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ÉTUDE DE CAS – L’obligation de négocier de bonne foi

Plusieurs dispositions du Code du travail réglementent les relations entre les parties dans le cadre de la négociation d’une convention collective ou des activités de l’association de salariés et de ses membres. Les principales sont prévues aux articles suivants :

22 mars 2011
Me Monique Desrosiers

« 12. Aucun employeur, ni aucune personne agissant pour un employeur ou une association d'employeurs, ne cherchera d'aucune manière à dominer, entraver ou financer la formation ou les activités d'une association de salariés, ni à y participer.

« Aucune association de salariés, ni aucune personne agissant pour le compte d'une telle organisation n'adhérera à une association d'employeurs, ni ne cherchera à dominer, entraver ou financer la formation ou les activités d'une telle association ni à y participer.

« 13. Nul ne doit user d'intimidation ou de menaces pour amener quiconque à devenir membre, à s'abstenir de devenir membre ou à cesser d'être membre d'une association de salariés ou d'employeurs.

« 42. À la suite d'une requête en accréditation, en révision ou en révocation d'accréditation ou d'une requête portant sur une question relative à l'application de l'article 45, la Commission peut ordonner la suspension des négociations et du délai pour l'exercice du droit de grève ou de lock-out et empêcher le renouvellement d'une convention collective. En ce cas, les conditions de travail prévues dans la convention collective demeurent en vigueur et l'article 60 s'applique jusqu'à la décision de la Commission.

« 47.2. Une association accréditée ne doit pas agir de mauvaise foi ou de manière arbitraire ou discriminatoire, ni faire preuve de négligence grave à l'endroit des salariés compris dans une unité de négociation qu'elle représente, peu importe qu'ils soient ses membres ou non.

« 53. La phase des négociations commence à compter du moment où l'avis visé à l'article 52 a été reçu par son destinataire ou est réputé avoir été reçu suivant l'article 52.2. Les négociations doivent commencer et se poursuivre avec diligence et bonne foi.

« 58.2. Lorsqu'elle estime qu'une telle mesure est de nature à favoriser la négociation ou la conclusion d'une convention collective, la Commission peut, à la demande de l'employeur, ordonner à une association accréditée de tenir, à la date ou dans le délai qu'elle détermine, un scrutin secret pour donner à ses membres compris dans l'unité de négociation l'occasion d'accepter ou de refuser les dernières offres que lui a faites l'employeur sur toutes les questions faisant toujours l'objet d'un différend entre les parties. La Commission ne peut ordonner la tenue d'un tel scrutin qu'une seule fois durant la phase des négociations d'une convention collective.

« 68. La convention collective conclue par une association d'employeurs lie tous les employeurs membres de cette association auxquels elle est susceptible de s'appliquer, y compris ceux qui y adhèrent ultérieurement. La convention collective conclue par une association de commissions scolaires ne lie que celles qui lui ont donné le mandat exclusif prévu à l'article 11.

« 143. Quiconque enfreint une disposition des articles 12, 13 ou 14, commet une infraction et est passible d'une amende de 100 $ à 1000 $ pour chaque jour ou fraction de jour que dure l'infraction. »

Ces articles prévoient des obligations pour l’employeur et le syndicat, la principale étant l’obligation de négocier de bonne foi. Lorsqu’il y a ingérence, entrave, domination ou intimidation de la part de l’employeur, la Commission des relations du travail (CRT) peut « ordonner la suspension des négociations et du délai pour l'exercice du droit de grève ou de lock-out et empêcher le renouvellement d'une convention collective ». Voici un aperçu des questions soumises à la CRT et des principes applicables.

Liberté d’association
L’obligation de négocier de bonne foi s’inscrit dans le cadre de la liberté d’association reconnue par les Chartes. Dans l'arrêt Health Services and Support — Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie-Britannique (C.S. Can., 2007-06-08), 2007 CSC 27, SOQUIJ AZ-50436503, la Cour suprême du Canada a reconnu que la liberté d'association garantie par la Charte canadienne des droits et libertés protège le droit de négocier collectivement des conditions de travail. Elle a conclu que certaines dispositions d'une loi de la Colombie-Britannique visant à améliorer la prestation des services de santé et des services sociaux – ayant pour effet de modifier les conditions de travail des salariés – étaient inconstitutionnelles parce qu'elles entravent le droit de négocier collectivement garanti par la Charte canadienne des droits et libertés. La Cour a tenu compte du fait que la loi a été rapidement adoptée, sans véritable consultation des syndicats avant que le projet devienne loi.

Plus récemment, au Québec, la Commission des relations du travail (CRT) a souligné le fait que la liberté d'association ne se résume pas au droit d'adhérer à une association de salariés : Travailleuses et travailleurs unis de l'alimentation et du commerce, section locale 501 et L'Écuyer, SOQUIJ AZ-50627411. Elle englobe aussi le droit de pouvoir s'engager dans de véritables négociations collectives avec l'employeur en vue de déterminer les conditions de travail, ce à quoi n'ont pas accès les travailleurs agricoles saisonniers.

