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Négocier en période de pandémie : une bonne idée?

L’auteur s’intéresse à la négociation du point de vue des employeurs et des syndicats dans un contexte de crise sanitaire. Au-delà des priorités qui occupent les organisations, qu’en est-il des négociations au sein de l’entreprise?

11 novembre 2020
Me Philippe Desrosiers, CRIA

Le monde a été secoué par la pandémie, et en parler au passé est un euphémisme. Alors que bien des sphères de l’économie peinent à se relever, que les lendemains demeurent incertains et que nos politiciens rivalisent d’idées pour amoindrir les conséquences d’une crise sans précédent, les employeurs et les syndicats doivent faire face à leur réalité quotidienne. Elle se traduit notamment par la poursuite des relations du travail au sein de leurs organisations et de façon plus spécifique, au renouvellement de leurs conventions collectives. 

Le premier réflexe de nombreux employeurs est de se concentrer sur les priorités du moment dont l’une des plus importantes est de maintenir à flot l’organisation. Cette réaction est, dans les circonstances, des plus légitimes. D’aucuns diront qu’elle est même salutaire, car à défaut d’avenir, le renouvellement d’une convention collective n’a point de salut.

Du point de vue syndical, la priorité est d’assurer le maintien des emplois de leurs membres dans un cadre sécuritaire, tout en soutenant ceux qui sont mis à pied.

Une fois ces constats effectués, une question demeure : est-il raisonnable de maintenir la convention collective à découvert?

Lorsque le décret sur l’urgence sanitaire a été adopté par le gouvernement en mars dernier et que le confinement est devenu une réalité pour tous, bien malin celui qui pouvait prévoir la fin de cette crise. La réaction du monde du travail a été de mettre sur pause les dossiers de relations du travail, dont les échanges visant à renouveler les conventions collectives. Or, nous réalisons maintenant que la crise ne sera pas de courte durée.

Devant une telle réalité, il devient illusoire de penser que d’emblée les partenaires à un contrat collectif de travail accepteront de surseoir à leurs droits à la négociation. Pour certains, les attentes seront même élevées. Un employeur pourra être tenté de revoir plusieurs éléments normatifs et de discuter de la pertinence de certains avantages dans un contexte difficile. Quant au syndicat, du fait de la reconnaissance gouvernementale de ses membres au bénéfice d’un service essentiel, il développera tout un argumentaire pour appuyer ses demandes et cristalliser les avantages mis de l’avant par l’employeur afin de faire face à la crise tout en maintenant les services.

Devant un tel tableau, l’employeur ou le syndicat proactif sera favorisé, mais ce dernier devra bien jouer ses cartes pour éviter de fragiliser son organisation.

LA NÉGOCIATION : LE FOND

Avant de se lancer tête baissée dans un tel exercice, chaque partie devra établir ses priorités. Il est capital qu’un partenaire sache exactement où l’autre se dirige. Pour ce faire, une présentation des orientations dès le premier échange est essentielle. Elle sera le solage sur lequel naîtra la prochaine convention. Certains diront que cette approche doit être réalisée en tout temps, mais assurément davantage dans la période actuelle. Ce discours devrait être une main tendue à l’autre partie afin qu’elle saisisse l’ampleur des enjeux. Il consistera à bien définir les actions à poser pour traverser la crise et limiter les dommages. Le partenaire doit comprendre qu’il n’est pas qu’un spectateur, mais bien un acteur à part entière. Il faut gagner l’écoute de l’autre, c’est la clé de départ.

Une fois les enjeux circonscrits, une fois que chacun réalisera l’incertitude dans laquelle est plongée son organisation et qu’il faut en assurer la pérennité, les partenaires à un contrat de travail collectif devront expliquer leurs attentes. Il est inapproprié d’élaborer une liste sans fin de demandes normatives; le moment est mal choisi. L’objectif devrait être de maintenir autant que faire se peut le statu quo de la convention actuelle. Il n’est pas avantageux de se lancer dans une refonte lorsque la priorité vise à assurer la continuité des activités de l’organisation dans une période tumultueuse.

Quant au volet monétaire, il serait pour le moins téméraire de finaliser une convention collective sur une longue période du fait de l’incertitude économique mondiale. Plusieurs voudront attendre que les nuages se dissipent avant de faire des concessions importantes. Il est cependant illusoire de croire qu’une partie acceptera un renouvellement sans bénéfice. Il existe pourtant des solutions pour répondre aux intérêts de chacun. Un renouvellement de courte durée favorisera les rapprochements. L’employeur pourra concéder une augmentation raisonnable, ou un montant forfaitaire en tenant lieu, sans nuire à sa situation financière, tout en satisfaisant le syndicat. Une autre approche pourrait favoriser un renouvellement de moyenne durée en y intégrant une disposition permettant de négocier les augmentations ultérieures. Une telle approche permettra de mieux cerner les aléas du moment et évitera de fragiliser les organisations en cause. Enfin, les parties pourraient également favoriser l’arbitrage de différend en cas d’échec tout en renonçant à leurs droits de grève ou de lock-out. Cette approche comporte certains risques; il est fortement suggéré que l’arbitrage soit circonscrit à des sujets précis et limités et que l’arbitre soit tenu de choisir entre deux propositions sans possibilité de les modifier.

LA NÉGOCIATION : LA FORME

La Santé publique a élaboré une multitude de règles visant à protéger la population des risques de contagion par le virus de la Covid-19. Une de celles-ci est de favoriser la distanciation par voie électronique.

Négocier le renouvellement d’une convention collective en utilisant une plate-forme virtuelle peut s’avérer adéquat pour certains et tentant pour d’autres.

L’expérience démontre toutefois que les bénéfices s’avèrent mitigés. Les outils électroniques déficients ou manquants, la méconnaissance des plates-formes de communication, la bande Internet plus ou moins robuste et l’écart entre les personnes ne favorisent nettement pas un terrain d’entente.

Il ne faut pas sous-estimer le poids des échanges en personne pour chacun des caucus de négociation. Bien souvent un consensus se dégagera par une approche personnalisée. Il est plus facile de contrôler le message sur place!

Dans ce contexte, l’approche traditionnelle est largement recommandée tout en respectant les règles de distanciation et les gestes barrières. Cette crise amènera assurément des changements permanents, mais un cadre de négociation en personne saura résister pour une raison évidente : il est plus simple de se comprendre en face à face. Encore plus vrai lorsque de nombreux joueurs sont impliqués.

CONCLUSION

Nous sommes d’avis qu’une organisation ne devrait pas délaisser la négociation dans le contexte actuel. Une prise de position ferme et un discours visant à rassurer le partenaire sont à privilégier. L’approche proactive favorisera le processus et permettra davantage à chacune des parties d’atteindre ses objectifs. Les échanges seront mieux servis en présence qu’à distance.

Négocier en période de pandémie, c’est une bonne idée!


Me Philippe Desrosiers, CRIA

Source :

Source : VigieRT, novembre 2020.