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Équité salariale : certains cas de compensation interdits

Un employeur ne peut soustraire les augmentations salariales générales consenties dans une convention collective des versements dus à la suite d’un exercice d’équité salariale ou opérer compensation entre ces versements en arguant le maintien de l’équité salariale. C’est précisément ce qu’a d’abord conclu un arbitre[1], une décision qui a été récemment confirmée par la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Héma-Québec[2] faisant suite à une révision judiciaire[3].

3 février 2015
Me Mélanie Morin, CRHA

Bref rappel des faits
Les faits dans la présente affaire sont assez simples et se résument comme suit. Lors d’un exercice d’équité salariale, l’employeur, en l’instance Héma-Québec, a consenti des ajustements salariaux pour les catégories d’emploi à prédominance féminine qui devaient être versés sur une période de quatre (4) ans. Toutefois, au cours de la période de versements, l’employeur a déduit les augmentations salariales accordées en vertu de la convention collective pour les catégories d’emploi visées des paiements convenus lors de l’exercice d’équité salariale. Il est à noter que ces augmentations salariales négociées ont également été accordées aux catégories d’emplois à prédominance masculine; il s’agissait donc d’augmentations salariales générales.

Or, l’employeur a cessé de verser les ajustements dus en vertu du programme d’équité salariale lorsque l’écart est devenu inexistant entre les emplois de catégorie à prédominance masculine et féminine, en raison du fait que les employés des catégories d’emplois à prédominance masculine avaient atteint le maximum des échelons. Selon les prétentions de l’employeur, ce dernier allègue avoir agi ainsi afin d’appliquer le principe du maintien de l’équité salariale prévue à l’article 40 de la Loi sur l’équité salariale.

En effet, l’employeur a allégué devant l’arbitre qu’il pouvait opérer compensation entre les augmentations salariales prévues lors de l’exercice d’équité salariale et celles prévues à la convention collective. L’ensemble des augmentations salariales prévues lors de l’exercice d’équité salariale, à l’exception d’un poste, a donc été absorbé par les augmentations annuelles prévues à la convention collective.

Également, l’employeur a justifié sa démarche par le fait que les augmentations salariales versées en vertu de la convention collective constituaient des avances sur les versements dus à la suite de l’exercice d’équité salariale.

Objet de la Loi sur l’équité salariale
L’arbitre a rappelé que l’objet de la Loi sur l’équité salariale était de corriger les écarts salariaux dus à la discrimination systémique fondée sur le sexe à l’égard des personnes qui occupent des postes dans les catégories d’emplois à prédominance féminine.

Il a conclu que le maintien de l’équité salariale n’est pas un exercice permettant à l’employeur de se soustraire, en cours d’étalement, au paiement des ajustements prévus par le programme d’équité salariale et que les ajustements consentis à la suite d’un exercice d’équité salariale ne peuvent être modifiés, annulés ou supprimés unilatéralement par l’employeur.

À cet effet, la Cour d’appel cite les extraits suivants quant au raisonnement de l’arbitre :

[76]     Le maintien de l’équité salariale n’est pas un exercice permettant à l’Employeur de se soustraire, en cours d’étalement, au paiement des ajustements prévus par le programme d’équité salariale. Ces ajustements font partie intégrante de la convention collective, conformément à l’article 74 de la Loi sur l’équité salariale et le tribunal doit s’assurer de leur application. […]

[80]     De ce fait, il n’est pas conforme à la Loi sur l’équité salariale et, notamment à l’article 74 de celle-ci, d’opérer compensation entre les paiements d’augmentations salariales négociées dans la convention collective et les ajustements prévus par le programme d’équité salariale. Ces ajustements font partie de la convention collective de la même manière que les augmentations générales et ils doivent donc être versés au moment qui est prévu. De la même manière, il ne serait pas plus acceptable que l’Employeur sursoie à son obligation de verser les augmentations générales négociées en opérant compensation des ajustements convenus à titre d’ajustements d’équité salariale. […]

[87]     L’Employeur a également référé à des documents d’information provenant de la Commission de l’équité salariale et portant sur le maintien de l’équité. Outre le fait que le tribunal n’est pas lié par les interprétations proposées par ladite Commission, ces documents mentionnent que l’objectif de l’article 40 de la Loi vise d’abord et avant tout à prévenir la réapparition de discrimination systémique sur la base du sexe, une fois l’exercice complété. […]

[89]     Il s’agit donc, selon la Commission, d’un exercice visant à maintenir l’équilibre entre les emplois à prédominance masculine et ceux à prédominance féminine une fois que l’équité salariale est atteinte.

[90]     Or, les parties ont convenu, au sein du comité d’équité salariale, de versements précis d’ajustement, à être payés à date fixe, et qui font partie intégrante de la convention collective. L’Employeur ne peut donc, unilatéralement décider de surseoir à ces versements sous prétexte d’une augmentation des échelles salariales déjà prévue à la convention collective.

Par conséquent, en vertu de l’article 74 de la Loi sur l’équité salariale, ces ajustements font partie de la convention collective et lient les parties. La Cour d’appel a donc conclu que l’employeur ne peut pas opérer compensation entre les augmentations salariales générales négociées dans la convention collective et les ajustements prévus par le programme d’équité salariale ni prétendre que les augmentations générales prévues à la convention collective constituent une avance sur le paiement des ajustements dus en vertu de la Loi sur l’équité salariale.

Conclusion
En somme, dans le cadre d’un exercice d’équité salariale, l’employeur doit verser les ajustements dus en vertu de la Loi sur l’équité salariale en sus de toutes les augmentations salariales prévues à la convention collective, et ce, même si au cours de la période d’étalement, l’écart salarial entre les catégories d’emploi s’amoindrit pour l’avenir.

Source : VigieRT, février 2015.


1 Héma-Québec c. Syndicat des travailleuses et travailleurs de Héma-Québec, D.T.E. 2011T-99, AZ-50701384.
2 Héma-Québec c. Syndicat des travailleuses et travailleurs de Héma-Québec, 2014 QCCA 509, AZ-1054559; requête pour autorisation de pourvoi à la Cour Suprême rejetée (C.S. Can., 2014-09-25).
3 Héma-Québec c. Syndicat des travailleuses et travailleurs de Héma-Québec, D.T.E. 2012T-63, AZ-50818005 (révision judiciaire rejetée).

Author
Me Mélanie Morin, CRHA Associée Pelletier & Cie avocats Inc.
Me Mélanie Morin est associée au bureau de Pelletier & Cie avocats inc. Mélanie axe sa pratique principalement en droit du travail et de l’emploi. Elle s’occupe également de dossiers de litige civil et de droit professionnel.

Me Morin représente les employeurs tant du secteur privé (petites, moyennes et grandes entreprises) que du secteur public. Elle est appelée à représenter ses clients devant les tribunaux civils et administratifs en matière d’arbitrage de griefs, de relations de travail, d’accréditation, de congédiement et de santé et sécurité au travail. Elle axe également sa pratique sur les recours extraordinaires, tels que la révision judiciaire et l’injonction.

Me Morin agit à titre de conseillère en relations de travail, en plus de s’occuper de la négociation de conventions collectives.

Elle est conférencière en matière de relations de travail, de gestion d'employés et des enjeux reliés à l’utilisation des réseaux sociaux. Son expertise est plus particulièrement mise à contribution en matière de rapports collectifs et individuels de travail ainsi qu’en matière santé et sécurité au travail. Elle conseille également sa clientèle en matière de droit administratif, de Charte des droits et libertés et en matière d’immigration pour la clientèle d’affaires.