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Télétravail en contexte de pandémie et lésions psychologiques

Le télétravail est une chose. Le travail à distance en temps de pandémie, mis en place dans l’urgence et l’incertitude, en est une autre. Voici quelques pistes de réflexion relativement à la prévention et à l’indemnisation des lésions psychologiques dans ce contexte.

23 septembre 2020
Me Sylviane Noël, conseillère juridique, SOQUIJ

Dans le contexte de la pandémie, le domicile de nombreux travailleurs est brusquement devenu leur lieu de travail. Le travail à distance, qui n’est pas sans comporter des avantages, fait naître des questionnements à l’égard d’une foule de sujets en droit du travail : implications juridiques du télétravail, respect de la vie privée, surveillance de la navigation sur Internet, ergonomie du poste de travail et gestion de la performance à distance n’en sont que quelques-uns.

Ce passage soudain à un autre mode d’exécution des tâches soulève nécessairement des questions relativement à la prévention des lésions professionnelles et à leur indemnisation.

Dans la mesure où l’urgence de la situation a fait en sorte que les travailleurs installés à leur domicile ne bénéficient pas nécessairement de conditions optimales sur le plan de l’ergonomie du poste de travail, on songe d’emblée aux risques d’apparition de lésions musculo-squelettiques et aux mesures permettant de les prévenir. 

Cependant, on s’intéresse de plus en plus aux conséquences du passage en mode télétravail sur la santé mentale des travailleurs. Isolement, nécessité de s’adapter rapidement aux changements, exécution de tâches inhabituelles ou nombre accru de tâches figurent parmi les difficultés pouvant être rencontrées par les « télétravailleurs temporaires ».

Comme le soulignent les auteurs d’un article traitant de certains enjeux reliés au télétravail, bien que l’application aux télétravailleurs de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (LSST) et de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles soulèvent des questions que les tribunaux n’ont pas encore étudiées, les télétravailleurs ne sont pas exclus de leur application.

Mieux vaut prévenir : Loi sur la santé et la sécurité du travail

La Loi sur la santé et la sécurité du travail énonce, à son article 2, qu’elle « a pour objet l’élimination à la source même des dangers pour la santé, la sécurité et l’intégrité physique des travailleurs ».

Cet article ne fait pas mention de la santé psychologique des travailleurs. Cependant, dans la décision Association accréditée SPGQ et Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail, le Tribunal administratif du travail a récemment rappelé que cette loi vise également la protection de la santé mentale. Les faits dans cette affaire ne s’inscrivaient pas dans un contexte de télétravail, mais le rappel du principe semble particulièrement d’actualité. 

Obligations de l’employeur et du travailleur

Outre l’objet qu’elle énonce à l’article 2, la LSST prévoit que l’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour protéger la santé et assurer la sécurité et l’intégrité physique du travailleur (art. 51). Il doit notamment utiliser les méthodes et techniques visant à identifier, à contrôler et à éliminer les risques pouvant affecter la santé et la sécurité du travailleur (art. 51 paragr. 5).

Il est intéressant de noter que le fait de favoriser le télétravail est considéré comme l’une des mesures de prévention que l’employeur peut mettre en œuvre afin d’éliminer le risque d’exposition à la COVID-19.

En vertu de la LSST, le travailleur a également des responsabilités en matière de prévention. Il doit prendre les mesures nécessaires pour protéger sa santé, sa sécurité ou son intégrité physique (art. 49 paragr. 2). Il doit en outre participer à l’identification et à l’élimination des risques d’accidents du travail et de maladies professionnelles sur le lieu de travail (art. 49 paragr.  5).

À ce chapitre, soulignons que l’article 1 LSST définit le « lieu de travail » comme « un endroit où, par le fait ou à l’occasion de son travail, une personne doit être présente, y compris un établissement et un chantier de construction ».

Facteur de risque : éléments de réflexion

L’Institut national de santé publique (INSP) a produit un document relatif au télétravail en contexte de pandémie dont une section porte précisément sur la santé psychologique des travailleurs. Eu égard aux principaux facteurs de risques, on peut notamment y lire ceci : 

« Les principaux facteurs reconnus comme pouvant avoir un impact sur la santé psychologique des travailleurs et des travailleuses ont été rassemblés en fonction de quatre grands facteurs de risques psychosociaux du travail (RPS) : la charge de travail, le soutien des collègues et des supérieurs et supérieures, l’autonomie et la reconnaissance au travail.

