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Légalisation du cannabis et voyages d’affaires aux États-Unis

Depuis le 17 octobre 2018, la consommation du cannabis à des fins récréatives a été légalisée. La législation fédérale établit un cadre national afin de contrôler la production, la distribution, la vente et la possession de cannabis[1]. De plus, chaque province peut établir des règles entourant la distribution et la vente de cannabis ainsi que des restrictions supplémentaires[2].

16 janvier 2019
Me Mélanie Morin, CRHA, et Me Valérie Leroux, CRHA,<br/>en collaboration avec Me Marie-Ève Thériault

Bref rappel : l’impact sur le milieu de travail

La légalisation du cannabis à des fins récréatives ne permet pas aux employés d’en fumer librement dans leur milieu de travail. Les employeurs demeurent habilités à imposer des mesures disciplinaires aux employés dont la consommation à des fins récréatives nuirait à leur prestation de travail. À cet effet, la Loi encadrant le cannabis réitère le principe qu’en vertu de son droit de gérance, l’employeur peut encadrer, y compris interdire, toute forme d’usage du cannabis par ses employés sur les lieux de travail. Les employeurs peuvent aussi, dans leurs politiques, encadrer cette consommation, même à l’extérieur des lieux de travail, voire même imposer une tolérance zéro lorsque les circonstances s’y prêtent.

La Loi sur la santé et la sécurité au travail[3] a été modifiée pour prévoir que le travailleur ne doive pas exécuter sa prestation de travail lorsque son état, en raison de ses facultés affaiblies par l’alcool, la drogue, y compris le cannabis, ou une substance similaire, représente un risque pour sa santé, sa sécurité ou son intégrité physique ou encore celles des tiers. L’employeur doit veiller à ce que la personne qui est dans un tel état n’exécute pas son travail, à défaut de quoi, elle s’expose à des sanctions pouvant s’avérer onéreuses.

Enfin, les employeurs demeurent tenus à une obligation d’accommodement dans un contexte de dépendance au cannabis ou de consommation à des fins thérapeutiques, le tout jusqu’à une limite de contrainte excessive. Le choix des mesures d’accommodement variera en fonction des facteurs usuels, à savoir notamment la capacité financière de l’employeur, le type de travail exécuté par l’employé et l’impact de sa consommation de cannabis sur ses tâches essentielles. Cette évaluation doit évidemment se faire au cas par cas.

Impact sur les déplacements professionnels de vos employés aux États-Unis

Cela dit, les employeurs canadiens se sont généralement préparés à l’impact de la légalisation du cannabis en milieu de travail. Toutefois, un aspect à ne pas négliger est celui des employés devant voyager pour affaires aux États-Unis, le cadre juridique de nos voisins du Sud étant différent.

Ainsi, bien que la consommation de cannabis à des fins récréatives soit légale dans certains États américains, il n’en demeure pas moins qu’au palier fédéral, le cannabis ne fait l’objet d’aucune décriminalisation. Les agents frontaliers américains ont donc le pouvoir de refuser l’entrée aux États-Unis et de déclarer inadmissible un citoyen canadien (comme tout autre ressortissant étranger d’ailleurs), notamment lorsque cet individu ne respecte pas la législation américaine en matière de drogues. Nous avons ainsi entendu au cours des derniers mois des histoires de Canadiens refoulés à la frontière pour des motifs reliés au cannabis.

Mais sur quels fondements un agent frontalier américain peut-il refuser l’entrée d’un Canadien?

La loi américaine sur l’immigration[4] prévoit différents motifs pouvant justifier un tel refus d’entrée, dont notamment :

  1. Lorsqu’une personne admet avoir enfreint les lois d’un État, des États-Unis ou d’un autre pays relativement aux substances contrôlées;
  2. Lorsqu’une personne est ou a été impliquée dans le trafic de drogue, y compris les personnes qui ont des intérêts financiers dans l’industrie du cannabis (même légale);
  3. Lorsqu’une personne a déjà été déclarée coupable d’une infraction en matière de stupéfiants, y compris au Canada;
  4. Lorsqu’un agent frontalier a des raisons de croire qu’une personne entre aux États-Unis afin d’y commettre des activités de nature criminelle selon les lois américaines;
  5. Lorsqu’une personne est toxicomane ou a un problème de consommation de cannabis susceptible de la rendre dangereuse pour sa santé et sa sécurité et celles des tiers. (Dans un tel cas toutefois, une évaluation médicale sera demandée afin d’évaluer le degré de dangerosité.)

Ainsi, les personnes qui consomment régulièrement du cannabis et celles qui ont des intérêts financiers dans l’industrie du cannabis courent un plus grand risque d’être considérées comme inadmissibles et ainsi de se voir refuser l’entrée ponctuelle aux États-Unis, voire d’être bannies à vie.

Ces motifs ne sont évidemment pas nouveaux, mais compte tenu de la légalisation du cannabis au Canada, les agents frontaliers américains sont plus susceptibles d’adapter leurs questions en fonction de cette nouvelle réalité.

