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Les salariés et les clauses de non-concurrence

La réalité économique contemporaine de même que la compétition féroce à laquelle les entreprises doivent faire face incitent fortement ces dernières à inclure des clauses dites de non-concurrence dans les contrats de travail les liant à leurs salariés. En ce sens, et dans le cas de salariés occupant un poste important à l’intérieur d’une compagnie, on trouve presque systématiquement ce type de clause dont le but premier est d’empêcher toute concurrence de la part de ces salariés advenant leur départ. Ces clauses sont souvent imposées par les employeurs et font même l’objet d’une condition d’embauche dans certains cas. Cependant, elles risquent quelquefois de porter atteinte de façon excessive à la liberté contractuelle. C’est dans ce contexte que le législateur a voulu encadrer et même codifier les conditions de validité de ces clauses aux articles 2089 et 2095 du Code civil du Québec (C.c.Q.).

23 avril 2013
François Duplessis

Nous verrons donc quel encadrement la loi a voulu donner aux clauses de non-concurrence et quels sont les principes généraux qui ont été établis par la jurisprudence.

La loi
L’article 2089 C.c.Q. impose des conditions de validité claires au contenu des clauses de non-concurrence, tant sur le plan formel que sur le fond. Les parties peuvent stipuler que, même après la fin d’un contrat, le salarié ne pourra faire concurrence à l’employeur ni participer à quelque titre que ce soit à une entreprise qui lui ferait concurrence. Cette stipulation doit cependant :

  • être limitée quant au temps, au lieu et au genre du travail et à ce qui est nécessaire pour protéger les intérêts légitimes de l’employeur;
  • être consignée par écrit et en termes exprès.

La preuve de la validité des clauses de protection de cette nature incombe à l’employeur. Ce dernier ne peut se prévaloir d’une stipulation de non-concurrence s’il a mis fin au contrat sans motif sérieux ou s’il a lui-même donné au salarié un tel motif de résiliation (art. 2095 C.c.Q.). Le congédiement déguisé par exemple constitue un motif qui empêche l’employeur de se prévaloir d’une clause de non-concurrence.

Les tribunaux ont cependant considéré comme étant une cause juste et suffisante de congédiement le fait pour un salarié de refuser de signer une telle clause malgré une obligation à cet effet dans son contrat de travail.

Cependant, en février 2012, la Cour d’appel du Québec s’est prononcée clairement sur cette question. On ne peut congédier sans préavis un salarié qui refuse de signer en cours d’emploi une clause de non-concurrence qui lui est présentée pour la première fois. De la même façon, la cour réitère l’importance accordée au formalisme de l’article 2089 C.c.Q., notamment en ce qui concerne la stipulation par écrit et en termes exprès de la clause. Il s’ensuit que l’engagement que pourrait prendre un salarié au moment de son embauche de signer, dans l’abstrait, une clause de non-concurrence sans en connaître les stipulations exactes ne saurait constituer une cause juste et suffisante de congédiement advenant qu’il refuse de signer une telle clause par la suite[1].

Les principes établis par la jurisprudence
La jurisprudence a imposé des conditions strictes pour la validité des clauses de non-concurrence, justifiant ainsi une interprétation restrictive à l’endroit de ces clauses de protection. Elles ne doivent pas porter atteinte de façon excessive à la liberté de travail du salarié en raison de leur étendue dans le temps et l’espace ou en raison de la nature de l’activité interdite[2].

La loi est d’ordre public. En ce sens, les clauses de non-concurrence sont toujours assujetties au contrôle des tribunaux.

La jurisprudence a confirmé à de nombreuses reprises que la défaillance d’un élément essentiel d’une de ces clauses emporte son invalidité complète. De plus, lorsqu’une clause de non-concurrence n’est pas claire, elle doit au minimum être interprétée contre l’employeur. Par ailleurs, la Cour suprême du Canada et la Cour d’appel du Québec ont souvent réitéré le fait qu’en l’absence d’une clause de non-concurrence, l’ex-salarié peut en principe concurrencer son ex-employeur. Par exemple, un ex-salarié pourrait occuper un nouvel emploi chez un concurrent, fonder sa propre entreprise concurrente ou investir dans une entreprise concurrente. Cette concurrence peut même s’avérer vigoureuse à condition de demeurer loyale et de respecter le principe de bonne foi.

