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Trouver l’équilibre entre performance et mieux-être : un enjeu de taille

Stress chronique, détresse psychologique, épuisement professionnel… autant de signes de malaise qui nuisent à la santé des travailleurs et de l’entreprise. Aux grands maux les grands moyens : le Congrès international francophone en ressources humaines s’est penché, les 12 et 13 novembre 2013 à Montréal, sur les meilleures stratégies pour améliorer à la fois le bien-être des travailleurs et la productivité de l’entreprise.

Plusieurs pistes d’action pour un milieu de travail au meilleur de sa forme et… de sa performance en sont ressorties.

19 mars 2014
Myriam Jézéquel

Motiver les employés en soutenant l’autonomie


L’excès de contrôle rend le quotidien plus pénible et le travail moins stimulant. Trop de supervision a souvent un impact négatif sur l’esprit et sur le corps. Une performance sous pression tend à devenir une source de stress et d’anxiété. Si les employés ont les compétences requises, pourquoi les déresponsabiliser?

Le bonheur au travail se reflète dans la motivation intrinsèque du travailleur. Selon Jacques Forest, CRHA et Pierre-Nicolas Lemyre, spécialistes en psychologie organisationnelle, un cadre ou un dirigeant soucieux de motiver ses troupes devrait viser à satisfaire les trois besoins psychologiques à la source de la santé mentale : le besoin d’autonomie (se sentir libre et posséder une marge de manœuvre), le besoin de compétence (se sentir efficace et performant) et le besoin d’affiliation sociale (se sentir membre de l’équipe). « Quand ces besoins sont frustrés, l’individu utilise des stratégies compensatoires comme l’usage de la cigarette », souligne Jacques Forest.

Au contraire, donner plus de latitude à l’employé et lui donner la possibilité de montrer de quoi il est capable, voilà qui galvanise la motivation intrinsèque au quotidien. Que peuvent faire les gestionnaires pour renforcer la motivation des employés? Plusieurs pistes : expliquer les décisions, miser sur les forces des employés, transmettre l’information utile, fixer des échéances pour atteindre les objectifs, bâtir la confiance palier par palier, fixer l’attention sur les tâches plutôt que sur les seuls résultats...

Bien gérer les talents
Grandir dans l’entreprise aux différentes étapes de sa vie professionnelle, c’est aussi cela s’épanouir au travail. Une entreprise qui aide ses employés à progresser dans leur milieu de travail possède un atout majeur pour obtenir leur loyauté. La mise en place d’une politique de gestion du talent contribue aussi au bien-être des employés, en les aidant à faire leurs choix et en célébrant leur leadership. Martin Serralta, vice-président RH chez Danone Canada, cite en exemple le programme Danone Leadership College dont la mission est de s’intéresser au développement de l’employé au sein du groupe, dans une optique de parcours de vie personnelle et professionnelle.

Une toute autre question est de savoir si une entreprise a les talents au bon endroit, au bon moment. Pour Dave Ulrich, cette question est cruciale si l’entreprise souhaite se connecter à sa clientèle. Le principal talent des leaders d’aujourd’hui est, selon ce célèbre chercheur, de tourner le regard vers l’extérieur de l’entreprise pour voir venir les besoins de la clientèle. « Est-ce que nous développons les talents à partir de l’intérieur ou de l’extérieur? », demande-t-il. Poser la question, c’est y répondre.

Améliorer la performance de l’équipe de direction
Dans toute entreprise, l’équipe dirigeante a un rôle important à jouer pour renforcer la cohésion d’un groupe et améliorer la performance organisationnelle et les relations interpersonnelles. En principe, une équipe de direction est orientée vers les résultats avec une volonté bien affirmée de trancher les discussions par des décisions. En réalité, « la mission commune (la valeur ajoutée) des équipes de direction est, souvent, très floue, trop large et aux frontières mal tracées par la difficulté à identifier ses propres membres », affirme Jacques Neatby, associé chez exec•solutions. C’est sans compter, note l’expert-conseil, que la compétence liée au poste l’emporte souvent sur la complémentarité des compétences recherchées.

Pour améliorer la performance d’une équipe de direction, il faut revoir les mythes au regard de la réalité. Car « une réalité peut en cacher une autre », prévient Jacques Neatby, qui recommande d’aller au-delà des apparences. Ainsi, clarifier la mission de l’équipe aurait un effet immédiat sur l’esprit d’équipe, à la fois dans la prise de décision et la coordination entre unités. S’attaquer aux tensions internes permettrait de revoir le fonctionnement de l’équipe (si le PDG s’entoure un peu trop d’un conseil de proches) et la structure institutionnelle (si elle concourt à la division plutôt qu’à la collaboration). Parmi d’autres obstacles au bon fonctionnement d’une équipe de direction, Jacques Neatby cite les conflits de personnalité et les différences interculturelles non gérées, les rôles et les responsabilités mal définis, un système de rémunération ou un style de gestion qui sont sources de division, trop de chevauchements et de conflits d’affectation empêchant un alignement sur les priorités stratégiques, etc.

Intégrer tous les acteurs dans la gestion du changement stratégique
Constamment soumises aux aléas de l’environnement social et économique, certaines entreprises font preuve d’une remarquable pérennité alors que d’autres déclinent. Faute de réussir les adaptations nécessaires, « les grandes entreprises ont tendance à croître, à décliner et à mourir », observe Michael Beer, professeur à la Harvard Business School. À quoi attribuer la résilience des entreprises qui performent par tous les temps et sous tous les climats? Avoir une brillante stratégie, posséder de bons produits ou savoir attirer les meilleurs talents, c’est bien, mais insuffisant. Une performance durable se joue à un autre niveau, soit celui de la coordination des efforts et de l’engagement de tous.

