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La gestion des ressources humaines à l’ère de l’intelligence artificielle

Avec cet article, l’auteur nous propose un tour d’horizon de l’intelligence artificielle et se penche sur sa mise en application et ses incidences dans le domaine de la gestion des ressources humaines.

29 janvier 2020
Me Nicola Di Iorio, Ad. E. de BCF

L’intelligence artificielle (IA) consiste en différents logiciels traitant une ou plusieurs bases de données considérables à l’aide d’un ordinateur adéquat. À cela, il faut ajouter au moins un intervenant humain capable de manier le tout. Ces éléments, pourtant simples à énoncer, contiennent chacun des ingrédients qui font la merveille de l’IA tout en créant de nouveaux défis pour ses usagers.

Évolution ou révolution? Les deux!

Qu’il s’agisse de l’évaluation d’un prêt bancaire, de soutien au diagnostic en médecine ou même d’aide dans la prise de décision lors d’un conflit, l’IA évolue si rapidement dans certaines de ses applications qu’il faut parfois parler de révolution. Rappelons toutefois qu’elle n’en est qu’à ses balbutiements. Dans certains domaines, les promesses de l’IA ne se réaliseront tout simplement pas, ou plutôt, se concrétiseront d’une manière autrement envisagée. Pour l’instant, il convient d’écarter le mythe voulant que l’IA soit un substitut à l’intelligence humaine. En fait, avec les outils actuels, il n’y a pas d’IA sans la pleine participation de l’humain. Le gestionnaire des ressources humaines, en bénéficiant du soutien des outils de l’IA, devra ainsi tenir compte des différents défis d’ordre juridique susceptibles de survenir.

1. Éthique, équité et contraintes légales

Les logiciels que sont les assistants personnels de type Siri ou Alexa utilisent des voix féminines. Ils véhiculent ainsi une idée préconçue voulant que le rôle de soutien ou le travail avec une composante émotionnelle soit dévolu aux femmes. Les concepteurs du logiciel sont certainement préoccupés par sa performance et cherchent sans doute à rendre l’outil crédible. Pourtant, ils maintiennent le préjugé que l’on connaît. Cet exemple simple illustre le fait que les logiciels de l’IA dépendent des biais – voulus ou non – de leurs créateurs.

À d’autres occasions, les biais résultent de la base de données. Les logiciels de l’IA utilisés pour le recrutement sont basés sur des algorithmes dont le contenu est tenu secret. Ces algorithmes sont utilisés pour la collecte des données et alimentent ainsi le Big Data qui sert de carburant à l’IA. Tout le monde n’est pas prêt à exposer ses réalisations, ses succès et même ses exploits sur le Web ni est en mesure de le faire. Il s’agit donc d’un autre biais non intentionnel qui devient une limitation à l’efficacité de l’IA, puisque la base de données est composée de l’information véhiculée par certaines personnes et non par d’autres. Bien qu’un algorithme soit, à première vue, plus objectif qu’un être humain, il n’en demeure pas moins, tel qu’illustré par les exemples précédents, qu’il ne faut pas remplacer une forme de subjectivité par une autre.

Toutes ces situations, en contexte d’emplois et de ressources humaines, nous amènent à la première préoccupation dans l’utilisation de ces logiciels : sont-ils fiables? Quand un humain accomplit une tâche, on examine s’il la fait avec compétence. Quand il s’agit d’un logiciel, on examine le résultat, d’où la préoccupation de l’équité de la démarche. Un algorithme peut ainsi être conçu pour prendre en compte, par exemple, la participation à des sports d’équipe. Or, il peut s’avérer, encore à titre d’exemple, que certains nouveaux arrivants au pays n’ont pas développé cette aptitude dans leur pays d’origine. Un humain qui analyserait un bassin de candidatures serait en mesure de faire cette distinction, alors que l’algorithme pourrait appliquer simplement le critère donné, à moins d’être adapté à la réalité.

La technologie en matière de ressources humaines connaît un essor phénoménal. Nous n’avons qu’à penser à l’offre grandissante de logiciels. Ces progrès reposent sur l’utilisation des banques de données de type Big Data , lequel est amené à remplacer de plus en plus les classeurs d’autrefois. Ce Big Data est ainsi utilisé dans des processus permettant de prendre des décisions en matière d’embauche, de promotion, d’évaluation du rendement, de formation, de dotation et de recrutement. Le recours aux outils de l’IA permet essentiellement de faire des prédictions dont le degré de fiabilité peut varier considérablement pour diverses raisons. Comment la banque de données a-t-elle été constituée? Couvre-t-elle une région géographique similaire à celle de l’algorithme? Tient-elle compte des particularités culturelles? Est‑elle adaptée à la réalité contemporaine? Une vérification de sa fiabilité est-elle effectuée régulièrement, et ce, de manière indépendante? Voilà simplement un échantillon du questionnement auquel doit s’astreindre le gestionnaire des ressources humaines qui a recours aux instruments découlant de l’IA.