La clause écrite et rédigée en termes exprès
Les tribunaux ont affirmé que cette exigence oblige les parties à rédiger leur clause d’une façon claire et précise en définissant explicitement les obligations des cocontractants. On veut ainsi s’assurer que les parties sachent à quoi l’une a droit et à quoi l’autre s’engage. Les activités interdites doivent correspondre à celles qui sont réellement effectuées par le salarié dans le cours normal de son emploi et ne doivent pas être plus larges que celles directement exercées par l’entreprise[3].

La durée de la restriction
Les clauses restrictives d’une durée excédant deux années ont peu de chances d’être validées par les tribunaux, sauf si la nature de l’entreprise et celle de ses activités sont particulières, de même que l’industrie et le marché dans lequel elle évolue. La restriction ne peut avoir pour effet « (…) d’empêcher le salarié de travailler dans son domaine de spécialité acquise au fil des ans, ce qui, sans lui interdire totalement de gagner sa vie, le placerait dans une situation de grande incertitude, difficile à supporter[4, 5, 6]. »

L’étendue territoriale
Le droit reflète souvent la nature des faits et des choses, surtout en matière de relations de travail. Cette affirmation s’applique dans le cas des restrictions territoriales. En effet, une telle restriction qui aurait pour conséquence de couvrir un territoire plus vaste que celui où le salarié travaille, ou encore plus vaste que le territoire couvert par les marchés auxquels s’adresse l’entreprise, risque d’être déclarée déraisonnable par les tribunaux[7].

Cependant, nous nous trouvons devant une situation que nous pourrions qualifier de nouvel ordre économique mondial. Dans ce contexte, voici les propos exprimés par Me Dominic Roux, alors étudiant au doctorat en droit, maintenant professeur à la Faculté de droit de l’Université Laval : « […] cette époque étant celle de la mondialisation, de l’informatisation, de l’ère des technologies et des télécommunications, les tribunaux risquent d’être plus souples à l’avenir en ce qui concerne l’étendue territoriale[8]. »

Conclusion
Les tribunaux se doivent de faire la part des choses entre la protection des « intérêts légitimes de l’employeur[9] » et le respect du droit au travail des salariés. Ces mêmes tribunaux ont une volonté constante d’assurer un équilibre en cette matière, notamment lorsqu’ils sont en présence de contrats de travail qui pour les salariés ne sont autres que des contrats d’adhésion, c’est-à-dire des contrats rédigés et imposés par l’employeur. L’équilibre des forces en présence est donc un critère important dans l’appréciation du caractère raisonnable ou déraisonnable d’une clause de non-concurrence. De façon générale, cependant, les tribunaux sont peu enclins à restreindre le droit de contracter quand il s’agit de contrats négociés entre personnes expérimentées possédant un pouvoir de négociation égal.

Pour toute question sur les normes du travail, visitez le site de la Commission des normes du travail.

Source : VigieRT, avril 2013.


1 Jean c. Omegachem inc., 2012 QCCA 232 (7 février 2012), DTE 2012T-127 (C.A.).
2 Cameron c. Canadian Factors Corporation limited, (1971) R.C.S. 148; Esley c. J.G. Collins Insurance Agencies limited, (1978), 2 R.C.S. 916.
3 Groupe Biscuits Leclerc inc. c. Rompré, (1998), R.J.Q. 855 (C.S.).
4 Honco inc. c. Damphouse, D.T.E. J.E. 97-1470 (C.S.).
5 Honco inc. c. Damphouse, D.T.E. J.E. 97-1470 (C.S.).
6 Honco inc. c. Damphouse, D.T.E. J.E. 97-1470 (C.S.).
7 Résidences P.F. inc. c. Filtreault, D.T.E. 98T-481 (C.S.).
8 Roux, Dominic, Recherche-TRE-61006, Thème 5, Doctorat en droit, L.L.D., Faculté de droit, Université Laval, Hiver 2000.
9 Article 2089 C.c.Q.

François Duplessis