Plusieurs autres cas, provenant du secteur privé et public, illustrent bien ces principes ainsi que leur application à diverses situations susceptibles de se produire en milieu de travail. En voici quelques exemples.

Obligation de négocier de bonne foi
Rôle de la CRT
Le rôle de la CRT n'est pas de déterminer si la stratégie de négociation dite coordonnée est conforme aux obligations qu'impose le Code du travail, mais d'apprécier la conduite du syndicat afin de décider s'il a agi avec diligence et bonne foi : Super C, une division de Métro Richelieu inc. et Syndicat des travailleuses et travailleurs de Super C Chicoutimi (CSN), SOQUIJ AZ-50584648. Dans cette affaire, l'employeur a déposé une plainte alléguant que le syndicat qui représente les salariés de son établissement de Chicoutimi refusait de négocier les termes d'une convention collective avec diligence et bonne foi. Il prétendait que l'application par ce dernier d'une stratégie de négociation coordonnée n'était pas conforme à l'esprit, à la lettre ni à l'économie générale du Code du travail. Il a demandé à la CRT d'ordonner au syndicat de reprendre les négociations avec diligence et bonne foi en concentrant ses efforts sur la réalité concrète de l'établissement visé par son accréditation. La CRT a rejeté la plainte, estimant qu'il n'était pas opportun de se prononcer sur la légalité de la stratégie syndicale de négociation ainsi que sur sa mise en application. Elle a précisé : 1. que la négociation coordonnée est la somme des négociations que mènent simultanément les syndicats participants en poursuivant des objectifs semblables et en s'efforçant de progresser au même rythme à toutes les tables visées en vue d'obtenir des résultats comparables à peu près en même temps; 2. qu’il ne lui revient pas de déterminer si la stratégie de la négociation dite coordonnée est conforme ou non aux obligations qu'impose le Code, puisque celui-ci ne prescrit aucune manière précise de négocier; mais 3. qu’il impose une obligation de moyens aux parties, entre autres, au moyen de l'article 53 qui énonce que les négociations doivent commencer et se poursuivre avec diligence et bonne foi. La CRT a conclu qu’il n’était pas opportun, à ce stade, de statuer sur la légalité de la stratégie.

Obligation de l’employeur et du syndicat
Le refus de l'employeur de signer la convention conclue entre les parties peut aussi ne pas découler d'un événement survenu au cours de la négociation, mais plutôt du fait qu'il n'a pas obtenu ce qu'il voulait lors d'une réunion du comité des relations du travail; il s'agit d'une violation de son obligation de négocier avec diligence et bonne foi (art. 53 du Code).  : Di Paolo et Section locale 145 du Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, SOQUIJ AZ-50486142. Dans cette affaire, l’employeur et le syndicat ont produit des plaintes pour manquement à l’obligation de négocier de bonne foi. La CRT a conclu que le refus de l'employeur de signer la convention ne découlait pas d'un fait ou d'un événement survenu au cours de la négociation ou du processus ayant conduit à son renouvellement. Selon elle, celui-ci se sert de l'obligation de signature de la convention comme d'un levier afin d'obtenir une limite au débat à venir relativement à un grief qui concerne la convention expirée. Or, il ne s'agit pas d'un motif permettant de révoquer le fruit de la négociation terminée. La CRT a également précisé que l'ajout d'un point après la conclusion d'une négociation relève de la mauvaise foi.

Suspension du droit de grève
Dans l’affaire Syndicat des salariés d'Imprimerie Vincent et Syndicat international des peintres et métiers connexes, travailleurs industriels, section locale 349-A, SOQUIJ AZ-50520525, la CRT a ordonné la suspension des négociations d'une première convention collective, une requête en accréditation ayant été déposée par une autre association de salariés. Elle a conclu, par ailleurs, que l’article 42 du Code lui permettait d'ordonner la suspension de la grève déjà en cours. Cet article prévoit que dans certaines circonstances, notamment à la suite d'une requête en accréditation, la CRT peut « ordonner la suspension des négociations et du délai pour l'exercice du droit de grève ou de lock-out et empêcher le renouvellement d'une convention collective ». Dans cette affaire, la CRT a conclu que la section locale 349 avait raison d'affirmer que l’article 42 ne prévoit pas précisément qu’elle peut ordonner la cessation d'une grève légale déjà en cours. Cependant, au moment où les requêtes en accréditation et en suspension des négociations avaient été déposées, la grève n'était pas encore déclarée. La CRT a également précisé que la grève n'est pas une fin en soi, mais plutôt un moyen mis à la disposition d'une association de salariés accréditée afin de faire pression sur l'employeur en vue de l'amener à accepter ses revendications. Elle a conclu qu’en l'absence de négociations ou d’un agent négociateur défini, il est difficile de concevoir comment l'exercice du droit de grève peut se justifier. La CRT a aussi précisé que le pouvoir de suspendre le délai pour l'exercice du droit de grève comprend celui de suspendre une grève en cours pour les mêmes motifs qui fondent la suspension des négociations. Elle a conclu que, comme la négociation était suspendue et que l'agent négociateur restait à déterminer, rien ne justifiait la poursuite de la grève, de telle sorte qu'une ordonnance suspendant l'exercice du droit de grève était appropriée.

