ressources / relations-travail

Chaque chose et son contraire... vraiment?

Le législateur ne parle pas pour ne rien dire… Entendre cette maxime dans le cadre de l’interprétation d’une loi ou encore d’une convention collective n’est pas rare.

4 novembre 2014
Pierre-Marc Fiset, CRIA

En effet, les règles d’interprétation[1] sont limpides : une disposition claire et précise doit recevoir son plein effet et ne souffre pas d’interprétation. Mais dans l’univers des relations de travail où les conventions collectives sont négociées par les parties dans des relations parfois conflictuelles, il est impossible de tout prévoir. Il persiste inévitablement, dans chaque convention collective, des trous, des lacunes ou des clauses imprécises et ambiguës qui obligent les intervenants, qu’ils soient ceux qui l’ont négociée ou encore leurs héritiers à utiliser différentes méthodes d’interprétation ou un raisonnement logique pour en arriver à une conclusion par rapport à différentes situations. Puisque le législateur ne parle pas pour ne rien dire, plusieurs croient que les parties prévoient chaque chose et leur contraire. Ainsi, l’interprétation a contrario prend tout son sens. Cette méthode d’interprétation fréquemment utilisée en droit statutaire[2] s’applique-t-elle dans le cadre des relations de travail dans l’interprétation d’une convention collective? Nous vous proposons ici un appel à la prudence devant ce type d’interprétation dans ce milieu où la jurisprudence et la doctrine y ont précisé des règles interprétatives bien à elles.

En effet, la jurisprudence arbitrale récente[3] s’est penchée sur la question de l’interprétation a contrario d’une convention collective. À cet effet, une arbitre a défini une telle pratique de la manière suivante :

« [20] Le raisonnement a contrario consiste à tirer une règle implicite du fait que la norme n’est pas expressément prévue à ce qui est stipulé. On dira que les parties n’ont pas voulu qu’une norme soit applicable dans les circonstances A si elles ont expressément prévu que la norme s’applique dans les circonstances B. »

Rapportant les propos de l’auteur de l’ouvrage L’interprétation des lois[4], l’arbitre rappelle la prudence qui doit guider notre conduite dans le cadre d’unetelle interprétation puisque les tribunaux ont, à maintes reprises, déclaré « qu’il était un instrument peu fiable et en pratique c’est, comme nous le verrons, un argument qui est souvent à écarter[5]. » En fait, il semble que l’interprétation a contrario peut avoir une portée intéressante lorsqu’il est clair « qu’on ne peut raisonnablement avoir voulu que l’un et l’autre coexistent[6]. »

Néanmoins, il semble qu’il y ait d’autres outils interprétatifs à portée qui seraient plus appropriés à l’interprétation de conventions collectives. En effet, au regard des règles d’interprétation et même des dispositions préliminaires du Code civil du Québec, on constate que c’est la lettre, l’esprit ou l’objet de la clause qui nous permet de bien comprendre le sens d’un de ses articles.

« Le code est constitué d’un ensemble de règles qui, en toutes matières auxquelles se rapportent la lettre, l’esprit ou l’objet de ses dispositions, établit, en termes exprès ou de façon implicite, le droit commun[7]. »

S’inspirant de cette approche civiliste, on en arrive sensiblement aux mêmes conclusions en analysant les règles d’interprétation établies par les auteurs du livre Le droit de l’arbitrage de grief, 6e édition. Se référant à la règle d’interprétation no 4, on constate que cette approche est aussi préconisée en relations de travail :

« RÈGLE 4 : La convention collective reçoit une interprétation libérale et positive permettant la réalisation de son objet et le respect de ses dispositions selon leurs véritables fin et portée[8]. »

Bien que cette règle s’applique à l’ensemble de la convention collective, en cas de terme imprécis d’une disposition de la convention, ces auteurs nous recommandent à peu près le même traitement :

« RÈGLE 9 : Les termes imprécis, ambigus ou douteux d’une disposition de la convention collective sont interprétés dans le sens qui convient le mieux à son objet[9]. »

