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Les clauses de non-concurrence – Actualité jurisprudentielle

La Cour supérieure a récemment rendu quelques décisions portant sur l’application de clauses de non-concurrence que l’on trouve fréquemment dans des contrats de travail. Nous y constatons qu’il est souvent difficile pour l’employeur de se prévaloir de l’application de telles clauses. En effet, la Cour porte une attention particulière aux limites qu’elles doivent comporter, que ce soit en regard du temps, du lieu ou encore du genre de travail dont on cherche à restreindre l’accès. Il est important de se rappeler qu’une clause de non-concurrence jugée abusive quant à l’une de ces limites sera tout simplement inapplicable, comme si elle n’existait pas dans le contrat de travail du salarié concerné. Voici un bref survol des dernières décisions rendues en la matière.

26 octobre 2010
Pierrick Bazinet, CRIA

Chaumière Baie-St-Paul inc. c. Giguère, 2010 QCCS 3229
L’employeur offre des services de décoration intérieure dans la région de Charlevoix, ses bureaux étant situés à Baie-Saint-Paul. Il embauche en mars 1999 un conseiller en décoration, vente et design de mode. Auparavant, depuis 12 ans, ce dernier exploitait son propre commerce de décoration intérieure situé lui aussi à Baie-Saint-Paul. Le conseiller se joint donc à l’équipe de l’employeur et annonce dès lors à celui-ci qu’il a l’intention intention d’acquérir le commerce lorsqu'il sera à vendre. L’employeur, désirant s’assurer de la loyauté de son nouvel employé, prévoit au contrat de travail une clause par laquelle l’employé s’engage à ne pas le concurrencer, directement ou indirectement, tant pendant qu’après la relation d’emploi.

L’employeur, désirant pour sa part s’assurer de la loyauté de son nouvel employé, prévoit au contrat de travail une clause par laquelle l’employé s’engage à ne pas concurrencer l’employeur, directement ou indirectement, tant pendant qu’après la relation d’emploi. Cette clause se lit comme suit :

« En court (sic) d’emploi, à contrainte de cécession (sic) d’emploi pour quelques motifs que ce soit, Mr (…) s’engage à ne pas concurrencé (sic) directement ou indirectement (…) sans restreindre la généralité de ce qui précède. Il s’engage notamment à ne se livrer à aucune activité commerciale au détriment de son employeur dans les cinq ans suivant sa cécession (sic) d’emploi dans un rayon de 30 milles, à ne pas œuvrer dans le même domaine pour un compétiteur en court (sic) d’emploi.

S’il y a manque de travail après la césession (sic) d’emploi Mr. (…) peut œuvrer dans le métier qu’il exerçait avant d’être à l’emploi de (…). »

En août 2009, le commerce est mis en vente. L’employé désire en faire l’acquisition, mais après de longues négociations, la transaction échoue pour diverses raisons. Devant l’incertitude associée à l’avenir de l’entreprise, l’employé quitte son emploi le 29 mars 2010.

Un mois plus tard, l’ex-employé ouvre son propre commerce à un kilomètre du commerce de son ancien employeur, toujours actif malgré sa mise en vente. Les deux entreprises offrent sensiblement les mêmes services, soit des services de décoration intérieure.

L’ancien employeur s’adresse à la Cour pour qu’elle ordonne à son ex-employé de respecter la clause précitée, laquelle l’empêche de lui faire concurrence. Il allègue que l’obligation du salarié de ne pas lui faire concurrence pour une durée de cinq (5) ans est justifiée puisqu’elle découle de la vente de son propre commerce pour se joindre à l’employeur. À cet égard, la Cour précise que la clause en question est contenue dans un contrat d’emploi et souligne qu’en l’absence de secret commercial ou industriel à protéger, l’employeur n’a pas réussi à faire la démonstration qu’un délai de cinq (5) ans était nécessaire pour protéger ses intérêts légitimes. Dans les circonstances, la Cour juge que le délai est déraisonnable et conclut que la clause est totalement inapplicable. La requête de l’employeur est donc rejetée.

Rake & Thériault inc. c. Pageau, 2010 QCCS 2674
L’employeur œuvre dans le domaine des assurances. Quelque temps après avoir quitté l’employeur, un salarié, courtier d’assurances, est engagé par une entreprise concurrente. L’ancien employeur s’adresse à la Cour pour qu’elle ordonne que cesse toute sollicitation de ses clients autrefois desservis par son ex-employé. Il invoque les clauses contractuelles signées par le salarié, de même que l’obligation de loyauté prévue à l’article 2088 du Code civil du Québec. La clause de non-concurrence en question est la suivante :

« 11.1 L'Employé s'engage, par la présente, pendant toute la durée de la présente convention et pour une période de deux (2) ans suivant sa terminaison, à ne pas travailler, participer ou s'impliquer dans une entreprise œuvrant dans un domaine similaire à celui de la Compagnie, dans la région métropolitaine de Montréal, et ce, pour quelque raison que ce soit, directement ou indirectement, seul ou avec d'autres personnes, firmes compagnies ou sociétés, que ce soit à titre de mandant, mandataire, employé, représentant, administrateur, conseiller, bailleur de fonds ou à quelque autre titre que ce soit. »

La Cour signale d’emblée que la clause de non-concurrence semble ambiguë : la clause interdit-elle de travailler dans la région métropolitaine de Montréal pour une entreprise œuvrant dans un domaine similaire? Ou encore, interdit-elle de travailler dans une entreprise œuvrant dans un domaine similaire dans la région métropolitaine de Montréal, et ce, sans considérer le lieu d’exécution du travail? Quelles sont les limites de la « région métropolitaine de Montréal »? L’ancien employé allègue qu’une clause d’une telle ambigüité est inapplicable. En l’absence d’explication de l’employeur et devant tant d’ambigüité, la Cour déclare cette clause de non-concurrence déraisonnable et donc inapplicable. La Cour rejette la demande de l’employeur.