Vote secret
Dans Petro-Canada et Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, section locale 175 (SCEP), SOQUIJ AZ-50513349, la CRT a ordonné la tenue d'un vote secret sur les dernières offres de Petro-Canada. Elle a cependant rejeté la demande visant à empêcher les représentants de la compagnie de faire des déclarations aux salariés avant le vote et celle visant à interdire la présence des dirigeants syndicaux au moment du vote, et ce, afin de respecter le droit des parties à la liberté d'expression. Selon la CRT, le texte de l'article 58.2 est sans équivoque : la tenue d'un scrutin secret a pour but de fournir aux membres de l'association accréditée l'occasion d'accepter ou de refuser les dernières offres de l'employeur alors que l'association se refuse à le faire, sans plus. Ni la lettre de présentation, ni le bilan personnalisé des répercussions financières de l'offre, ni le résumé de ses principaux éléments ne constituent des documents visés par cet article. Les offres de Petro-Canada et le protocole de retour au travail sont les seuls documents qui doivent être transmis aux salariés.

D'autre part, le syndicat n'a pas convaincu la CRT qu'il y avait lieu d'ordonner à Petro-Canada de ne faire aucune déclaration aux salariés relativement à ses dernières offres. Le seul fait qu'une plainte pour ingérence dans les affaires syndicales soit déposée à la CRT n'est pas suffisant, en l'absence d'une décision en ayant déterminé le bien-fondé, pour restreindre d'une telle manière le droit à la liberté d'expression de l'employeur. Par ailleurs, il a été décidé que les prétentions de Petro-Canada selon lesquelles la présence des dirigeants du syndicat local et de trois représentants nationaux pourrait constituer de l'intimidation à l'endroit des salariés appelés à voter n’étaient que pure spéculation.

Ingérence, entrave ou intimidation
Dans la cause Syndicat des travailleurs de l'information de La Presse (CSN) et Presse ltée (La), SOQUIJ AZ-50583925, la CRT a conclu que l'employeur a tenté de s'ingérer dans les affaires syndicales à l'occasion des négociations en vue du renouvellement de la convention collective, lorsqu'il a transmis certains communiqués à ses employés, dont un les invitant à consulter sur l'intranet une offre globale et finale ainsi qu'un document de type questions et réponses. La plainte pour négociation de mauvaise foi et la demande de divulgation d'états financiers ont été rejetées, mais la plainte en vertu de l'article 12 du Code du travail a été accueillie. Selon les syndicats, le caractère sans précédent des demandes de l'employeur justifiait la divulgation d'informations financières sans lesquelles ils ne pourraient faire de recommandations appropriées à leurs membres. La CRT a retenu qu’il est vrai qu'un employeur invoquant une situation financière sérieuse doit pouvoir apporter des arguments crédibles. Elle a cependant conclu que, dans cette affaire, l’employeur n'a pas refusé de fournir de l'information aux syndicats ou d'honorer un engagement pris envers eux. Il a permis à des mandataires spécialisés d'assister à des rencontres d'information, de poser des questions et d'avoir accès à des données confidentielles, en se soumettant à des conditions exigeantes. La CRT a conclu qu’elle ne pouvait évaluer la situation à la lumière de la seule affirmation d'un mandataire qui estime ne pas avoir eu suffisamment d'informations pour remplir son mandat. La preuve ne permettant pas de conclure que l'employeur est de mauvaise foi, la demande de divulgation a été rejetée.

La plainte d’ingérence en vertu de l'article 12 du Code a été accueillie. Selon la CRT, l'employeur a envoyé divers communiqués à l'ensemble des employés, dont certains ne sont que de nature factuelle. Toutefois, dans l'un de ceux-ci, il fait part aux employés d'arguments qu'il aurait plutôt dû transmettre aux syndicats, lesquels détiennent le monopole de représentation. La CRT a également conclu que d'autres communiqués, qui comportent un mélange de données factuelles et de remarques éditoriales, dépassent la simple expression d'opinions. Un communiqué informant les employés du dépôt d'une offre globale et finale les invitait à consulter cette offre ainsi qu'un document de type questions et réponses sur l'intranet, et ce, avant même d'en avoir discuté à la table des négociations. Or, selon la CRT, le contenu de ces communiqués a eu pour effet de miner la crédibilité des syndicats, qui sont présentés comme un obstacle majeur à la survie de l'entreprise. De façon à peine voilée, l'employeur a demandé aux employés de faire entendre raison à leurs représentants syndicaux. Elle conclut que de telles communications ne permettent pas de négocier de façon objective, et que l'employeur a tenté de s'ingérer dans les activités syndicales et de négocier directement avec les employés.

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Source : VigieRT, mars 2011.


Me Monique Desrosiers