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Le questionnaire médical préembauche démythifié

Dans cet article, l’auteur nous dresse un portrait des caractéristiques d’un congédiement déguisé en s’appuyant sur une affaire récente.

4 mars 2020
Me Philippe Desrosiers, CRIA

Le 31 mai 2019, un arbitre[1] a confirmé le congédiement d’un salarié ayant près de dix années de service en raison de son omission de fournir des renseignements importants dans son questionnaire médical préembauche (ci-après « QMP »).

En effet, l’employeur, la Société de transport de l’Outaouais (ci-après « STO »), a entrepris une enquête à la suite d’un arrêt de travail pour invalidité d’une durée de près de deux ans. À sa grande surprise, elle a découvert que le salarié n’avait pas déclaré qu’il souffrait de troubles du sommeil importants depuis l’enfance. Ils hypothéquaient grandement sa capacité de concentration et lui occasionnaient de graves problèmes de fatigue durant la journée. Elle a également découvert que ce dernier n’avait pas déclaré ses symptômes de dépression ainsi que des problèmes musculosquelettiques. Cette omission a eu pour effet d’aggraver l’importance de sa faute aux yeux de l’employeur[2].

Dans ces circonstances, la STO a décidé de mettre fin à l’emploi du chauffeur, alléguant que son processus d’embauche avait été vicié par son manque de transparence, ce qui l’a empêché de prendre une décision éclairée. Elle s’est notamment basée sur la mise en garde suivante, inscrite dans le QMP rempli par le salarié : « Toute fausse déclaration ou omission de votre part pourrait entraîner le rejet de votre demande d’emploi ou, advenant votre embauche, l’annulation du contrat individuel de travail conclu (congédiement).»

La lettre de fin d’emploi faisait également référence à la contravention du salarié à son obligation d’honnêteté et de loyauté, laquelle a eu pour effet de rompre irrémédiablement le lien de confiance.

Dans sa décision, l’arbitre a fait un survol de la jurisprudence portant sur la question des QMP. Il a choisi d’aborder l’affaire sous l’angle administratif, rejetant du même coup les prétentions syndicales selon lesquelles il s’agissait plutôt d’une décision d’ordre disciplinaire de la STO.

En ce sens, il a conclu que la STO devait connaître la condition particulière du chauffeur avant de l’embaucher et que le fait de dissimuler ces informations a vicié le processus d’embauche ainsi que la validité même de son contrat de travail[3].

Cette décision réitère l’importance pour un candidat de fournir toute l’information pertinente demandée afin de permettre à son éventuel employeur de prendre une décision éclairée quant à sa capacité à remplir les fonctions qu’il songe à lui confier.

Elle ne relève toutefois pas l’employeur de son obligation de mettre en place, pour les postes qui le nécessitent, un QMP adapté et respectant les nombreux critères prévus par la loi. La jurisprudence récente à ce sujet témoigne d’ailleurs du fait que la validité des QMP est plus que jamais testée par nos tribunaux.

Or, comment s’assurer de préparer un QMP permettant de récolter l’information nécessaire au poste convoité concernant la condition médicale globale d’un salarié, sans toutefois contrevenir à ses droits fondamentaux?

La Charte des droits et libertés de la personne

Pour répondre à cette question, il importe tout d’abord de faire un bref survol de la Charte des droits et libertés de la personne (ci-après la « Charte »). Elle encadre plusieurs droits fondamentaux limitant les pouvoirs de l’employeur relativement au questionnaire et à l’examen médical préembauche.

Nous retrouvons parmi ceux-ci le droit à l’intégrité, le droit à la sauvegarde de la dignité, de son honneur et de sa réputation ainsi que le droit au respect de sa vie privée[4].

L’article 10 de la Charte énumère quant à lui les différents motifs reconnus de discrimination, soit : 

« La race, la couleur, le sexe, l’identité ou l’expression de genre, la grossesse, l’orientation sexuelle, l’état civil, l’âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l’origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap. »

(Nos soulignements)

L’article 18.1 de la Charte porte plus particulièrement sur le processus de dotation de l’employeur et stipule que :

« Nul ne peut, dans un formulaire de demande d’emploi ou lors d’une entrevue relative à un emploi, requérir d’une personne des renseignements sur les motifs visés dans l’article 10 sauf si ces renseignements sont utiles à l’application de l’article 20 ou à l’application d’un programme d’accès à l’égalité existant au moment de la demande. »

Enfin, l’article 20 de la Charte prévoit quant à lui la notion d’exigence professionnelle justifiée.

