Une réalité en croissance, mais invisible
C’est dans cette optique que deux recherches ont été réalisées. D’une part, il s’est agi de mieux cerner les besoins et le vécu des aidants en emploi. D’autre part, les perceptions des employeurs à l’égard de cette catégorie de main-d’œuvre ont été mises en lumière de même que les pratiques organisationnelles de conciliation qui lui sont destinées. Une série d’articles sera alors proposée afin de rendre compte des résultats de ces deux recherches. Dans un premier temps, la présente contribution brosse le portrait des aidants en emploi afin de déterminer leurs caractéristiques sociodémographiques. Elle examine également les incidences pour les employeurs, alors que 60 % des aidants occupent un emploi rémunéré.
Connues sous diverses appellations, aidants naturels, aidants familiaux, proches aidants, les personnes qui jouent ce rôle apportent un soutien significatif, continu ou occasionnel, à titre non professionnel à un membre de la famille ou à un ami (MSSS, 2003). Ces personnes constituent un véritable pilier des soins à domicile, puisqu’elles assument, sur une base volontaire, près de 80 % de l’aide aux bénéficiaires. Au Québec, c’est une personne sur 4, âgée de 15 ans ou plus, qui agit comme proche aidant[1] !
La grande majorité des proches aidants ne s’identifient pas comme tels, considérant normal, ou encore nécessaire de s’impliquer auprès de la famille ou d’un proche. S’il est plus facile de se dire aidant lorsque les tâches réalisées réfèrent à des soins médicaux ou personnels, il en va autrement si l’aide apportée relève d’autres domaines. Or, les proches aidants assument un éventail de tâches débordant largement les soins proprement dits, les visites ou les appels au bénéficiaire étant le type d’aide le plus souvent apporté, suivi du transport.
Tâches réalisées par les proches aidants | |
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Visites ou appels à l’aidé/soutien moral | 90 % |
Transport | 73 % |
Travaux ménagers | 51 % |
Entretien extérieur et intérieur de la maison | 45 % |
Planification des rendez-vous | 31 % |
Gestion des finances | 27 % |
Aide pour traitements médicaux ou personnels | 23 % |
Contrairement aux idées reçues, les proches aidants sont de tous âges.
Considérant que 28 % d’entre eux appartiennent à la « génération sandwich » , cette réalité touchant davantage les femmes (54 %), les aidants subissent une double pression générationnelle, celle de prendre soin de leurs enfants et celle de la prise en charge de leurs parents vieillissants. À ces responsabilités, s’ajoute également souvent un emploi, ce qui triple la pression.
De qui prennent-ils soin?
La proche aidance est souvent associée au soutien apporté à son parent âgé alors que les problèmes liés au vieillissement s’avèrent la principale raison de fournir des soins (28 % des cas). Bien que les parents soient les principaux bénéficiaires de soins, il est ici utile de rappeler que les aidants s’occupent de différentes personnes.
Liens avec la personne prise en charge par le proche aidant | |
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Mère ou père | 38 % |
Ami, voisin ou collègue | 16 % |
Grand-parent de l’aidant | 13 % |
Belle-mère ou beau-père | 10 % |
Autre membre de la famille | 10 % |
Conjoint ou conjointe | 8 % |
Fils ou fille de l’aidant | 5 % |
Un rôle à intensité variable selon les clivages des stéréotypes sexuels
Le nombre d’heures médian consacré à la sphère des soins est de 3 heures par semaine. Si les parents sont les principaux bénéficiaires de soins, ce sont les conjoints et les enfants qui sollicitent une implication plus soutenue :
La presque parité des aidants hommes et femmes occulte une importante réalité : les gestes faits pour soutenir les proches s’effectuent selon les clivages des stéréotypes sexuels, les femmes étant plus susceptibles que les hommes de fournir des soins personnels.
Type d’aide fourni | Femmes | Hommes |
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Soins personnels | 29 % | 13 % |
Traitements médicaux | 27 % | 18 % |
Travaux ménagers (ex. : repas) | 59 % | 41 % |
Entretien de la maison et travaux extérieurs | 35 % | 56 % |
Cette division sexuelle du travail a pour conséquence un empiétement accru sur les autres sphères de la vie dès lors que les responsabilités assumées par les femmes sont de nature telle qu’elles doivent être réalisées à des heures fixes et de façon régulière, contrairement aux tâches généralement prises en charge par les hommes qui peuvent plus facilement être effectuées au moment qui leur convient.
Quels impacts sur l’emploi rémunéré?
Le fait de s’occuper d’un proche s’accompagne de conséquences sur la vie professionnelle, les aidants devant rajuster non seulement leurs horaires, mais aussi leurs perspectives de carrière.
Effets sur la vie professionnelle | % des aidants |
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Retards au travail, partir plus tôt ou s’absenter pour s’occuper du proche | 43 % |
Recherche d’un emploi moins exigeant en raison des responsabilités d’aidant | 40 % |
Réduction hebdomadaire des heures de travail | 15 %[2] |
Refus de promotion ou d’un nouvel emploi | 10 % |
Un coût pour les employeurs
Les difficultés de conciliation entre la vie professionnelle et les responsabilités de soins des aidants ont des répercussions importantes sur les employeurs canadiens (Fast et coll., 2014; Fast, 2015; Sinha, 2013).
Perte en productivité liée à la situation des aidants en emploi | 1,3 milliard $/an |
Coûts directs liés au taux de roulement découlant des responsabilités de soins | 4 milliards $/an |
Absentéisme | 10 millions de journées d’absence/an |
Pourquoi s’intéresser à cette réalité?
Les CRHA ont intérêt à reconnaître les proches aidants et à comprendre ce qu’ils vivent, puisqu’ils constituent une tranche considérable de la main-d’œuvre. Considérer avec acuité cette réalité est d’autant plus important en raison de l’augmentation prévue du nombre d’aidants au cours des années à venir (Fast, 2015), du vieillissement de la population, de l’insistance de l’État pour la prestation des soins à domicile et du contexte de rareté de main-d’œuvre. Une adaptation des pratiques organisationnelles aux besoins des aidants en emploi s’avère nécessaire, puisqu’elles peuvent être différentes de celles relevant de la conciliation travail-famille qui touche les parents de jeunes enfants. Un rajustement organisationnel qui se traduit par l’adoption de pratiques adaptées aux besoins des proches aidants s’accompagne d’effets positifs autant pour l’employé que pour l’organisation. C’est ce que mettront en lumière les articles à venir.
Références
Fast, J., Lero, D.S., Keating, N., Eales, J. et Duncan, K. (2014). « The Economic Costs of Care to Employers: A Synthesis of Findings ». Research on Ageing, Policies and Practice, Human Ecology. Edmonton: University of Alberta.
Fast, J. (2015). Caregiving for Older Adults with Disabilities: Present Costs, Future Challenges. IRPP Study 58. Montreal : Institute for Research on Public Policy.
Ministère de la Santé et des Services sociaux (2003). Chez soi, le premier choix. La politique de soutien à domicile, Québec.
Sinha, M. (2013). Portrait des aidants familiaux, 2012 : faits saillants. Produit no 89 652 X au catalogue de Statistique Canada, 1–24. Repéré à https://www.statcan.gc.ca/pub/89-652-x/2013001/hl-fs-fra.htm.
1 | Toutes les statistiques proviennent de Sinha (2013) fondé sur l’Enquête sociale générale (ESG) portant sur les soins donnés et reçus. |
2 | La réduction des heures de travail s’impose davantage lorsque l’intensité des soins exige d’y consacrer plus d’heures par semaine. |