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La recette de la Cour suprême en cas de fermeture motivée par l’antisyndicalisme

En 1981, le Tribunal du travail reconnaissait le droit pour un employeur de fermer son entreprise même si la « cessation est mue pour des motifs condamnables ».

19 décembre 2009
Gilles Touchette, CRIA

En effet, c’est ainsi que s’exprimait le juge Bernard Lesage dans la décision City Buick Pontiac. Dans ce dossier, le Tribunal devait trancher au sujet d’une plainte en vertu de l’article 15 du Code du travail déposée par les employés d’un concessionnaire automobile, laquelle concernait leur licenciement à la suite de la décision de l’employeur de cesser ses opérations. Le directeur général de l’entreprise avait déclaré devant un média qu’il préférait fermer son entreprise plutôt que de traiter avec un syndicat. Le juge Lesage s’est exprimé ainsi :

« Ce qui est interdit, c’est de congédier des salariés qui font des activités syndicales, ce n’est pas fermer définitivement son entreprise parce qu’on ne veut pas transiger avec un syndicat ou qu’on ne peut lui briser les reins, même si cela a pour effet secondaire de congédier les salariés. »

Près de trente ans plus tard, cette question était de nouveau soumise, à la Cour suprême du Canada cette fois, dans le dossier Gaétan Plourde et Compagnie Wal-Mart du Canada inc. Dans ce dossier hautement médiatisé, Wal-Mart avait annoncé en 2004 la fermeture de son magasin de Jonquière la journée même où le ministre du Travail acquiesçait à la demande du syndicat (les Travailleuses et travailleurs unis de l’alimentation et du commerce, section locale 503) de nommer un arbitre afin que celui-ci détermine le contenu de la première convention collective. M. Plourde ainsi que plusieurs salariés de ce magasin appuyés par le syndicat demandaient réparation contre Wal-Mart en vertu des dispositions de l’article 15 du Code du travail. Ceux-ci soutenaient que la fermeture du magasin était motivée par l’antisyndicalisme.

Dans une décision majoritaire (6-3) rendue le 27 novembre 2009, la Cour suprême rejetait l’appel formulé par les salariés. Sous la plume du juge Binnie, la Cour s’est appuyée sur le courant jurisprudentiel amorcé par City Buick Pontiac ainsi que sur la décision unanime de la Cour suprême dans l’arrêt Place des Arts en 2004 et a réitéré « le point de vue qu’aucune loi n’oblige un employeur à poursuivre ses activités » ou « à demeurer en affaires ». Il est cependant essentiel de souligner que cette décision était rendue dans le contexte d’une plainte déposée en vertu des dispositions des articles 15 et 17 du Code du travail et que la Cour ne s’est pas limitée a réitéré le droit de l’employeur de cesser ses opérations.

En effet, le juge Binnie a précisé que dans l’éventualité d’une fermeture justifiée par des motifs illégaux, par exemple l’antisyndicalisme, les salariés ne seraient pas sans recours. Il s’exprimait ainsi :

« La règle québécoise selon laquelle un employeur peut fermer un établissement pour des motifs condamnables socialement ne signifie toutefois pas qu’il peut le faire sans conséquences négatives sur le plan financier, y compris la possibilité d’avoir à indemniser les salariés pour le préjudice que leur a causé la fermeture. »

Et il a ajouté, en tenant compte des commentaires faits dans l’arrêt

Place des Arts :

« Toutefois l’arrêt Place des Arts ne pose pas le principe plus large selon lequel la cessation des activités remet le compteur à zéro et immunise l’employeur contre les conséquences de ses pratiques déloyales connexes. Il n’empêche pas non plus de conclure que la fermeture elle-même constitue une pratique déloyale de travail visant à entraver les activités du syndicat ou à empêcher les salariés d’exercer les droits que leur confère le code. Les recours appropriés, dont disposent les salariés et le syndicat, sont simplement prévus ailleurs dans le code, et plus particulièrement aux art. 12 à 14, qui concernent les pratiques déloyales de travail. »