Guay inc. c. Payette, 2010 QCCS 2756
Cette décision implique un employeur œuvrant dans la location de grues. Celui-ci acquiert en 2004 deux sociétés et maintient en l’emploi leur président respectif. La transaction comporte les clauses restrictives de non-concurrence et de non-sollicitation suivantes :

« 10.1  Non-concurrence - En considération de la vente faisant l'objet de cette offre, chacun des Vendeurs et des Intervenants s'engage et s'oblige, pour une période de cinq (5) ans à compter de la date de Clôture ou dans le cas des Intervenants pour une période de cinq (5) ans à compter de la date à laquelle un Intervenant cesse d'être à l'emploi, directement ou indirectement, de l'Acheteur, à ne détenir, exploiter ou posséder, en totalité ou en partie, directement ou indirectement et à quelque titre ou fonction que ce soit, ou de toute autre manière, aucune entreprise agissant en tout ou en partie dans le domaine de la location de grues, ni s'y engager, y participer, y être impliqué, en détenir des actions, y être relié ou y être intéressé, la conseiller, lui consentir des prêts, en garantir les dettes ou obligations ou lui permettre l'utilisation de son nom en entier ou en partie. Le territoire pour lequel cette clause de non-concurrence s'applique pour la période de temps ci-haut mentionnée réfère à la province de Québec.

10.2 Non-sollicitation - De plus, chacun des Vendeurs et des Intervenants s'engage et s'oblige, pour une période de cinq (5) ans à compter de la date de la Clôture ou dans le cas des Intervenants pour une période de cinq (5) ans à compter de la date à laquelle un Intervenant cesse d'être à l'emploi, directement ou indirectement, de l'Acheteur, à ne pas solliciter, pour son compte ou pour le compte d'autrui, faire affaires ou tenter de faire affaires, à quelque endroit que ce soit, en tout ou en partie, directement ou indirectement et de quelque façon que ce soit, avec aucun des clients de l'Entreprise et de l'Acheteur pour le compte d'une entreprise de location de grues. […] »

L’employeur met éventuellement fin à l’emploi des deux présidents, alléguant leur non-disponibilité et leurs dépenses élevées. La Cour souligne que ces motifs de terminaison ne constituent pas des motifs sérieux au sens du Code civil du Québec. Or, l’article 2095 du Code mentionne ce qui suit :

« 2095. L'employeur ne peut se prévaloir d'une stipulation de non-concurrence, s'il a résilié le contrat sans motif sérieux ou s'il a lui-même donné au salarié un tel motif de résiliation. »

Par l’effet même de la Loi, les clauses restrictives auxquelles il est fait référence sont donc inapplicables, et l’employeur ne peut donc pas s’en prévaloir.

Malgré tout, la Cour poursuit l’analyse, examine la validité des clauses précitées et conclut que, même si les parties avaient reconnu les clauses de non-concurrence et de non-sollicitation comme étant raisonnables en signant ce contrat de travail, la Cour n’est, quant à elle, pas liée par cette reconnaissance.

Selon la Cour, même si la durée de cinq (5) ans est raisonnable en l’espèce, compte tenu notamment de l’ampleur de la transaction et de la nature de l’industrie dans laquelle évolue l’employeur, la portée territoriale est, quant à elle, déraisonnable. En effet, la clause s’étend à l’ensemble de la province de Québec alors que les activités de l’employeur se limitent à la région de Montréal.

Conseils pratiques
La rédaction de clauses de non-concurrence est un exercice qui nécessite une analyse détaillée des besoins particuliers de l’employeur. Une clause de non-concurrence sera valide si les restrictions imposées à l’employé sont nécessaires pour protéger les intérêts légitimes de l’employeur. Il faut donc résister à l’envie de se « surprotéger » en imposant à l’employé des restrictions allant au-delà de ce qui est requis. L’employeur doit ainsi se questionner quant au territoire sur lequel il offre ses services, de même que sur le genre de travail effectué par l’employé concerné.

La clause de non-concurrence doit aussi être concise et claire, de façon à ce que les termes utilisés ne prêtent pas à confusion. L’employé doit pouvoir, à la simple lecture de la clause de non-concurrence, être en mesure de comprendre les limites qui lui sont imposées. En plus d’en limiter la portée dans le temps suivant la terminaison de l’emploi, il sera donc important de définir de façon précise le territoire où la concurrence est restreinte et le genre de travail visé par la clause.

Les tribunaux sont réticents à appliquer des clauses imposant aux employés des limitations déraisonnables dans la poursuite de leur carrière. Au surplus, il faut souligner que, même si l’employé a reconnu expressément dans le contrat qu’il estime que la portée de la clause de non-concurrence est raisonnable, le tribunal demeure libre d’en apprécier la validité. Il est donc important de limiter l’employé dans sa possibilité de concurrencer son ex-employeur aux stricts besoins de celui-ci, faute de quoi la clause sera inapplicable.

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Source : VigieRT, octobre 2010.


Pierrick Bazinet, CRIA