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Développements récents en droit du travail et de l’emploi

En 2008–2009, les tribunaux ont rendu plusieurs décisions intéressantes en droit du travail et de l’emploi touchant particulièrement l’obligation de loyauté, les clauses de non-concurrence et la portée d’une convention collective après son expiration. Même si d’autres décisions auraient mérité d’être retenues, nous avons dû nous limiter à celles qui, à nos yeux, étaient les plus marquantes de l’année 2008–2009.

21 septembre 2009
Karine Fournier, CRIA

RBC Dominion Valeurs Mobilières inc. c. Merrill-Lynch Canada inc., 2008 CSC 54
L’affaire se déroule en Colombie-Britannique où RBC Dominion Valeurs Mobilières inc. (RBC) et Merrill-Lynch Canada inc. se font concurrence dans le domaine du courtage de valeurs mobilières. En novembre 2000, la presque totalité des conseillers en placements de RBC, sous la coordination du directeur de la succursale, ont démissionné sans préavis pour se joindre à Merrill-Lynch. Aucun des contrats d’emploi ne comprenait une clause de non-concurrence ou de non-sollicitation. Nul besoin de mentionner que la survie de la succursale de RBC s’en est trouvée menacée. RBC a donc poursuivi l’ancien directeur de sa succursale, les employés démissionnaires ainsi que Merrill-Lynch, leur réclamant des dommages-intérêts compensatoires, punitifs et exemplaires.

La Cour suprême du Canada conclut qu’en l’absence d’une clause de non-concurrence dans le contrat d’emploi des employés, ces derniers n’ont pas l’obligation générale de ne pas concurrencer leur ancien employeur. Cependant, ils sont tenus, implicitement, d’agir de bonne foi et de donner un préavis raisonnable lorsqu’ils décident de quitter leur emploi. Les employés démissionnaires sont alors condamnés à verser des dommages-intérêts à RBC pour avoir manqué à leur obligation de donner un préavis raisonnable lors de leur cessation d’emploi.

Quant à l’ancien directeur de la succursale RBC, la Cour suprême du Canada innove en décidant que celui-ci était lié par un devoir quasi-fiduciaire d’agir de bonne foi, obligation que l’ancien directeur n’a pas respecté en coordonnant le départ massif d’employés subalternes chez un concurrent. Elle condamne alors ce dernier à verser la somme de plus d’un million et demi de dollars en dommages-intérêts pour la perte de profits de RBC découlant du manquement de l’ancien directeur d’agir de bonne foi envers son employeur.

La Cour condamne Merrill-Lynch solidairement avec l’ancien directeur et les anciens employés quant aux dommages octroyés.

Cette décision nous rappelle l’importance d’inclure, quand c’est nécessaire et approprié, des clauses de non-concurrence et de non-sollicitation dans les contrats d’emploi ; elle nous apprend également que, selon son titre ou son niveau décisionnel, un employé-cadre pourrait se voir attribuer, dans certaines circonstances, une obligation quasi-fiduciaire d’agir de bonne foi dans le cadre de son emploi, et ce, malgré l’absence de clause à cet effet dans son contrat d’emploi.

Shafron c. KRG Insurance Brokers (Western) inc., 2009 CSC 6
Monsieur Shafron travaille pour la compagnie d’assurance KRG Insurance Brokers (Western) inc. (KRG). Son contrat d’emploi contient une clause de non-concurrence par laquelle il s’engage « à ne pas travailler dans une entreprise de courtage d’assurances dans l’agglomération de la ville de Vancouver pendant les trois années suivant son départ pour quelque raison que ce soit, sauf un congédiement non motivé ». Un mois après avoir quitté son emploi chez KRG, monsieur Shafron se trouve un nouvel emploi dans une autre agence d’assurances située à Richmond, en banlieue de Vancouver. KRG intente donc une action prétendant qu’il lui fait une concurrence déloyale en violation de la clause de non-concurrence de son contrat. Alors que les tribunaux inférieurs de la Colombie-Britannique avaient refusé de valider la clause de non-concurrence compte tenu que les termes « agglomération de Vancouver » étaient ambigus et avaient alors débouté KRG de son action, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a plutôt utilisé la notion de divisibilité d’une clause et a dissipé l’ambiguïté en réécrivant la clause, soit en redéfinissant l’agglomération de Vancouver comme étant « la ville de Vancouver, la dotation foncière universitaire de l’Université de la Colombie-Britannique, Richmond et Burnaby ».

