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Quand travailler rend malade!

Le 28 mars dernier, une journaliste au quotidien Le Soleil soulignait « qu’à l’heure actuelle, seulement 45 % des écoles primaires et 53 % des écoles secondaires sont dans un état satisfaisant. L’autre moitié des écoles du Québec obtient des cotes de vétusté D ou E, signifiant qu’elles sont dans un mauvais ou un très mauvais état »[1].

14 novembre 2018
Me Philippe Desrosiers, CRIA

Cette alarmante statistique n’a rien d’étonnant, la vétusté et la décrépitude du parc immobilier scolaire québécois ayant été à maintes reprises dénoncées dans les dernières années.

En effet, plusieurs intervenants, ainsi que la population, n’hésitent pas à décrier cette situation très problématique que des milliers d’écoliers et d’étudiants québécois doivent vivre jour après jour. Malgré l’importante couverture médiatique reliée à cet épineux débat, les enseignants et les intervenants du milieu scolaire semblent laissés pour compte, comme si seuls les étudiants devaient composer avec la piètre qualité de l’air.

Le 14 juin dernier, le Tribunal administratif du travail a fait sonner la cloche. La récréation était terminée!

En effet, la juge administrative a rendu une importante décision qui aura assurément des répercussions dans les milieux scolaires québécois, en établissant un lien entre la contamination d’un lieu de travail et la maladie professionnelle.

Ainsi, les employeurs seront maintenant tenus responsables, vis-à-vis de leurs employés, des conséquences résultant des problèmes de santé en raison de l’état des infrastructures dans lesquelles ils exercent leurs activités.

Les faits

Le travailleur occupe le poste de conseiller en orientation depuis 2002 au sein de la Commission scolaire Marie-Victorin (CSMV), plus particulièrement au Centre d’éducation aux adultes Le Moyne-D’Iberville situé à Longueuil.

Il est très sportif, en parfaite santé, et n’a pas d’antécédents d’infection des voies respiratoires, outre des rhumes saisonniers, « ce qui est normal au Québec », comme le souligne la juge.

À partir du mois d’octobre 2011, et jusqu’au 3 décembre 2013, le travailleur a commencé à ressentir des symptômes graduels, dont notamment, une grande fatigue corporelle, de la difficulté à respirer, des sécrétions nasales vertes, des irritations de la gorge, une voix plus rauque, une extinction de la voix, de la toux, une sensation de serrement et de brûlure dans les poumons, les poumons qui « silent » au réveil, de la pression sous les yeux, des expectorations verdâtres, l’impression que sa capacité et ses fonctions respiratoires étaient diminuées ainsi qu’une diminution de sa concentration[2].

Au fil des ans, le travailleur a eu divers diagnostics, tels que des infections des sinus, une sinusite, une pneumonie, une rhinosinusite et une rhinite. Son médecin traitant était convaincu que le diagnostic était directement associé à une exposition sévère à des moisissures.

À la suite de sa mutation dans un nouvel établissement à la mi-août 2014, il n’a plus jamais ressenti de symptômes semblables à ceux ressentis au CÉA. Il a même retrouvé sa très grande forme physique.

Le droit

Il est important de rappeler que la protection des travailleurs n’est pas une priorité du siècle dernier. Bien au contraire, dès 1885, le législateur québécois, avec l’adoption de l’Acte des manufactures de Québec, se positionne en vue d’assurer la sécurité des travailleurs dans leur milieu de travail.

En 1985, une nouvelle loi fait son apparition dans le paysage juridique québécois. Avec l’entrée en vigueur de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[3], de nouveaux droits sont accordés aux travailleurs victimes de lésions professionnelles. Parmi ceux-ci, on retrouve le droit au retour au travail et le droit à la réadaptation en vue d’une réinsertion sociale et professionnelle.

Le droit du travail, plus particulièrement en ce qui a trait à la santé et à la sécurité au travail, a également évolué de façon correspondante au fil des années, de sorte qu’à ce jour, dès qu’il est question d’un accident de travail ou d’une maladie professionnelle, il faut inévitablement se référer à la L.A.T.M.P.[4].

L’article 2 de cette loi prévoit qu’une lésion professionnelle est une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l’occasion d’un accident de travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l’aggravation.

À ce même article, la maladie professionnelle est définie comme étant une maladie contractée par le fait ou à l’occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail.

Les dispositions de la LATMP accordent, à maintes reprises, une présomption en faveur du travailleur, d’où l’intention de le favoriser dans le cadre de contestations par l’employeur.