Dès lors, sachant que l’on doit analyser une clause de convention collective selon son objet, utiliser le contraire d’une clause de convention collective, soit l’appliquer à des circonstances autres que celle initialement prévue par leur cocontractant devient inévitablement une manœuvre périlleuse. Un des auteurs de l’ouvrage mentionné précédemment nous propose plutôt l’utilisation du raisonnement par analogie pour cerner l’intention réelle des parties. Ainsi, pour démontrer la logique derrière un tel raisonnement, mais aussi le danger que le raisonnement a contrario peut engendrer, il la démontre en proposant l’exemple de l’application du règlement municipal prévoyant que les chiens doivent être tenus en laisse au guépard :

« 1246. Trois raisonnements peuvent être tenus. 1) Le guépard doit aussi être tenu en laisse puisque les raisons qui justifient l’application de la règle aux chiens (protection des personnes et des biens) justifient également son application au guépard. C’est le raisonnement par analogie, ou si l’on préfère l’argument a pari.2) Le guépard doit être tenu en laisse, car présentant plus de risque pour la sécurité des personnes et des biens, il y a dans son cas plus de raisons d’imposer l’usage d’une laisse que dans le cas des chiens. C’est le raisonnement a fortiori. 3) Le guépard n’a pas à être tenu en laisse puisque seuls les chiens sont visés par la règle; un guépard n’est pas un chien et donc, il peut gambader en toute liberté, c’est le raisonnement a contrario.[10]  »

Certes, il s’agit ici d’une exagération, néanmoins, cet exemple nous démontre clairement que ce genre de raisonnement peut mener très loin de l’objet de la clause principale. En effet, une telle clause d’un règlement municipal vise la protection des biens et des personnes dans un environnement public. Interpréter cette clause a contrario nous amène donc à en prévoir l’effet tout à fait contraire, c’est-à-dire à exposer la population au danger qu’un prédateur en liberté pourrait engendrer.

Comme nous l’avons mentionné d’entrée de jeu, dans le contexte du droit statutaire, cet argument peut avoir une certaine crédibilité puisque les lois en général sont soumises à un processus élaboré et complexe sujet à des débats en commission parlementaire. C’est ce qui nous amène à dire que le législateur ne parle pas pour ne rien dire. Mais dans le contexte des relations de travail, il est très difficile de prétendre que les parties négociantes ont prévu chaque chose et son contraire. Les contraintes du contexte particulier du droit du travail amènent les parties à se pourvoir de certains droits et obligations, mais il est plutôt improbable que les parties aient la volonté de prévoir aussi l’opposition implicite de ces dispositions. En fait, si les parties le voulaient, ils le prévoiraient expressément. Il est donc primordial de se montrer prudent lorsqu’on argue ce genre de réflexion devant un arbitre.

Source : VigieRT, novembre 2014.


1 BLOUIN Rodrigue et Fernand MORIN, Le droit de l’arbitrage de grief, 6e édition, Les éditions Yvon Blais inc., 2012, p. 500.
2 CÔTÉ Pierre-André, Stéphane BEAULAC et Mathieu DEVINAT, L’interprétation des lois, 4e édition, Les éditions Thémis, 2009, par. 1253.
3 Fraternité des policiers et policières de l’Assomption et Ville de l’Assomption, AZ 50810773, 30 novembre 2011, Me Francine Lamy; Syndicat des employés municipaux des Escoumins (FISA) et Municipalité des Escoumins, 2014 Canlii 52428 (QCSAT), le 9 septembre 2014, Me Carol Girard.
4 CÔTÉ Pierre-André, Stéphane BEAULAC et Mathieu DEVINAT, L’interprétation des lois, 4e édition, Les éditions Thémis, 2009, par. 1253.
5 Ibid, par.1252.
6 Ibid, par. 1254.
7 Code civil du Québec (C.c.Q.), disposition préliminaire.
8 BLOUIN Rodrigue et Fernand MORIN, Le droit de l’arbitrage de grief, 6e édition, Les éditions Yvon Blais inc., 2012, p. 506.
9 Ibid, p. 518.
10 CÔTÉ Pierre-André, Stéphane BEAULAC et Mathieu DEVINAT, L’interprétation des lois, 4e édition, Les éditions Thémis, 2009, par. 1246.

Pierre-Marc Fiset, CRIA