Les avantages de l’IA sont toutefois bien réels. À titre d’exemple, qui n’a pas constaté les ratés d’un processus d’entrevue? Typiquement, il semble que peu importe le nombre d’entrevues, la durée ou l’intensité du processus d’entrevue, ce n’est que dans le vécu au quotidien, après l’embauche, que l’on saura si une personne pourvoit adéquatement le poste pour lequel elle a été recrutée. Il va de soi que toute aide ou toute amélioration découlant de la contribution de l’IA sera d’un secours inestimable. Ce n’est donc pas la contribution de l’IA à l’amélioration de la gestion des ressources humaines qui est en cause, mais plutôt la prévention des dérapages qui peuvent survenir dans un coup d’éclat. Cependant, et c’est là que la vigilance du gestionnaire vaut son pesant d’or, les anomalies voient le jour la plupart du temps de manière graduelle, subtile et à peine perceptible. L’analogie la plus simple qui vient à l’esprit est celle de la goutte qui fait déborder le vase : une fois ce seuil franchi, il pourra s’avérer difficile, pénible et fort coûteux de faire marche arrière. La solution? La validation constante. Cela paraît curieux puisqu’à première vue, le gain économique s’en trouve amoindri. Pourtant, la plupart des processus de l’IA prévoient aussi un apprentissage. C’est là qu’il faut incorporer la vigilance et ainsi éviter l’érosion graduelle de la neutralité, l’accumulation de biais et des réclamations découlant d’un résultat discriminatoire si l’on veut que le personnel et toutes les autres personnes entourant l’organisation gardent foi en ces nouveaux outils.

2. La réaction du personnel en poste

Les promesses de l’IA dépassent largement sa capacité actuelle. Quoiqu’on puisse s’accommoder de cette réalité, il en est tout autrement quand l’IA produit des résultats qui soulèvent le doute. Dans les deux cas cependant, il faudra préparer le personnel aux écarts entre les promesses et la réalité ainsi qu’à l’éventualité de résultats non fiables. Le gestionnaire des ressources humaines doit être prêt à expliquer le cheminement suivi par un algorithme afin d’éviter que le scepticisme prenne le dessus et conduise ultimement à une contestation d’une nature ou d’une autre. À titre d’exemple, il est aisé pour un employé de comprendre qu’un poste sera attribué sur la base de l’ancienneté. Par contre, une entreprise profite davantage du potentiel de ses ressources humaines si d’autres critères sont pris en compte pour l’attribution dudit poste. Ainsi, un algorithme pourrait considérer, par exemple, dix critères différents qui permettraient de produire un résultat plus adéquat. Toutefois, cet avantage pour l’entreprise risque d’être gaspillé si un ressentiment est créé chez le personnel en raison d’une incompréhension lorsque les employés font des comparaisons entre eux et s’expliquent mal la raison des résultats différents.

Cette problématique, l’incompréhension des employés en l’occurrence, peut être exacerbée notamment par une autre difficulté propre à l’IA et sa dépendance au Big Data  : l’étendue de l’échantillonnage.

3. Le dilemme de l’étendue de l’échantillonnage

Le terme Big dans Big Data ne doit pas être sous-estimé. Que ce soit en pharmaceutique, dans le commerce de la vente au détail ou dans la fabrication, les opérateurs de l’IA peuvent compter sur des banques de données phénoménales. Par contre, il en va autrement dans le cas d’une entreprise donnée. Un médicament peut être produit à des millions, voire des milliards, d’exemplaires et prescrit à des millions de patients. À l’inverse, une entreprise peut embaucher des centaines et parfois quelques milliers d’employés. Forcément, puisque la base de données est plus restreinte, il en résultera des carences en matière de fiabilité des provisions résultant de l’IA. Tout comme la plupart des gestionnaires savent que les finissants de tel programme universitaire peuvent être préférés à ceux de tel autre, un algorithme bien conçu peut, même avec un échantillonnage plus limité, produire des résultats suffisamment fiables. Le défi demeure encore là toujours le même : la création d’un biais qui devienne source de discrimination.

Conclusion

En matière de gestion des ressources humaines et du recours à l’IA, il y a lieu de considérer plusieurs problématiques qui doivent être évitées en raison de leurs conséquences malsaines, soit la conception de l’algorithme, l’élaboration de la base de données et l’interprétation des résultats. Ceux-ci peuvent cumulativement, ou même distinctement, produire des distorsions qui auront tôt fait de forger un biais. Ce biais, s’il n’est pas corrigé par une intervention humaine, aura tôt fait de créer une discrimination qui pourra être illégale. Même dans le monde ultramoderne de l’I.A, il faut garder en tête que le terme « humain » demeure la préoccupation première du professionnel gestionnaire spécialiste en la matière.


Me Nicola Di Iorio, Ad. E. de BCF

Source :

Source : VigieRT, janvier 2020.