Or, les obstacles sont souvent cachés et agissent comme des « tueurs silencieux » ou des « maladies sournoises », explique le professeur Beer. Pour aider l’entreprise à prendre les tournants nécessaires – et convaincre le personnel de la nécessité du changement –, il recommande de bâtir l’organisation sur trois piliers : l’alignement de la performance, l’alignement psychologique et la capacité d’apprentissage et de changement. Le premier pilier vise la capacité à conduire le changement par une stratégie intégrée et coordonnée pour éviter tensions et confusions. Le deuxième pilier s’appuie sur le recrutement d’employés qui partagent les valeurs et les stratégies de l’organisation. Et le troisième pilier tient à la capacité à communiquer de manière honnête et ouverte des problèmes et des obstacles au changement. Car, selon Michael Beer, ce qui est su des employés est rarement reçu à la haute direction. Pour permettre à l’information de circuler, l’expert recommande la création d’équipes transversales formées à interviewer les employés, à dégager les obstacles et à faire rapport à l’équipe de direction. À bon entendeur…

Créer une plus-value sociétale par des pratiques équitables
Être fier de son entreprise, c’est bon pour le moral et la santé des employés. Une entreprise engagée dans une mission sociale augmente, par ricochet, l’engagement des employés envers l’entreprise. Pour parvenir à un haut niveau d’adhésion, encore faut-il se demander : « Qu’est-ce que mon entreprise fait pour améliorer la vie des gens? » Plusieurs conférenciers ont décrit des modèles d’entreprises qui ont à cœur leur mission sociale.

Des exemples? La société Danone, un groupe devenu mondial, souhaite incarner cette vision de l’entreprise alliant performance économique et responsabilité sociale et sociétale, à l’égard de l’environnement et des populations locales. Cela se traduit par la recherche de fournisseurs locaux pour les produits, de solutions pour amortir l’empreinte carbone, d’une couverture santé de base pour des employés privés de cette protection dans leur pays, etc. La marque de commerce du groupe est aussi sa mission : « Apporter la santé par l’alimentation au plus grand nombre », explique Martin Serralta.

Autre exemple, GMCR Canada, filiale de l’entreprise américaine spécialisée dans la torréfaction et la vente de café, se donne pour mission et comme valeur d’infuser un monde meilleur : « Nous utilisons la force des affaires pour bâtir un monde meilleur ». La direction insiste sur les pratiques respectueuses de l’environnement et socialement responsables de l’entreprise, dont le siège social canadien se trouve à Montréal. « Plus grand acheteur de café équitable au monde, soutien à l’amélioration des conditions de vie des communautés caféicultrices, création de comités régionaux d’attribution de bourses, voyages en pays d’origine pour les employés, etc., voilà le genre de pratiques équitables qui valorise l’engagement envers l’organisation et en dehors de l’entreprise », estime Marc Macdonald, CRHA, vice-président ressources humaines de GMCR Canada.

Manifester un leadership centré sur les gens
Un peu plus d’humanité dans les relations de travail peut rapporter gros sur les plans humain et professionnel. Les compétences d’un chef d’entreprise ne se bornent plus à indiquer la marche à suivre et à vérifier les résultats. « Il faut veiller à ce que cette entreprise soit compatissante », déclare Dave Ulrich. Un chef d’entreprise a la responsabilité d’entrer en relation avec chaque membre de l’équipe pour l’assurer de son soutien et de sa reconnaissance. La performance d’une équipe dépendrait ainsi de la qualité des relations professionnelles. La direction se montre-t-elle à l’écoute des employés? Est-elle connectée à leurs aspirations? Sait-elle donner de la rétroaction? « Le leadership est plus une question de responsabilité que d’habiletés », affirme Sylvain Toutant, président de GMCR Canada. Tournés vers ses employés, il entend soutenir « un leadership axé sur les gens ». Une bonne idée? Créer des occasions et des espaces de discussions, par exemple participer à des petits-déjeuners dans tous les services.

Encourager les employés à donner un sens à leur travail
Est-ce la faute de la seule conjoncture économique si le stress monte en flèche et gagne tous les paliers de l’entreprise? Le stress peut se transformer en détresse si rien ne vient donner un sens au travail quotidien. Pour Julie Carignan, CRHA et Bruno Ouellette, psychologues organisationnels chez SPB psychologie organisationnelle, on évite les effets dévastateurs de la détresse psychologique en aidant l’employé à découvrir son plein potentiel. Et on contribue à donner un sens à son travail si on lui permet d’utiliser son jugement, de se sentir utile et d’entrer en relation avec les autres. Plus précisément, pour les psychologues organisationnels, un employé « investi » démontre six principales qualités au cœur de sa capacité d’adaptation : introspection, volonté, énergie, soutien, talent et initiative. Un avis partagé par Sylvie Bernier, médaillée aux Jeux olympiques d’été de 1984. « Il est impossible d’être performant sans équilibre de vie », affirme la plongeuse canadienne qui a fait le pacte avec elle-même de « toujours prendre soin de moi pour prendre soin des autres ».

Myriam Jézéquel, journaliste indépendante

Source : Effectif, volume 17, numéro 1, janvier/février/mars 2014.


Myriam Jézéquel