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Étude comparative: L’apport des professionnels RH à la conciliation travail-vie personnelle

Les professionnels ressources humaines détiennent une position importante dans les conditions d’applications favorables à la conciliation travail-vie personnelle. Comme professionnel, voyez comment vous pouvez jouer un rôle d’influence dans la mise en place de ce type de pratiques.

Recherche financée en partie par
Fondation CRHA

Isabelle Létourneau, Ph.D., CRHA

Ce projet de recherche offre une contribution originale au champ d’études de la conciliation travail-vie personnelle (CTVP) en l’abordant sous l’angle des professionnels en ressources humaines (PRH). Ceux-ci sont considérés comme des portiers (Milliken et coll., 1998) et des pivots (Goudswaard et coll., 2013) de la CTVP, en raison notamment de leur contrôle sur les informations et leviers RH organisationnels. Cette position privilégiée des PRH dans la dynamique des acteurs de la CTVP – qui inclut, entre autres, les employés, les superviseurs, les organisations, les syndicats et les fournisseurs de services – appelle à une meilleure compréhension de leurs pratiques (comportements observables ou actions concrètes) favorables à la CTVP et des conditions d’application de celles-ci et cela, en fonction des clientèles desservies. Les PRH à clientèle interne (ou « en entreprise ») sont des salariés répondant aux besoins de la haute direction, des superviseurs et des employés de l’organisation pour laquelle ils travaillent. Les PRH à clientèle externe (ou « en pratique privée ») sont, quant à eux, des travailleurs autonomes ou des professionnels travaillant en cabinet qui établissent des contrats avec des organisations ou des individus requérant leurs services de consultation. Les premiers doivent légalement accomplir leur travail sous la gouverne de leur employeur (C.c.Q., L.Q. 1991, c. 64, a. 2085), mais ont l’avantage de connaître l’organisation et ses membres de l’intérieur. Les seconds, plus limités dans la connaissance de leur clientèle, bénéficient toutefois d’une marge de manœuvre appréciable dans le choix des moyens pour réaliser leurs mandats. Ces distinctions entre PRH soulèvent la question de l’efficacité respective de leurs pratiques favorables à la CTVP, ainsi que des ressources et des contraintes influençant leur mise en œuvre. Le fait d’être un PRH à clientèle interne – ou inversement, un PRH à clientèle externe – le rend-il plus susceptible de déployer certaines pratiques favorables à la CTVP? Au-delà de la connaissance de la clientèle ou de la latitude dans la réalisation des mandats, qu’est-ce qui facilite le déploiement de ces pratiques ou s’y oppose? Au moyen d’une étude comparative, le présent projet se veut le premier à mettre en évidence l’apport des PRH à la CTVP relativement aux clientèles desservies.