 

[…]

 

Certains de ces risques, déjà présents en contexte habituel de travail, peuvent par ailleurs être exacerbés par le contexte de la pandémie puisque la situation de télétravail n’a pu être préparée et qu’il s’agit le plus souvent d’un télétravail exclusif plutôt qu’une alternance entre télétravail et présence en entreprise ou dans un espace partagé avec d’autres personnes (espaces de “coworking”). » (Mes surlignements.)

En ce qui a trait plus particulièrement aux défis que pose le télétravail en matière de « charge de travail », l’INSP identifie certains facteurs pouvant avoir un effet défavorable sur la santé psychologique, notamment :

 

« […]

 

  • La transformation partielle ou complète des activités de travail qui nécessite l’acquisition de nouvelles connaissances et la maîtrise de nouvelles technologies, et ce dans des délais serrés;
  • L’augmentation possible de la charge physique et mentale du travail en raison de la transformation des mandats et des tâches et des apprentissages rendus nécessaires;

[…]

 

  • La perte de temps occasionnée par le manque d’accès à des outils adéquats pour bien faire le travail;
  • Le risque de l’hyperconnexion au travail (ex. : téléconférences en continu, téléphone cellulaire constamment ouvert, demandes courriel ou autres qui arrivent à des heures inhabituelles);

[…]

 

  • Le débordement des heures de travail habituelles parce que le travail se fait de la maison;

[…]

 

  • La charge mentale accrue en raison de la multiplicité des demandes et du manque de ressources pour y répondre (à la fois sur le plan professionnel et personnel);

[…].»

Mais s’il faut guérir : l’indemnisation en vertu de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles

La jurisprudence reconnaît notamment qu’une lésion psychologique résultant d’une surcharge de travail peut constituer une lésion professionnelle.

Dans une décision récente, le TAT devait déterminer si le trouble de l’adaptation avec humeur anxio-dépressive et dépression majeure diagnostiqués chez un infirmier auprès d’adolescents présentant des troubles psychologiques était relié à la surcharge de travail engendrée par un déménagement d’urgence de son unité dans un centre d’hébergement pour jeunes en difficulté.

Les propos du TAT relativement à la notion de « surcharge de travail » semblent des plus pertinents à l’égard de situations susceptibles de se produire dans un contexte de télétravail instauré dans l’urgence de la pandémie :

« [75] Une surcharge inhabituelle de travail est établie lorsque le travailleur démontre qu’il effectue des tâches qui diffèrent substantiellement de ses tâches habituelles de façon quantitative.

 

[76] Il peut également prouver la surcharge de travail au point de vue qualitatif, il doit alors démontrer qu’il exerce de nouvelles responsabilités, qu’il ait peu ou pas de contrôle sur son travail, ou encore qu’il n’a pas ou peu de soutien de la part de son employeur. Pour être considérée, cette situation doit se prolonger sur une certaine période de temps. » (Mes surlignements.)

L’extrait suivant (paragr. 77 de la décision) nous présente un éventail de situations plus concrètes :

  • Une absence d’aide ou de support qui engendre une surcharge de travail tout en étant conjuguée à des conditions de travail particulièrement stressantes;
  • Une formation insuffisante pour exécuter convenablement les nouvelles tâches confiées, associées à la présence d’autres facteurs de stress;
  • Un manque de ressources ou des changements des conditions de travail qui engendrent une augmentation des responsabilités avec cumul des tâches, associés à d’autres facteurs de stress qui entretiennent une tension accrue;
  • Une surcharge de travail en raison de l’absence de personnel tout en n’ayant pu bénéficier d’une formation appropriée;
  • Une surcharge de travail attribuable à la modification des conditions de travail ou à une modification importante des tâches. » (Mes surlignements.)

Conclusion

L’instauration du télétravail en période de pandémie entraîne des avancées à bien des égards. Elle comporte toutefois son lot de difficultés, voire de risques, tant pour les employeurs que pour les travailleurs. Il ne faut pas négliger les effets potentiellement préjudiciables de l’immersion précipitée d’un travailleur dans un univers essentiellement technologique qu’il maîtrise souvent bien peu. 


Me Sylviane Noël, conseillère juridique, SOQUIJ

Source :

Source : VigieRT, septembre 2020.

Références :

  • Association accréditée SPGQ et Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (T.A.T., 2020-04-14), 2020 QCTAT 1789, SOQUIJ AZ-51682858, 2020EXPT-1209.
  • J.R. et CSSS A (T.A.T., 2020-01-24), 2020 QCTAT 408, SOQUIJ AZ-51664254, 2020EXPT-372.