La Cour suprême du Canada intervient et renverse la décision de la Cour d’appel. En common law, comme les clauses restrictives d’emploi sont une exception au principe de la liberté de commerce, elles sont en général contraires à l’ordre public. Cependant, le principe de la liberté contractuelle fait en sorte que les clauses restrictives d’emploi raisonnables sont permises. Le caractère raisonnable d’une clause restrictive d’emploi s’apprécie selon sa portée géographique, sa durée ainsi que la nature des activités qui y sont interdites. Si l’un de ces éléments est ambigu ou déraisonnable, cette clause ne pourra être entérinée par les tribunaux.

En conséquence, l’exercice qu’a fait la Cour d’appel en redéfinissant l’expression « agglomération de Vancouver » ne peut être retenu. La Cour suprême écrit que cela pourrait inciter certains employeurs à rédiger leur clause de façon démesurée en pensant qu’au pire des cas, les tribunaux pourront en atténuer la portée. Rappelons qu’au Québec, les clauses de non-concurrence doivent, pour être valides, respecter les exigences posées par l’article 2089 du Code civil du Québec.

Syndicat des pompiers du Québec c. Longueuil (Ville), 2008 QCCA 2340
En matière de rapports collectifs de travail, la Cour d’appel du Québec a rendu une décision intéressante où la question au cœur du litige était de savoir si les conditions particulières de travail d’un salarié pouvaient se prolonger malgré l’expiration de la convention collective et la signature d’une nouvelle convention qui ne reprenait pas spécifiquement ces conditions particulières.

Dans cette affaire, un pompier à l’emploi de la Ville de Saint-Hubert avait subi un accident du travail le rendant inapte. Entre 1992 et 2002, différentes clauses de la convention collective s’appliquaient particulièrement à lui et à ses prestations d’invalidité.

En 2003, à la suite des fusions municipales, une nouvelle convention collective est signée entre les parties. Malheureusement pour le salarié, la convention collective ne reprend pas la clause particulière le concernant quant à ses prestations d’invalidité. En conséquence, compte tenu que le salarié a atteint l’âge de la retraite, la ville cesse de lui verser les indemnités de remplacement de revenu. Le syndicat conteste cette décision et dépose un grief. L’arbitre de griefs rejette le grief du syndicat et la Cour supérieure confirme cette décision en révision judiciaire.

La Cour d’appel conclut dans le même sens que l’arbitre de griefs, à savoir que le syndicat ne peut prétendre que les droits exceptionnels conférés au travailleur par une convention collective antérieure ont pu survivre à l’expiration de celle-ci. Comme la ratification d’une nouvelle convention collective emporte l’expiration de la convention antérieure, les conditions de travail des employés de l’unité de négociation visée sont seulement celles définies par la nouvelle convention collective.

Bordeleau c. Banque Nationale du Canada, 2008 QCCA 2207 (C.A.)
Cette décision est intéressante compte tenu qu’elle traite du délai de congé raisonnable dans un contrat de travail à durée déterminée.

Lors d’une restructuration, le poste d’un employé est aboli. Comme l’employé ne veut pas être immédiatement mis à la retraite, la Banque lui offre de le réaffecter à un nouveau poste pour une durée de deux ans. Cette nouvelle affectation est confirmée par écrit en prévoyant une date de terminaison deux ans plus tard. À la fin du délai prévu au contrat, l’employé tente de négocier pour prolonger son contrat, ce que la banque refuse de faire. L’employé intente donc un recours en dommages-intérêts dans lequel il réclame un montant de délai congé de vingt-quatre mois, soit la somme de 536 893,75 $.

