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La nouvelle législation en matière de harcèlement : quelles sont les obligations des employeurs?

Depuis le 1er juin 2004, la Loi sur les normes du travail (ci-après la « Loi ») prévoit le droit de tous les employés de travailler dans un milieu de travail exempt de harcèlement psychologique et impose deux (2) obligations aux employeurs. En effet, ceux-ci doivent (i) prendre les moyens raisonnables pour prévenir toute situation de harcèlement psychologique et également (ii) faire cesser toute situation de cette nature.

13 février 2019
Me Charles Wagner, CRHA, et Me Raphaël Buruiana

Près de quinze (15) ans plus tard, le 12 juin 2018, le projet de loi 176, soit la Loi modifiant la Loi sur les normes du travail et d’autres dispositions législatives afin principalement de faciliter la conciliation famille-travail, a été sanctionné. Certaines modifications à la Loi sont entrées en vigueur à cette date alors que d’autres le sont uniquement depuis le 1er janvier 2019. C’est le cas des nouvelles dispositions visant à améliorer la protection des employés dans des situations de harcèlement.

Tout d’abord, et dans un contexte social marqué par les mouvements de dénonciation d’actes à connotation sexuelle non désirés, tels que le mouvement social #moiaussi, cette modification législative vient préciser que le harcèlement psychologique comprend les paroles, les actes ou les gestes à caractère sexuel. Une telle modification constitue davantage un changement de forme que de fond à la Loi, puisque la jurisprudence avait déjà incorporé le concept de harcèlement sexuel à la définition de harcèlement psychologique.

De plus, les employés bénéficient à présent d’un délai de deux (2) ans à compter de la dernière manifestation du harcèlement psychologique afin de déposer une plainte auprès de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (ci-après la « CNESST »). Il s’agit d’une modification importante, car le délai antérieurement alloué aux employés était de quatre-vingt-dix (90) jours.

Finalement, les employeurs sont tenus d’adopter une politique de prévention du harcèlement psychologique et de traitement des plaintes. Ils doivent également la rendre accessible à leurs employés et y inclure, entre autres, un volet concernant les conduites de harcèlement sexuel depuis le 1er janvier 2019.

Dans la foulée de l’entrée en vigueur de ces nouvelles dispositions et obligations, de nombreux employeurs doivent, s’ils ne l’ont pas déjà fait, mettre en place ou réviser leurs politiques en matière de harcèlement. Ce faisant, il est important de considérer certains éléments pratiques permettant de faciliter l’application de la politique de l’entreprise.

Quelques conseils pratiques dans la rédaction de la politique visant à contrer le harcèlement

Déterminer l’interlocutrice ou l’interlocuteur des employés

Tout d’abord, la politique de l’entreprise devrait déterminer clairement l’identité de l’interlocutrice ou l’interlocuteur des employés et les diverses étapes qui devront être suivies dans le cadre du traitement d’une plainte. Cette démarche permettra premièrement aux employés de connaître les étapes qu’ils devront suivre s’ils sont victimes ou témoins de situations de harcèlement et ainsi d’éviter qu’ils soient pris par surprise par certaines des étapes du traitement de leur plainte.

Deuxièmement, le fait de prévoir spécifiquement l’identité de la personne représentant l’employeur auprès de laquelle un membre du personnel victime ou témoin de harcèlement devrait se plaindre permettra d’assurer une plus grande confidentialité du dossier et de limiter la communication de l’information.

Finalement, cette approche permettra d’assurer que les représentants de l’employeur analysent d’une manière uniforme les plaintes reçues, évitant toute situation pouvant être perçue comme inéquitable ou arbitraire par les employés.

Éviter les conflits d’intérêts

La politique devrait également prévoir l’opportunité pour un membre du personnel de déposer une plainte auprès d’une personne représentant l’employeur distincte de la celle généralement chargée de recevoir les plaintes, dans la mesure où la plainte de harcèlement viserait cette personne représentant l’employeur. En effet, il n’est pas rare de voir des politiques mentionner, à titre d’exemple, qu’une plainte doive être déposée auprès de la directrice ou du directeur des ressources humaines de l’employeur, sans prévoir d’interlocutrice ou d’interlocuteur substitutif dans l’éventualité où cette personne serait celle visée par la plainte de harcèlement.

Prévoir les étapes de traitement de la plainte

Depuis le 1er janvier 2019, la Loi prévoit que la politique doit obligatoirement prévoir les étapes de traitement de la plainte. Le nombre d’étapes ainsi que l’opportunité de prévoir une médiation ou une séance de conciliation sont à la discrétion de l’employeur. Selon la taille de l’entreprise et sa direction des ressources humaines, le processus pourrait ne comprendre que quelques étapes ou être plus complet. Dans tous les cas, il est fortement suggéré de détailler le contenu de chaque étape.

Les sanctions

Au sujet des sanctions applicables, de nombreuses politiques prévoient spécifiquement les mesures disciplinaires qui seront imposées si l’enquête conclut qu’une personne a commis des gestes de harcèlement. Or, le fait de prévoir des mesures particulières limite l’employeur dans son droit de direction. Il apparaît important de conserver une certaine latitude, puisque les faits de chaque dossier pourront entraîner l’imposition de mesures distinctes. La politique devrait aussi prévoir que l’une des sanctions qui pourraient être imposées est le congédiement, et ce, dès la première offense si la gravité de la faute le justifie.

Conclusion

Les modifications apportées aux règles visant à protéger les employés contre le harcèlement sont importantes pour les employeurs. Outre l’obligation qui leur incombe d’instaurer ou de compléter, le cas échéant, la politique de harcèlement de l’entreprise, les employeurs devront faire preuve de vigilance et de proactivité à l’égard des situations de harcèlement.

En effet, l’extension importante du délai imparti aux employés pour déposer une plainte de harcèlement psychologique auprès de la CNESST entraîne l’obligation corrélative de l’employeur de documenter et de prendre des actions concrètes dans les dossiers qui pourraient mener au dépôt d’une plainte. À cet égard, le délai préalablement imparti aux employés, soit quatre-vingt-dix (90) jours, était tel que les faits ayant mené au dépôt de la plainte étaient concomitants et frais dans la mémoire des victimes, des témoins et des personnes visées par la plainte. Or, la plainte pouvant à présent être déposée au plus tard deux (2) ans après la survenance des événements, les ressources d’un employeur pourraient avoir changé de manière considérable. En outre, les faits pourraient sembler lointains dans la mémoire des parties prenantes à la plainte au moment de son dépôt.

La preuve des faits et des mesures mises en place par l’employeur pour prévenir et, le cas échéant, faire cesser le harcèlement pourrait constituer une épreuve difficile si l’employeur n’a pas documenté la situation au moment où elle se déroulait.

Ainsi, à la suite d’une plainte ou s’il a connaissance de toute situation pouvant s’apparenter à du harcèlement, il apparaît impératif que l’employeur mène une enquête exhaustive. Il devra recueillir la version des faits de toutes les parties impliquées afin de lui permettre de prendre toute mesure qui pourrait s’avérer utile ou nécessaire pour protéger les droits de ses employés.


Me Charles Wagner, CRHA, et Me Raphaël Buruiana