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L’obligation d’accommodement en milieu de travail

Dans un contexte de diversification de la main-d’œuvre, les CRHA sont appelés à se questionner sur les pratiques organisationnelles qui visent l’intégration d’un personnel hétérogène. Le succès d’une telle démarche repose sur la capacité des employeurs à gérer la diversité. Les mesures d’accommodements constituent l’une des voies possibles pour lutter contre la discrimination et pour favoriser l’inclusion en milieu de travail. Comment les CRHA peuvent-ils s’assurer que ces accommodements en milieu de travail s’inscrivent dans une véritable culture de prévention et d’intégration ?

Catherine Beaudry, PhD., CRHA et Mélanie Gagnon, PhD., CRIA

Les responsabilités des acteurs en matière d’accommodement

En milieu de travail, l’employeur a l’obligation juridique d’aménager une norme ou une pratique jugée discriminatoire pour une personne. Cette discrimination se manifeste de manière directe lorsqu’elle se fonde sur l’un des motifs prohibés à l’article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne (L.R.Q., c-12) : la race, la couleur, le sexe, l’identité ou l’expression de genre, la grossesse, l’orientation sexuelle, l’état civil, l’âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l’origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap. La discrimination indirecte découle de l’application d’une norme de travail qui paraît neutre, mais qui s’avère préjudiciable pour l’employé.

Pour répondre à cette obligation, l’employeur peut modifier le travail ou les conditions de travail. Lorsqu’un employé se montre dans l’incapacité d’assumer ses fonctions en raison d’un des motifs de discrimination prévus à la Charte, l’employeur a l’obligation de l’accommoder sauf s’il fait la démonstration d’une contrainte excessive qui s’évalue notamment en fonction des impacts sur les autres salariés de l’unité et des ressources financières de l’employeur.

Quelques exemples de mesures d’accommodement possibles
Aménagement du travail Allégement de la tâche
Modification de la nature des tâches
Aménagement des conditions de travail Travail à distance
Modification de l’horaire de travail
Réduction des heures de travail
Attribution de congés supplémentaires
Retour progressif
Aménagement de l’espace de travail
Modification des équipements
Modifications à l’emploi Réaffectation si un poste de nature différente est disponible
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Chaque situation étant singulière, l’employeur opère une gestion au cas par cas. Les besoins en matière d’accommodement sont évalués en fonction des réalités propres au milieu de travail et à l’employé, des solutions individualisées étant proposées. La gestion des accommodements s’avère donc complexe pour les employeurs, mais ils ne sont pas les seuls à en assumer la responsabilité. Le salarié et le syndicat sont également impliqués dans le processus de recherche de solutions jugées raisonnables.

L’employé doit fournir l’information nécessaire à la démarche, coopérer afin de trouver des mesures adéquates et être prêt à faire des compromis. Le syndicat doit, quant à lui, tenter d’obtenir des mesures d’accommodement conformes aux besoins du salarié victime de discrimination sans faire entrave aux démarches faites par l’employeur. Les circonstances particulières de chaque cas doivent être prises en compte, l’obligation d’accommodement ne pouvant être réglée par une clause de convention collective s’appliquant de manière uniforme et automatique.

Que peuvent faire les CRHA ?

Comment les conseillers en ressources humaines peuvent-ils concourir au succès des démarches en matière d’accommodement ? Les pistes d’action sont multiples et gagnent non seulement à prendre en considération les obligations légales, mais également le bien-être de l’employé accommodé et le maintien d’un climat de travail harmonieux.

Rôles du CRHA Suggestions de pratiques
Contribuer à l’établissement de solutions concertées, acceptées par tous. Planifier et animer les rencontres avec le supérieur immédiat, l’employé et le syndicat.
Inviter les acteurs concernés à s’impliquer dans la démarche.
S’assurer que les solutions retenues enrayent la discrimination.
S’assurer de la faisabilité des solutions.
Réfléchir aux impacts des solutions trouvées.
S’assurer que les décisions prises sont exemptes de biais perceptuels. Former les acteurs sur les motifs de discrimination.
Sensibiliser les acteurs à leurs propres préjugés.
Contribuer au maintien d’un climat de travail harmonieux. Informer les employés sur les obligations en matière d’accommodement.
Expliquer les objectifs relatifs aux mesures déployées.
Soutenir les collègues qui sont touchés par les mesures mises en place.
Favoriser une gestion proactive de la diversité. Réfléchir aux sources de discrimination en milieu de travail.
Réfléchir en amont aux moyens à mettre en place pour prévenir la discrimination.
Développer une politique de gestion proactive de la diversité.