Bien que l’importance de PRH comme acteurs de la CTVP soit reconnue (Kelly et Moen, 2007; McCarthy et al., 2013), peu d’études se sont intéressées à leurs pratiques favorables à la CTVP et encore moins à ces pratiques en regard des clientèles desservies. Une revue de la littérature permet toutefois de distinguer trois types d’écrits scientifiques pertinents. Premièrement, ceux abordant les attitudes des PRH à l’égard de la CTVP. Ces études montrent, notamment, que les organisations sont plus susceptibles d’offrir des mesures de CTVP lorsque les PRH ont une opinion favorable de celles-ci (Kossek et al., 1994; Milliken et al., 1998), que les attitudes positives des PRH envers les mesures de CTVP sont principalement influencées par des pressions normatives venant de leurs pairs (Peters et Heusinkveld, 2010) et que les croyances des PRH à propos des mesures de CTVP sont positivement associées à l’utilisation de celles-ci par les employés (McCarthy et coll., 2013). Ces recherches permettent d’identifier des antécédents distaux des pratiques des PRH en matière de CTVP puisque, selon la Théorie du comportement planifié d’Ajzen (1991), les attitudes peuvent engendrer des intentions d’agir, lesquelles peuvent donner lieu à des comportements observables ou actions concrètes. Deuxièmement, des écrits scientifiques abordent les pratiques que les PRH devraient mettre en place : identifier les ressources et les contraintes liées à la CTVP dans les emplois et les organisations; concevoir, communiquer, implanter, gérer et évaluer les mesures de CTVP; informer, soutenir et former les superviseurs; promouvoir une culture favorable à la CTVP (Ayudhya et al. 2015; Bond et Wise, 2003; Cadieux et Létourneau, 2014; Kelly et Moen, 2007; Morris et Madsen, 2007; Pitt-Catsouphes et coll., 2007; Ryan et Kossek, 2008; Sutton et Noe, 2005). Ces études donnent quelques indications quant aux catégories de pratiques susceptibles d’être adoptées, mais ne révèlent guère les pratiques effectives des PRH. Troisièmement, des études décrivant des interventions dans des organisations identifient quelques pratiques réelles des PRH telles que : prendre l’initiative de concevoir des mesures et des programmes de CTVP; former les superviseurs à dialoguer avec les employés de CTVP; former les employés à la flexibilité en emploi; gérer les employés dits problématiques en matière de CTVP (Bailyn, 2011; Goudswaard et al., 2013; Tombari et Spinks, 1999). Force est de reconnaître que cette liste s’avère sommaire. Elle ne porte d’ailleurs que sur les PRH à clientèle interne. Même si Bailyn (2011) dénombre quelques ressources et contraintes pouvant influencer l’implantation de mesures de CTVP, tel le partage de responsabilités en matière de CTVP ou les présupposés entretenus sur l’employé idéal, celles-ci se rapportent davantage aux pratiques organisationnelles qu’à celles spécifiques aux PRH. L’apport des PRH à la CTVP, en fonction des clientèles internes et externes, reste donc entièrement à établir.

Par leur position privilégiée dans la dynamique des acteurs de la CTVP, les PRH peuvent contribuer à neutraliser les facteurs situationnels attisant les conflits entre le travail et la vie personnelle, tels que les horaires inflexibles ou atypiques de travail, la charge élevée de travail ou le manque de soutien organisationnel (Byron, 2005). Selon Clutterbuk (2003, p. 4), le PRH joue un rôle vital et substantiel dans le fait de créer une culture organisationnelle qui soutient la CTVP : « Only HR can make a convincing case for the business impact of investing time and money in promoting good work-life balance (WLB) practice; only HR can craft and sell in to top management viable strategies for taking advantage of the competitive potential that a proactive approach to WLB brings; only HR can design and integrate the wide portfolio of policies needed; and only HR can develop and implement the processes for measuring progress against WLB goals. » En outre, les défis individuels et organisationnels de CTVP ont expressément été traduits en « impératifs de GRH » (Pitt-Catsouphes et Googins, 2005, p. 446). Les PRH ont ainsi été appelés à intervenir, d’une part, auprès des employés tentant d’assumer adéquatement leurs responsabilités professionnelles et personnelles dans un contexte de constante demande, et d’autre part, auprès des organisations dont la performance est affectée par les difficultés de CTVP de leurs employés. Lorsque confrontés à ce type de situation, quelles pratiques les PRH déploient-ils pour favoriser la CTVP dans les organisations? Les PRH à clientèle interne et externe mettent-ils en œuvre les mêmes comportements et actions concrètes ou non? À quel point les ressources soutenant leurs pratiques et les contraintes y faisant obstacle diffèrent-elles? La comparaison des PRH en fonction de leurs clientèles internes et externes prend tout son sens lorsqu’il s’agit d’identifier les meilleures pratiques pour répondre aux défis et enjeux de CTVP.

