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Mieux vaut être bien préparé

Les personnes concernées par une enquête sur une plainte de harcèlement au travail ne se préparent pas toutes de la même manière. Certaines le font bien, alors que d’autres le font moins bien. Une fois convoquées à une entrevue dans le cadre d’une procédure d’enquête menée à l’interne, les parties plaignantes devraient, en principe, être rendues à l’étape de la mise au point de leurs prétentions tandis que les parties mises en cause devraient se préparer à l’idée qu’elles auront à répondre à des allégations.

14 février 2012
Isabelle Cantin, CRHA

Plus les renseignements donnés seront clairs et bien structurés, plus il sera facile à l’enquêteur de comprendre les problématiques et les enjeux et, par ricochet, de prendre en note des déclarations complètes, puis de rédiger un rapport d’enquête rigoureux qui tiendra compte des points de vue de chacune des parties.

Il n’existe pas de recette miracle pour bien se préparer. Cependant, une partie qui prendra le temps de dresser méthodiquement la chronologie des incidents et qui regroupera des éléments de preuve (documentaire ou autre) pouvant corroborer ses allégations sera certes dans une meilleure position que celle qui choisira de se présenter à l’entrevue sans avoir fait cet exercice.

L’enquêteur désigné voudra, entre autres, déterminer :

  • L’identité de la ou des personnes visées par la plainte
  • Les faits
  • Le déroulement des faits
  • Le moment où les faits sont survenus
  • Les témoins, le cas échéant
  • L’élément déclencheur, s’il y a lieu

Il est primordial pour les parties de se concentrer sur les faits (plutôt que sur des impressions ou des perceptions) et, si possible, d’en préciser les dates. En effet, au Québec, selon la Loi sur les normes du travail (« la Loi ») et plus particulièrement l’article 123.7 de celle-ci, le salarié dispose d’un délai de 90 jours après la dernière manifestation d’une conduite de harcèlement psychologique pour formuler une plainte. Ce même délai existe en milieu syndiqué pour déposer un grief (article 81.20 de la Loi). Comme la plupart des politiques conçues à l’interne pour contrer le harcèlement en milieu de travail ont incorporé ce délai dans les sections décrivant la procédure applicable, la partie plaignante doit d’abord prouver ce qui s’est passé pendant ces 90 jours pour ensuite, éventuellement, faire la preuve portant sur des faits survenus avant cette période. L’expérience actuelle démontre qu’il arrive souvent que des parties plaignantes veuillent ainsi retourner dans le passé ce qui, il faut le noter, n’est pas sans poser certains problèmes puisqu’il n’est pas toujours facile de se souvenir de faits lointains, surtout lorsqu’on s’adresse aux témoins qui ne sont pas des parties directement concernées par la plainte. Plus il y aura de détails, mieux ce sera.

Les devoirs de l’enquêteur sont multiples. Il doit notamment revoir chacune des allégations et les traiter, une par une. Il devrait également tenir compte de l’impact de la problématique invoquée sur chacune des parties et leur demander quelles sont leurs attentes. Cette démarche est utile, en particulier, pour déterminer si la conduite alléguée a « porté atteinte à la dignité ou à l’intégrité psychologique ou physique du salarié et entraîné un milieu de travail néfaste » comme cela est énoncé à l’article 81.18 de la Loi.

S’il existe une preuve (un témoin ou un document) pouvant confirmer telle ou telle allégation ou encore les effets de telle ou telle conduite, la partie devra le mentionner à l’enquêteur et lui fournir le nom du témoin potentiel ou une copie d’une preuve documentaire (p. ex., un extrait d’une convention collective, d’une note interne, d’un courriel, d’un mémo, d’un post-it, d’une photo, d’un organigramme, d’un plan de l’aire de travail, d’une carte de souhaits, d’un enregistrement, d’un certificat médical, etc.).

Pour pouvoir bien se préparer, la partie mise en cause devra recevoir une copie de la plainte ou, à défaut, et comme cela est presque toujours le cas en raison des restrictions portant sur la confidentialité et la protection des renseignements personnels, être informée de la substance des allégations et avoir accès aux pièces pertinentes déposées afin de pouvoir les commenter. Rappelons que le but d’une enquête interne est de dresser un portrait global, le plus fidèle possible, de ce qui s’est passé. L’enquêteur doit recueillir les informations d’une manière objective et respectueuse des droits de chacun, et cela, dans un délai raisonnable. Il doit donc être expérimenté, rigoureux et organisé. Il doit s’abstenir de faire tout commentaire, favorable ou défavorable, à l’une ou l’autre partie. Il doit également attendre d’avoir toutes les renseignements nécessaires pour tirer des conclusions lesquelles seront ultérieurement intégrées dans son rapport d’enquête. Comme on le dit parfois, il y a toujours deux côtés à une médaille.

