ressources / relations-travail

Les griefs patronaux : un outil sous-utilisé

Le recours à l’arbitrage de griefs est, cela est bien connu, le principal mécanisme utilisé par le syndicat en cas de mésentente sur l’application de la convention collective. Mais l’employeur, qui est lui aussi partie à la convention, peut-il s’en prévaloir de la même manière? À moins de stipulation contraire, les clauses structurant la procédure d’arbitrage en permettent habituellement l’utilisation par les deux parties. Une revue de la jurisprudence des dernières années nous indique cependant que l’employeur utilise très peu le grief patronal.

26 février 2008
Marie-Claude Perreault, CRIA et Pierrick Bazinet, CRIA

Le recours à la procédure de grief peut constituer une solution économique dans le règlement de certains litiges. La procédure de grief étant par nature un mécanisme allégé, les parties peuvent y trouver une solution à leurs litiges de manière plus rapide et plus efficace. En effet, dans un contexte où les parties sont en relation étroite au quotidien, le règlement des litiges est souhaitable dans les plus brefs délais.

Il est important de se reporter aux dispositions de la convention collective afin de bien comprendre les modalités entourant le droit pour l’employeur de déposer un grief. À défaut de stipulations quant à la partie à qui s’appliquent lesdites dispositions, celles ci s’appliquent de la même manière pour chacune des parties contractantes. Par exemple, le délai prévu dans le Code du travail pour le dépôt d’un grief est de six mois à compter du jour où la cause d’action a pris naissance. Les parties conviennent fréquemment de délais plus courts pour le dépôt d’un grief, l’article 71 du Code du travail n’ayant qu’un caractère supplétif. Les parties doivent alors convenir de l’application ou non de ce délai à l’employeur et procéder à la rédaction des dispositions à cet égard en conséquence. À titre d’illustration, le tribunal d’arbitrage a rendu une décision où il a jugé que le délai de prescription de la convention collective ne s’appliquait pas à l’employeur puisque les dispositions pertinentes portaient uniquement sur le salarié, le groupe de salariés ou le syndicat. Ainsi, comme le rapportait l’arbitre, « le droit au grief existe pourtant pour l’employeur et si la procédure pour qu’il exerce ce droit n’est pas prévue à la convention collective […] c’est le Code du travail qui doit alors s’appliquer. »[1]

En bref, le grief déposé par l’employeur vise à réclamer d’un syndicat, ou même d’un employé, qu’il se conforme à une obligation résultant de l’application de la convention collective. Évidemment, ces réclamations peuvent être de tout ordre et, bien que le grief patronal ne soit pas fréquemment utilisé, voici certaines situations où l’employeur a pu tirer profit de l’utilisation de la procédure d’arbitrage de grief.

Les recours en cas d’arrêt de travail ou de moyens de pression illégauxÀ la fin de l’année 2007, les tribunaux ont tranché deux litiges[2] similaires où l’employeur avait déposé un grief alléguant une violation de la convention collective et réclamant des dommages-intérêts par suite d’un ralentissement de travail illégal. Dans l’une de ces situations, l’employeur réclamait une ordonnance à l’encontre des dirigeants syndicaux ainsi qu’une indemnisation à parts égales des dommages par les dirigeants syndicaux et les employés. Les parties avaient inclus dans la convention collective l’interdiction pour le syndicat de soutenir un ralentissement de travail destiné à perturber les activités de production. Le tribunal, concluant que le syndicat n’avait pas établi qu’il avait pris toutes les mesures raisonnables afin de mettre un terme aux moyens de pression, a tenu ce dernier responsable des dommages résultant des arrêts de travail. Le tribunal a toutefois rejeté la demande de l’employeur à l’égard des salariés, précisant que celui ci ne pouvait, par l’entremise d’un grief, chercher réparation de son préjudice qu’à l’égard de son cocontractant, c'est-à-dire le syndicat. Dans l’autre cas, des dommages de l’ordre de près de 30 000 $, résultant d’une manifestation de plusieurs dizaines de salariés en vue de perturber les activités de l’employeur, ont été accordés à la suite de la preuve de la faute du syndicat.

L’employeur bénéficie, dans ces situations, d’une façon rapide et efficace de recouvrer les sommes perdues et d’obtenir le respect de la convention collective.