La Cour d’appel confirme la décision de première instance qui avait rejeté l’action de l’employé. Elle écrit qu’il est possible qu’un contrat d’emploi à durée indéterminée soit modifié pour devenir un contrat à durée déterminée. La Cour d’appel va même jusqu’à dire que, si le contrat de travail était demeuré un contrat à durée indéterminée, l’employé aurait alors conservé ses conditions de travail pendant vingt-quatre mois, soit la durée du nouveau contrat de deux ans. Ainsi, il aurait alors bénéficié du délai congé de vingt-quatre mois dont il demande le paiement.

Dicom Express inc. c. Paiement, 2009 QCCA 611
Cette décision traite de la distinction entre un contrat d’emploi et un contrat de service.

Dicom Express inc., une société de messagerie, fait appel à des sous-traitants tel Claude Paiement pour cueillir et livrer des colis sur des territoires déterminés. Dicom fait alors affaire avec monsieur Paiement à qui elle demande de s’incorporer. Après plusieurs années, celui-ci tombe malade et, à son retour de congé, apprend que Dicom ne fera plus affaire avec lui. Il réclame de Dicom une indemnité de départ, le remboursement de pertes de revenu et des dommages non pécuniaires.

La Cour d’appel du Québec renverse le jugement de première instance qui avait décidé que monsieur Paiement était lié à Dicom par un contrat d’emploi. La Cour distingue la notion de subordination juridique et de dépendance économique. Selon la Cour d’appel, le contrat liant les parties était un contrat de service où la compagnie de monsieur Paiement décidait elle-même de la façon dont le travail était accompli, recrutait et gérait cinq employés. La Cour écrit que monsieur Paiement ne pouvait être l’employeur et l’employé. La réclamation pour le délai congé est alors refusée. Cependant, la Cour d’appel maintient la condamnation quant aux dommages non pécuniaires subis par monsieur Paiement, compte tenu du manquement à l’obligation de bonne foi de Dicom envers lui et accorde une somme de 11 000 $ pour préjudice moral.

Tremblay c. Tremblay Assurance Ltée, 2009 QCCS 2870
Ce jugement est d’intérêt en ce qu’il concerne la possibilité pour un employé démissionnaire de se prévaloir d’une clause prévoyant une prime de séparation en présence d’une clause claire à cet effet dans son contrat d’emploi.

Le contrat d’emploi de madame Tremblay prévoyait l’extrait de clause suivant : « En cas de séparation, le cabinet s’engage à payer au courtier le montant suivant […] ». Madame Tremblay démissionne de son emploi pour aller travailler chez un concurrent et elle réclame le montant prévu à la clause de séparation de son contrat. L’ex-employeur argumente que cette clause est ambiguë et que le tribunal doit rechercher la commune intention des parties qui était, selon lui, applicable seulement en cas de fin d’emploi de la part de l’employeur ou encore pour le départ à la retraite de l’employée.

Le tribunal conclut que la clause ne souffre d’aucune ambiguïté et qu’elle doit être appliquée dans son sens usuel. En conséquence, madame Tremblay a droit au paiement du montant prévu à sa clause de séparation.

Il est intéressant de constater que les parties ont tout intérêt à rédiger de façon claire et précise toutes les éventualités lors de la terminaison de l’emploi quant à tout versement de prime de départ ou autre montant semblable. En effet, si rien n’est prévu en particulier, le montant sera dû, peu importe que l’employé soit démissionnaire ou que ce soit l’employeur qui ait mis fin à son contrat.

Karine Fournier, CRIA, avocate, Fasken Martineau DuMoulin S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Source : Effectif, volume 12, numéro 4, septembre/octobre 2009.


Karine Fournier, CRIA