Pour réaliser cette étude exploratoire, une stratégie de recherche qualitative sera adoptée. L’échantillon sera composé de 30 PRH membres de l’Ordre des CRHA : 15 à clientèle interne et 15 à clientèle externe. La sélection des participants se fera en fonction de caractéristiques typiques, soit le fait d’être membre de l’Ordre des CRHA (ce qui garantit le statut de PRH) et le fait d’être confronté à des enjeux de CTVP dans son travail (ce qui permettra d’identifier les pratiques favorables à la CTVP ainsi que les ressources et contraintes influençant la mise en œuvre de celles-ci). La collecte de données prendra la forme d’entretiens individuels semi-directifs d’au plus 75 minutes qui se dérouleront sur les lieux de travail ou dans un endroit choisi par les participants. Chacun d’eux recevra une carte-cadeau d’Archambault de 50 $ pour sa participation à l’étude. Les entretiens seront enregistrés et retranscrits aux fins d’analyse avec le logiciel QDA Miner.

L’étude établira un tout premier cadre de référence pour les scientifiques et les praticiens. Ceux-ci y découvriront les pratiques que les PRH à clientèle interne et les PRH à clientèle externe mettent en œuvre pour favoriser la CTVP dans les organisations, ainsi que leurs conditions d’application. Ce cadre permettra d’identifier les meilleures pratiques pour chaque type de PRH, ainsi que les ressources à favoriser et les contraintes à neutraliser dans leur mise en œuvre. Les résultats de la recherche pourront être traduits en outils de formation, ce qui permettra de soutenir les PRH dans l’adoption de pratiques favorables à la CTVP. Les PRH seront ainsi sensibilisés à l’importance de mobiliser les ressources présentes dans les milieux organisationnels afin de neutraliser les contraintes influençant la mise en œuvre de leurs pratiques favorables à la CTVP.

La réalisation de ce projet est soutenue par une bourse de la Fondation CRHA, une subvention du FRQSC et un apport financier du Département de management et GRH de l’Université de Sherbrooke.

 

Références

Ajzen, I. (1991). The Theory of Planned Behavior. Organizational Behavior and Human Decision Processes, 50(2), 179-211.

Ayudhya, C. N., Prouska, R. et Lewis, S. (2015). Work-Life Balance Can Benefit Business During Financial Crisis and Austerity. Human Resource Management International Digest, 23(5), 25-28.

Bailyn, L. (2011). Redesigning Work for Gender Equity and Work-Personal Life Integration. Community, Work & Family, 14(1), 97-112.

Bond, S. et Wise, S. (2003). Family Leave Policy and Devolution to the Line. Personnel Review, 32(1/2), 58-72.

Byron, K. (2005). A Meta-Analytic Review of Work-Family Conflict and its Antecedents. Journal of Vocational Behavior, 67(2), 169-198.

Cadieux, N. et Létourneau, I. (2014). Partenaires d’affaires RH : passer de la parole aux actes en matière d’harmonisation travail-vie personnelle. Effectif, 17(5), 36-39.

Clutterbuck, D. (2003). Managing Work-Life Balance: A Guide for HR in Achieving Organizational and Individual Change. London: Chartered Institute of Personnel and Development.

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Morris, M. L. et Madsen, S. R. (2007). Advancing Work-Life Integration in Individuals, Organizations, and Communities. Advances in Developing Human Resources, 9(4), 439- 454.

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Pitt-Catsouphes, M., Matz-Costa, C. et MacDermid, S. M. (2007). HRD Responses to Work- Family Stressors. Advances in Developing Human Resources, 9(4), 527-543.

Ryan, A. M. et Kossek, E. E. (2008). Work-Life Policy Implementation: Breaking Down or Creating Barriers to Inclusiveness? Human Resource Management, 47(2), 295-310.

Sutton, K. L. et Noe, R. A. (2005). Family-Friendly Programs and Work-Life Integration: More Myth Than Magic? Dans E.E. Kossek et S. J. Lambert (éd.), Work and Life Integration: Organizational, Cultural, and Individual Perspectives (Chapitre 8, p. 147-164). Mahwah, NJ: Lawrence Erlbaum Associates.

Tombari, N. et Spinks, N. (1999). The Work/Family Interface at Royal Bank Financial Group: Successful Solutions – A Retrospective Look at Lessons Learned. Women in Management Review, 14(5), 186-194.


Isabelle Létourneau, Ph.D., CRHA