L’article 28 en est d’ailleurs un bon exemple, prévoyant qu’une blessure qui arrive sur les lieux du travail, alors que le travailleur exécute son travail, est présumée être une lésion professionnelle. Il en est de même pour le travailleur atteint d’une maladie visée à « l’annexe I », lequel est présumé atteint d’une maladie professionnelle s’il a exercé un travail correspondant à cette maladie d’après l’annexe[5].

Analyse

Revenons à la décision de la juge administrative.

Le travailleur a demandé au Tribunal qu’il déclare qu’il a subi une maladie professionnelle le ou vers le 3 décembre 2013. Le diagnostic est une rhinite non allergique.

Ce dernier prétendait être atteint d’une maladie professionnelle reliée directement aux risques particuliers de son travail en s’appuyant sur l’article 30 de la L.A.T.M.P. :

« Le travailleur atteint d’une maladie non prévue par l’annexe I, contractée par le fait ou à l’occasion du travail et qui ne résulte pas d’un accident du travail ni d’une blessure ou d’une maladie causée par un tel accident est considéré atteint d’une maladie professionnelle s’il démontre à la Commission que sa maladie est caractéristique d’un travail qu’il a exercé ou qu’elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail. »[6]

Comme l’a souligné la juge dans sa décision, la loi ne contient aucune disposition qui vient préciser les critères pour déterminer ce qu’est une maladie reliée directement aux risques particuliers de ce travail. Ainsi, nous devons nous référer à la jurisprudence afin de bien comprendre l’interprétation de la notion des « risques particuliers du travail ».

Il convient également de préciser que le travailleur ne dispose pas d’une présomption au regard de cet article. Il a donc le fardeau de démontrer qu’il existe un lien entre sa maladie et les risques particuliers de son travail.

À cet égard, le Tribunal a rappelé que le risque particulier du travail doit avoir eu une contribution significative au développement ou à l’évolution de la maladie. Il a également souligné que le travailleur doit fournir une preuve prépondérante et non celle d’une certitude scientifique[7].

Après une preuve scientifique soutenue de part et d’autre, la juge a indiqué que « la preuve révèle une cohérence chronologique des circonstances d’apparition de nombreux symptômes chez le travailleur et de la découverte d’une contamination fongique au CÉA Le Moyne-D’Iberville[8] ».

Pour le Tribunal, l’ensemble des éléments qui lui ont été présentés rend probable que les risques particuliers dans l’environnement de travail du travailleur, soit les moisissures, ont eu une « contribution significative au développement de ses symptômes de rhinite non allergique et qu’il en a découlé un arrêt de travail à compter du 3 décembre 2013[9] ».

Ainsi, le travailleur a eu gain de cause et aura droit aux remboursements pour les soins de santé qu’il a reçus ainsi que la rémunération perdue lors de son arrêt de travail qui aura duré sept mois.

Commentaires

Avec cette décision, le Tribunal est venu annuler deux décisions, soit celle de la CNESST et celle émanant de la révision administrative, qui rejetaient tout lien entre la maladie du travailleur et l’état pitoyable de son lieu de travail.

Auparavant, les travailleurs victimes de l’air contaminé frappaient un mur lorsqu’ils tentaient de faire reconnaître que leurs problèmes de santé étaient dus aux moisissures. Cela avait notamment été le cas pour l’une des collègues du travailleur.

À ce jour, il n’est pas encore possible de se prononcer sur les impacts de cette décision quant au fardeau des travailleurs en telle matière. Chose certaine, le Tribunal vient d’ouvrir la porte à de nombreuses réclamations de travailleurs qui subissent la piètre qualité de l’air dans leurs milieux de travail.

Le dossier est donc à suivre.


Author
Me Philippe Desrosiers, CRIA Avocat et conseiller en relations du travail Étude légale Philippe Desrosiers Inc.

Source :

Source : VigieRT, novembre 2018.

1 Cloutier, Patricia « La moitié des écoles du Québec en mauvais état ». Le Soleil, 28 mars 2018, [en ligne] : La moitié des écoles du Québec en mauvais état (consulté le 15 octobre 2018).
2 Paragraphe 211.
3 RLRQ c. A-3.001.
4 Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, RLRQ c. A-3.001.
5 Article 29, LATMP.
6 de la LATMP.
7 Paragraphe 27.
8 Paragraphe 209.
9 Paragraphe 231.