Le CRHA : un agent facilitateur

L’importance d’une solution concertée constitue l’une des clefs du succès de la démarche. Il s’agit non seulement d’aménager le travail pour répondre aux obligations légales, mais surtout d’éviter une situation discriminatoire. Il importe donc de répondre aux besoins de l’employé en l’impliquant, lui et le syndicat, dans la recherche de mesures adaptées à sa situation. Le supérieur immédiat gagne également à participer à la démarche, car il aura généralement à assurer la gestion des répercussions sur le travail et sur les collègues. Mises de l’avant de manière concertée, les solutions implantées ont davantage de chances d’être pertinentes et acceptées par tous. Le rôle du CRHA consiste dès lors à agir à titre d’agent facilitateur pour contribuer à l’établissement de mesures, et ce, de manière concertée.

Une remise en cause des préjugés

Certains motifs d’accommodement tendent à susciter davantage d’empathie chez les gestionnaires et les délégués syndicaux, ceux-ci étant dès lors prêts à soutenir l’employé. En guise d’exemple, une demande d’accommodement pour motif de handicap physique paraît généralement justifié tant pour les représentants de l’employeur que ceux du syndicat. D’autres motifs de discrimination sont au contraire parfois perçus comme peu légitimes et accompagnés de préjugés. Lorsque le handicap résulte d’un problème de santé mentale, le diagnostic est plus souvent remis en question dans l’organisation. Les motifs religieux ou culturels suscitent eux aussi davantage de résistance chez les représentants de l’employeur ou du syndicat, les demandes qui y sont associées pouvant être envisagées comme des privilèges. Les réponses organisationnelles et syndicales à de telles demandes risquent alors d’être négatives, bien qu’il s’agisse bel et bien de motifs légitimes prévus à la Charte. Le CRHA a donc pour rôle de s’assurer que les décisions prises au regard des accommodements sont exemptes de biais perceptuels.

Considérer les collègues

Si les aménagements consentis à l’employé répondent à ses besoins et sont acceptés tant par l’employeur que par le syndicat, il demeure tout de même nécessaire de s’assurer d’informer les membres de le l’équipe de travail des mesures déployées et des objectifs qu’elles sous-tendent. Un sentiment d’injustice contribue à envenimer le climat de travail, dans la mesure où les collègues perçoivent l’accommodement comme un avantage auquel ils n’ont pas droit. Dans une telle situation, leur motivation peut décliner et l’inclusion de l’employé accommodé dans l’équipe de travail risque d’être compromise. Or, si l’accommodement vise à assurer l’égalité en milieu de travail, il est possible qu’il soit au contraire perçu comme une source d’injustice, l’employé qui en bénéficie paraissant privilégié aux yeux de ses pairs. Qui plus est, les collègues de travail sont parfois affectés par les mesures d’accommodement destinées à un autre employé. Il importe donc d’offrir leur un soutien significatif. L’assistance, tant sur le plan émotionnel qu’instrumental, n’est donc pas uniquement réservée à l’employé accommodé.

Une gestion proactive de la diversité pour une améliorer la justice organisationnelle

Ce sentiment d’injustice de découle essentiellement du fait que l’accommodement est à sa face même individualisé. Cette gestion au cas par cas génère des exceptions qui font craindre aux employeurs la création de précédents. Ouvrir la porte à une dérogation devient risquée, puisque les autres employés voudront eux aussi bénéficier de mesures destinées au départ à un seul employé. Comment est-il alors possible de considérer les besoins de chacun, sans soulever d’injustices et sans susciter moult demandes ? Une des pistes de réponse réside dans la gestion proactive de la diversité qui vise l’intégration de tous les employés. Il s’agit pour le CRHA de mesurer l’impact des pratiques organisationnelles sur l’ensemble du personnel, puis de les modifier lorsqu’elles sont susceptibles de générer de la discrimination. Cette réflexion pave alors la voie à des politiques organisationnelles souples qui embrassent des réalités diversifiées et qui ne contribuent pas à la marginalisation des employés qui y recourent. À titre d’exemple, un horaire fixe peut concourir à la discrimination des employés qui désirent observer certaines pratiques religieuses. Avec la visée de contrer ce problème, l’horaire variable peut être instauré pour l’employé qui en fait la demande en évoquant le motif de religion. Dans une gestion proactive de la diversité, une politique sur l’horaire variable est définie en considérant les besoins organisationnels et ceux du personnel, et s’applique à l’ensemble des employés. Une telle politique élargie favorise l’inclusion de tous les employés, sans distinguer les personnes selon leurs caractéristiques personnelles. Les besoins particuliers de certains employés ne sont pas contestés, mais la gestion s’avère inclusive, et ce, sans rejeter d’emblée les demandes d’accommodement individualisés le cas échéant.


Catherine Beaudry, PhD., CRHA et Mélanie Gagnon, PhD., CRIA