Un employeur bien avisé ayant des employés voyageant pour affaires aux États-Unis devrait donc en tenir compte et s’assurer qu’ils sont conscientisés afin d’éviter de désagréables surprises.

Éléments à considérer

Tout d’abord, toute personne voyageant aux États-Unis ne doit pas avoir de cannabis sur elle ni dans ses bagages.

Ensuite, comme toute personne désirant entrer aux États-Unis doit répondre de manière véridique aux questions posées par les agents frontaliers américains, il convient d’être préparé afin de faire face à d’éventuelles complications lorsque certaines réponses peuvent effectivement engendrer un refus potentiel d’entrée.

Ainsi, admettre avoir consommé du cannabis après la date officielle de légalisation au Canada ne sera pas considéré comme une admission d’avoir commis une infraction criminelle. La personne devrait donc pouvoir être admise aux États-Unis si aucun autre motif d’exclusion n’existe.

Cependant, reconnaître avoir consommé du cannabis avant sa légalisation pourrait constituer un motif de refus d’entrée aux États-Unis, puisqu’avant cette date, la consommation était illégale. Dans un tel cas, la décision relèvera du pouvoir discrétionnaire de l’agent frontalier, d’où l’importance d’être bien préparé afin d’expliquer le contexte et de démontrer que la personne ne constitue pas un risque pour la sécurité et la santé des Américains. Évidemment, la situation est différente pour la personne qui aurait consommé du cannabis avant le 17 octobre 2018, mais dans le respect des lois applicables au cannabis thérapeutique.

Par ailleurs, si une personne a fait l’objet d’une condamnation antérieure reliée au cannabis, elle devrait entamer des démarches afin d’obtenir une levée d’interdiction de la part des autorités américaines avant de voyager, et ce, même si un pardon a été obtenu depuis. Une telle levée d’interdiction (Entry Waiver) est valide pour une période discrétionnaire pouvant varier entre un (1) an et cinq (5) ans. Elle dépendra généralement du type de motifs d’exclusion.

En ce qui concerne plus particulièrement les employés de l’industrie du cannabis au Canada, le Service des douanes et de la protection des frontières des États-Unis (United States Customs and Border Protection) considère qu’ils sont associés à une industrie illégale aux États-Unis. Ils peuvent donc dans certaines circonstances se voir refuser l’entrée aux États-Unis, et ce, parfois de manière permanente. Cependant, si un tel employé se rend aux États-Unis pour des raisons sans aucun lien avec l’industrie du cannabis (voyage personnel pour tourisme ou voyage d’affaires non relié à l’industrie du cannabis), il devrait être admis[5].

En conclusion : conseils pratiques pour les employeurs

Dans la foulée de la légalisation du cannabis au Canada et du fait que les Canadiens peuvent se sentir légitimés de consommer du cannabis de manière plus ouverte, il convient néanmoins que les employeurs, afin d’éviter ou de minimiser des problématiques associées aux voyages transfrontaliers, conscientisent leurs employés au fait que les agents frontaliers américains peuvent leur poser des questions quant à leurs habitudes de consommation. Il est donc recommandé avant de faire voyager ses employés pour affaires aux États-Unis de :

  • S’assurer qu’ils connaissent les différences de cadres juridiques entre les deux pays;
  • Vérifier s’il existe un motif susceptible de leur refuser l’entrée aux États-Unis et, si tel est le cas, obtenir au préalable une levée d’interdiction ou une préautorisation d’entrée afin d’éliminer les désagréments lors du voyage;
  • Leur rappeler de ne pas apporter de cannabis aux États-Unis et, s’ils en consomment, de toujours s’assurer de vérifier leurs bagages avant le départ pour éviter d’en transporter involontairement;
  • Leur rappeler de répondre honnêtement aux questions posées par les agents frontaliers américains, puisqu’une fausse déclaration peut également constituer un motif de refus d’entrée aux États-Unis;
  • Et, plus spécifiquement pour les employés qui œuvrent dans l’industrie du cannabis, il est important de garder en tête que tout voyage d’affaires relié à l’industrie du cannabis risque de constituer un motif d’exclusion. Seul l’avenir nous dira si le Service des douanes et de la protection des frontières des États-Unis modifiera sa position à cet égard avec le temps.

Me Mélanie Morin, CRHA, et Me Valérie Leroux, CRHA,
en collaboration avec Me Marie-Ève Thériault

Source :

Source : VigieRT, janvier 2019.

1 Loi sur le cannabis (L.C. 2018, ch. 16) et ses règlements.
2 Au Québec : Loi constituant la Société québécoise du cannabis, édictant la Loi encadrant le cannabis et modifiant diverses dispositions en matière de sécurité routière, L.Q. 2018, c. 19; Loi encadrant le cannabis, RLRQ, c. C-5.3 et ses règlements.
3 RLRQ, c. S-2.1, art. 49.1, 51.2 et 237.
4 Immigration and Nationality Act, Sec. 212 – General classes of aliens ineligible to receive visas and ineligible for admission, waivers of inadmissibility [8 U.S.C. 1182].
5 Site web du Service des douanes et de la protection des frontières des États-Unis (United States Customs and Border Protection)