Le remboursement de sommes versées en trop au syndicat ou aux employés
Le grief patronal peut également s’avérer utile pour régler les questions d’ordre financier qui découlent de l’application de la convention collective. Le cas le plus évident est, bien entendu, celui des clauses prévoyant le remboursement des salaires versés pour activités syndicales. L’application de ces clauses peut s’avérer litigieuse lorsqu’il est temps de faire les comptes et l’employeur peut recourir à la procédure de grief pour réclamer au syndicat les sommes qu’il juge lui appartenir. Advenant une situation où le syndicat omet de remettre à l’employeur les sommes versées pour lesdites libérations, le grief patronal permet de trancher la question le plus rapidement possible et de fixer le montant du remboursement le cas échéant. Dans le même ordre d’idées, le grief patronal est souvent l’outil le plus efficace pour réclamer des montants relatifs aux honoraires d’arbitrage. L’arbitre de grief peut alors fixer, dans l’exercice de son mandat, l’importance et les modalités de remboursement de toute somme qu’un employeur aurait versée en trop à un salarié[3].

Recours en dommages-intérêts pour procédures abusives déposées par le syndicat
L’utilisation abusive de la procédure de grief est une manœuvre déplorable visant essentiellement à court-circuiter la gestion des relations du travail en entreprise. De plus, avec la montée d’une certaine crainte de se voir poursuivre pour manquement au devoir de représentation, certains syndicats peuvent avoir tendance à favoriser le dépôt d’un grief plutôt que de chercher à en déterminer d’abord le bien fondé. Ainsi, les tribunaux d’arbitrage ont reconnu le droit de l’employeur de se prévaloir de la procédure de grief pour se faire indemniser à l’égard des dommages subis par un abus de procédure de la part du syndicat. La situation s’est produite l’an dernier[4] lorsqu’un employeur a déposé un grief afin de réclamer le remboursement des frais que lui a causé l’arbitrage de dix neuf griefs déposés par le même salarié. En début d’audience, le syndicat s’est lui même désisté de neuf de ces griefs, pour ensuite se désister de sept autres un peu plus tard. L’arbitre a pour sa part rejeté les trois griefs subsistants pour cause de manque de preuve. L’arbitre a conclu que le syndicat avait toute l’information nécessaire pour constater le caractère frivole des procédures entamées et n’aurait pas dû s’y laisser entraîner. Des dommages de près de 25 000 $ ont été accordés à l’employeur.

Il est évidemment possible pour l’employeur d’utiliser la procédure de grief dans d’autres circonstances. Il peut être bénéfique pour l’employeur d’utiliser à son profit un procédé souple qui comporte de nombreux avantages, tant procéduraux que financiers.

Bref, le grief patronal trouve son fondement dans les clauses mêmes de la convention collective. L’employeur doit donc prévoir comment il souhaite utiliser la procédure d’arbitrage de grief dès l’étape des négociations, d’où l’importance d’une bonne rédaction des clauses de la convention collective, ce qui lui permettra sans aucun doute de tirer avantage d’un outil qui gagne à être connu.


Marie-Claude Perreault, CRIA
, avocate avec la collaboration de Pierrick Bazinet, CRIA et stagiaire pour le cabinet Lavery de Billy

Publié avec l'autorisation de Lavery, de Billy [www.lavery.qc.ca]

Source : VigieRT, numéro 25, février 2008.


1 Ste-Foy (Ville de) et Syndicat des employés manuels de la Ville de Ste-Foy (S.C.F.P.), section locale 2360, D.T.E. 2002T-1095 (T.A.)
2 Paccar du Canada ltée et TCA-Canada, D.T.E. 2007T-864 (T.A.); Travailleuses et travailleurs unis de l’alimentation et du commerce, section locale 501 et Sobeys Québec inc., D.T.E. 2008T-95 (T.A.)
3 Code du travail, L.R.Q. c. C-27, art. 100.12 b) et d)
4 Hôpital général juif Sir Mortimer B. Davis et Syndicat des travailleuses et travailleurs de l’Hôpital général juif Sir Mortimer B. Davis, D.T.E. 2007T-474

Marie-Claude Perreault, CRIA et Pierrick Bazinet, CRIA