Ce qui est permis et ce qui ne l’est pas

Au regard de ces dispositions et de la jurisprudence développée au sujet des questionnaires médicaux préembauche et de l’examen médical, il ressort que l’employeur peut requérir des renseignements en apparence discriminatoires, mais uniquement lorsque ceux-ci réfèrent à des aptitudes ou à des qualités requises par l’emploi en cause et lorsque cette demande d’information est modulée en fonction de l’emploi convoité et des tâches à accomplir[5].

Il découle ainsi de cette interprétation des tribunaux que le QMP n’est pas justifié pour toutes les catégories d’emploi et qu’il faut s’assurer que les questions qui y sont contenues sont étroitement liées à ce qui est utile et nécessaire dans le cadre de l’emploi visé.

À défaut, le Tribunal des droits de la personne n’hésitera pas à invalider le QMP qui contient une discrimination et à condamner les employeurs à des dommages moraux pouvant s’élever à plusieurs milliers de dollars.

De plus, le QMP jugé discriminatoire par un tribunal ne pourra être utilisé pour justifier le congédiement d’un salarié en raison d’une omission ou d’une fausse déclaration de ce dernier. En effet, il n’est pas possible d’imputer une conséquence négative à un salarié, car il n’a pas voulu répondre à une question discriminatoire, son refus constituant simplement l’exercice d’un droit fondamental.

Les pièges à éviter

Pour éviter de se rendre coupable de discrimination par l’entremise d’un QMP, il est recommandé aux employeurs d’établir la liste des qualités, des compétences et des exigences essentielles des postes à pourvoir, et ce, avant même de commencer la rédaction du questionnaire.

En ce sens, les principes directeurs suivants doivent être respectés en tout temps :

  1. Éviter d’utiliser le même questionnaire pour tous les types d’emploi;
  2. Assurer l’existence d’un lien rationnel entre les aptitudes et les qualités évaluées et les tâches essentielles liées au poste;
  3. Joindre une description exhaustive des tâches essentielles des postes à combler au QMP pour que le candidat puisse s’y référer avant de répondre;
  4. Se fonder sur des données objectives, scientifiques et médicales sérieuses pour déterminer le choix des aptitudes requises;
  5. Ne pas créer un questionnaire prenant la forme d’un bilan de santé complet;
  6. Ne pas poser des questions ouvertes qui obligent le candidat à révéler des renseignements médicaux non pertinents pour l’emploi convoité.

Par ailleurs, le Tribunal des droits de la personne soulignait récemment que les questions sur l’âge du candidat, le nom de ses médecins traitants et de ses spécialistes ainsi que les questions ouvertes sur ses blessures, accidents, maladies, médicaments et concernant la revue systématique de l’entièreté des systèmes du corps humain constituent une intrusion injustifiée dans sa vie privée. De plus, elles ne sont pas directement ni rationnellement liées aux qualités et aux aptitudes d’un emploi convoité[6].

Quant à l’examen médical, les tribunaux s’accordent et indiquent qu’il doit simplement permettre à l’employeur de s’assurer, à la lumière de l’information communiquée par le candidat au cours des premières étapes du processus, qu’il peut occuper le poste convoité. Ainsi, il ne doit pas constituer un outil de sélection au même titre que l’est une entrevue ou un test écrit.

Conclusion

Au regard des récents avancements et de la sévérité des tribunaux à l’égard des QMP, il est fortement recommandé aux employeurs de consulter leur conseiller juridique afin de s’assurer que leur QMP respecte la loi. Cette précaution pourrait leur éviter de se retrouver dans de fâcheuses situations pouvant avoir d’importantes conséquences, autant d’un point de vue financier qu’opérationnel.

Les salariés doivent quant à eux comprendre qu’en présence d’un QMP respectant les exigences de la loi et de la jurisprudence, ils ont l’obligation de collaborer et d’éviter d’omettre des renseignements pertinents ou de faire une fausse déclaration, sous peine de congédiement.


Author
Me Philippe Desrosiers, CRIA Avocat et conseiller en relations du travail Étude légale Philippe Desrosiers Inc.

Source :

Source : VigieRT, mars 2020.

1 Société de transport de l’Outaouais (STO) et Syndicat uni du transport (Unité 591) (Monsieur E.C.), 2019 QCTA 254, 2019 CanLII 49260 (CA SA).
2 Ibid, par. 90.
3 Ibid, par. 91.
4 Charte des droits et libertés de la personne, C-12, art. 1, 4 et 5.
5 Syndicat des infirmières, inhalothérapeutes, infirmières auxiliaires du Cœur du Québec (SIIIACQ) c. Centre hospitalier régional de Trois-Rivières, 2012 QCCA 1867 (CanLII), par. 69.
6 Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (A.A.) c. Centre intégré de santé et de services sociaux des Laurentides (Centre de santé et de services sociaux de Thérèse-de-Blainville), 2017 QCTDP 2, par. 137.