa destruction.

L’employeur peut de plus réclamer des dommages à son ex-employé en raison des actes fautifs posés par ce dernier après la fin d’emploi ou même durant l’emploi. En effet, les cas sont de plus en plus nombreux où des employés, suivant la connaissance de leur fin d’emploi, détruisent les renseignements appartenant à l’employeur avant de partir. Dans un tel cas, les coûts associés à la recherche de l’information ou les dommages associés à leur destruction pourront être réclamés à l’ex-employé. Enfin, des dommages pourront être réclamés pour la perte de profit ou encore l’atteinte à la réputation de l’employeur. Il est à noter qu’il est possible de prendre une action en dommages conjointement avec une requête en injonction.

Illustration jurisprudentielle récente
Dans une décision récente, la Cour supérieure devait statuer sur une demande d’injonction présentée par un employeur dont l’ex-employé avait démarré une entreprise concurrente au cours du mois suivant sa fin d’emploi[1].

L’ex-employé avait été à l’emploi de l’employeur pendant dix ans. L’employeur est une compagnie offrant des services de diagnostic et de traitement des maladies du sommeil. L’ex-employé occupait un poste clé chez l’employeur depuis quelques années. Un mois après la fin de son emploi chez l’employeur, il a ouvert deux cliniques offrant les mêmes services que l’employeur.

L’employeur est d’avis que l’ex-employé a violé la clause de non-concurrence signée par ce dernier ainsi que de son obligation de loyauté[2]. Il a d’ailleurs obtenu une injonction provisoire enjoignant l’ex-employé à ne pas ouvrir de nouvelles cliniques, à ne pas solliciter ses clients et à ne pas utiliser d’information confidentielle lui appartenant.

Dans cette affaire, la preuve démontre que l’ex-employé s’est servi de renseignements confidentiels auxquels il avait eu accès dans le cadre de son travail pour solliciter la clientèle de son employeur. En effet, en raison de ses activités chez l’employeur, l’ex-employé connaissait l’identité des personnes sources dans les centres de santé. Ces derniers étaient en mesure de diriger les patients vers les cliniques de l’ex-employé et ainsi détourner les clients de l’employeur.

Au surplus, il a été démontré que l’ex-employé a sollicité ses anciens collègues de travail à se joindre à sa compagnie alors même qu’il était encore à l’emploi de la demanderesse. En effet, il avait organisé une réunion avec ses collègues de travail d’alors pour sonder leur intérêt à quitter l’employeur pour se lancer en affaire avec lui. Lors de cette réunion, il a dénigré l’employeur auprès de ses collègues et les a incités à violer la clause de non-concurrence qu’ils ont tous signée.

L’ex-employé a aussi fait les démarches de financement et afin de trouver des locaux pour sa compagnie alors qu’il travaillait toujours pour la demanderesse. Il a aussi incorporé sa propre compagnie lors de sa dernière journée de travail pour l’employeur.

L’ex-employé a utilisé des capsules vidéo promotionnelles de l’employeur afin de faire la promotion de sa propre entreprise. Finalement, l’ex-employé a dénigré l’employeur face à des médecins avec qui l’employeur fait affaire en leur mentionnant que la vision de l’employeur est dépassée.

Le tribunal est d’opinion que le comportement de l’ex-employé doit être considéré comme de la concurrence déloyale. Aussi, il est lié par une clause de non-concurrence qui ne semble pas déraisonnable. Au stade de l’injonction interlocutoire, le tribunal n’a pas à statuer sur la validité de la clause. La balance des inconvénients a donc penché en faveur de l’employeur qui risquait de perdre sa clientèle. Le jugement rendu ordonnait donc à l’ex-employé de cesser de concurrencer son ex-employeur.

Conclusion
L’employeur dispose ainsi de plusieurs recours afin de protéger ses intérêts suivant une fin d’emploi qui se solde par une vendetta. Le choix du recours à entreprendre dépendra des circonstances et doit être sélectionné de façon stratégique en fonction du remède recherché. Évidemment, si ces manquements s’inscrivent dans un contexte où l’ex-employé rejoint un compétiteur, ce dernier pourra être directement impliqué dans les procédures entreprises.

Il est à noter qu’un contrat de travail et des mécanismes prévoyant adéquatement la fin d’emploi du salarié sont désormais des outils indispensables pour l’employeur, compte tenu des nouvelles avancées technologiques.

Source : VigieRT, mars 2015.


1 Biron Groupe Santé c. Minville, 2014 QCCS 4658.
2 Article 2088 du Code civil du Québec.

Pierrick Bazinet, CRIA