Si l’enquêteur se trouve devant des versions divergentes et opposées et qu’il n’existe aucun témoin (ce qui est souvent le cas, notamment en matière de harcèlement sexuel), il devra évaluer la crédibilité des déclarants. Il examinera, entre autres, divers facteurs, dont la date de la plainte par rapport aux événements allégués, le contexte, le nombre de « victimes », l’existence de plaintes antérieures et similaires à l’endroit de la partie mise en cause, les motifs invoqués pour se plaindre et ce que la partie plaignante souhaite. De manière générale, il pourra tenir compte de la réputation d’un déclarant etporter une attention particulière à la manière dont ce dernier s’exprime (langage verbal et non verbal). L’enquêteur devra également considérer la preuve, documentaire ou autre, portée à sa connaissance et la façon dont cette preuve a été obtenue, la qualité de l’information reçue et l’envergure des détails fournis. Il existe aussi des indices utiles[1] auxquels il pourra se référer pour apprécier le témoignage d’un déclarant, tout en gardant en mémoire qu’il est important de les examiner, ainsi que la preuve, dans une perspective globale. Ces indices sont les suivants :

  • Comportement du déclarant
    • Est-il anormalement nerveux, tendu?
    • Est-il intimidé?
    • Est-il volubile?
    • A-t-il peur?
    • De quelle manière est-il assis?
    • Gesticule-t-il?
    • Regarde-t-il l’enquêteur dans les yeux ou son regard erre-t-il sans cesse d’un endroit à l’autre[2]?
    • Hausse-t-il la voix?
  • Degré de collaboration
    • Se contente-t-il de dire le strict minimum?
    • A-t-il des réticences?
    • Son incapacité de répondre est-elle réelle ou est-ce une excuse?
  • Spontanéité
    • Est-il volontaire dans ses réponses?
    • Existe-t-il des raisons pour qu’il se souvienne de tel ou tel fait?
  • Détails et pertinence
    • Sa mémoire est-elle bonne?
    • A-t-il un bon sens de l’observation?
    • Est-ce que son propos est détaillé?
    • Est-ce que son propos est pertinent?
    • Fait-il référence à des observations personnelles ou rapporte-t-il des observations qui ne sont pas de lui (« ouï-dire »)?
    • À quel moment le déclarant a-t-il pris connaissance des renseignements fournis?
  • Vraisemblance des renseignements donnés
    • Les renseignements sont-ils cohérents?
    • Les renseignements sont-ils vérifiables?
  • Intérêt à dire la vérité ou, à l’inverse, à mentir
    • Le déclarant affirme-t-il ou nie-t-il avec ou sans explications?
    • A-t-il quelque chose à gagner ou à perdre?
    • A-t-il des motifs pour dire la vérité ou à l’inverse, la déformer, voire mentir?
    • A-t-il des liens d’amitié ou d’inimitié avec une partie, un témoin?

En terminant, il est conseillé aux parties et aux témoins qui s’interrogent au sujet du déroulement d’une enquête interne de poser leurs questions à la personne-ressource de l’entreprise, à un conseiller de leur choix ou encore directement à l’enquêteur plutôt que de perdre une ou plusieurs nuits de sommeil à se tourmenter.

Mieux vaut prévoir et ainsi être bien préparé, ce qui s’applique aussi, il va sans dire, à la personne désignée pour enquêter.

Note à propos de l’auteur :
Avocate spécialisée en matière d’enquêtes internes (harcèlement et violence au travail). Elle est également médiatrice accréditée (PC). Elle a écrit avec Jean-Maurice Cantin, c.r. : Politiques en matière de harcèlement autravail et réflexions sur le harcèlement psychologique, 2e édition, Yvon Blais, 2006, La dénonciation d’actes répréhensibles en milieude travail ou whistleblowing, Éditions Yvon Blais, 2005 ainsi qu’un article intitulé Workplace Violence and Harassment in Ontario: What to expectfrom Bill 168 and how to copewith the new legislation, publié par Thomson Reuters dans le recueil de M. le juge John R. Sproat, Employment Law Manual, avril 2010.

Source : VigieRT, février 2012.


1 Veuillez noter que cette liste n’est pas exhaustive, et que ces critères doivent être examinés dans leur ensemble. Par exemple, une personne qui ne se fierait qu’à la nervosité d’un déclarant pourrait se tromper en donnant ainsi à ce critère un poids déterminant. Il ne faut pas non plus oublier que le seul fait d’avoir à témoigner rend la majorité des déclarants tendus.
2 Veuillez noter que dans certaines communautés culturelles, il peut être considéré inapproprié de fixer quelqu’un dans les yeux; c’est le cas notamment pour les ressortissants de certains pays asiatiques.

Isabelle Cantin, CRHA