La recette
En s’exprimant ainsi le plus haut tribunal du pays a donné aux syndicats et aux salariés la recette à suivre lorsqu’ils feront face à la décision d’un employeur de cesser ses opérations et qu’ils croiront être à même d’établir la preuve de façon prépondérante que cette décision a été prise pour des motifs prohibés par le Code. Ils ne profiteront évidemment pas de la présomption prévue à l’article 17 du Code dans le cas d’une plainte en vertu de l’article 15, mais il leur sera néanmoins loisible de faire leur preuve avec tous les moyens mis à leur disposition : assignation de témoins en leur demandant d’apporter avec eux tous les documents de quelque nature que ce soit (rapports, courriels, correspondances, notes de service) portant sur la décision, interrogatoires et contre-interrogatoires lors d’une audience devant la Commission des relations du travail.

Selon la Cour suprême, la difficulté de faire la preuve que l’antisyndicalisme « a entaché » la décision de fermer l’entreprise ne doit pas être sous-estimée, mais cette exigence minimale que cette décision soit entachée est tout de même selon la Cour un « critère relativement peu exigeant ».

Un employeur qui choisit de fermer son entreprise doit donc faire preuve de prudence pour s’assurer que sa décision n’est pas teintée d’antisyndicalisme, et ce, plus particulièrement dans les cas où cet employeur est en présence d’un syndicat pour la première fois dans l’histoire de ses relations du travail. L’employeur doit s’attendre à ce que les motifs qu’il invoque pour justifier sa fermeture puissent faire l’objet d’une contestation devant la Commission des relations de travail; il doit s’attendre non seulement à être interrogé pour vérifier le bien-fondé de ses motifs, mais aussi à devoir donner accès à ses états financiers dans une situation où il alléguerait des raisons financières à l’appui de sa décision.

Les conséquences
À quoi s’expose l’employeur advenant que la Commission en vienne à la conclusion que la fermeture de son entreprise constituait une pratique déloyale de travail visant à entraver les activités du syndicat ou à empêcher les salariés d’exercer les droits que leur confère le Code? La Cour suprême a bien pris soin de préciser dans la décision Wal-Mart que l’employeur ne peut prendre une telle décision « sans conséquence négative sur le plan financier, y compris la possibilité d’avoir à indemniser les salariés pour le préjudice que leur a causé la fermeture ».

Quelles sont les « conséquences négatives sur le plan financier » et quelle est la portée du mot préjudice utilisé par la Cour? Seul l’avenir nous permettra d’en connaître la portée exacte, mais les employeurs doivent se rappeler que les pouvoirs de la Commission des relations du travail prévus aux articles 118 et 119 du Code sont très vastes. La Cour suprême a utilisé l’expression « indemniser », ce qui devrait écarter le caractère punitif d’une ordonnance de la Commission et indiquer une orientation vers l’octroi d’une indemnité pour la perte d’un emploi. Quels seront les critères utilisés pour en déterminer l’ampleur? Ceux du Code civil ou encore celui d’un nombre de semaines par année de service? Par ailleurs, jusqu’où la Commission voudra-t-elle aller dans les conséquences négatives sur le plan financier pour un employeur qu’elle jugera avoir été responsable de la fermeture d’une entreprise pour des motifs « socialement condamnables »?

Ce ne sont là que quelques-unes des questions qui seront soumises à la Commission au cours des années à venir et auxquelles les employeurs devront s’attarder avant de prendre la décision de fermer leur entreprise. Il ne faudra d’ailleurs pas attendre longtemps, car dès le 4 décembre 2009 le Syndicat des travailleurs de Couche-Tard Montérégie (CSN) déposait une plainte en vertu des articles 12, 13, 14 et 18 du Code du travail contre Couche-Tard, ses franchisés et affiliés, à la suite de la fermeture de leur établissement de Beloeil. Une audience a été convoquée le 16 février 2010.

Me Gilles Touchette, CRIA du cabinet Ogilvy Renault

Source : VigieRT, numéro 43, décembre 2009.


Gilles Touchette, CRIA