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Des accidents du travail aux maladies professionnelles : de nouveaux défis

Au Québec comme ailleurs, on assiste à une croissance des maladies professionnelles engendrée par la mutation des risques présents dans l’environnement de travail. Des statistiques démontrent cette tendance qui pose de nouveaux défis aux conseillers en ressources humaines…

L’application de la Loi adoptée depuis plus de trente ans déjà laisse à désirer sous plusieurs aspects. Entre autres, la façon de gérer le dossier de prévention est subordonnée à la mesure de performance, ce qui mène les gestionnaires et les travailleurs à se concentrer sur les résultats et à minimiser les efforts consacrés à la prévention et sa prise en charge. Les nouveaux risques sur les lieux de travail nécessitent de nouvelles façons de faire en matière de santé et de sécurité du travail si les entreprises veulent demeurer compétitives.

12 octobre 2012
Lise Desmarais, CRHA, Michel Pérusse et Fidele Ndjoulou

Évolution des lésions professionnelles


Dans son rapport adressé en 2011 au 19e congrès mondial sur la santé et la sécurité au travail, l’Organisation Internationale du Travail (OIT) souligne que l’intensité du travail relative à la performance des entreprises amène celles-ci à accorder moins de temps à la prévention. De plus, les progrès réalisés récemment dans certaines entreprises pour promouvoir la santé et la sécurité du travail ont été anéantis par la récession économique mondiale.

Au Canada, le bilan 2011 présente des statistiques sur les absences au travail autres que celles qui sont indemnisées par les commissions des accidents du travail. Ce type d’absence perturbe le calendrier de travail et la production et génère des baisses de productivité et des coûts pour l’organisation. La ligne de démarcation entre les absences évitables et inévitables est difficile à tracer et l’absentéisme est souvent déguisé en absence légitime, constate Statistique Canada dans sa publication L’emploi et le revenu en perspective de l’été 2012. L’enquête sur les populations permet de quantifier le temps perdu pour des raisons personnelles, à savoir la maladie ou l’incapacité. Les taux d’absence étaient sensiblement plus élevés en 2011 (3,7 %) qu’en 2001 (3,4 %) ; une observation analogue est à noter du côté des maladies professionnelles (voir la figure ci-dessous).



Le temps de travail perdu pour des raisons de maladie ou d’incapacité équivaut à 7,7 jours par travailleur en 2011. Par ailleurs, le nombre de jours de travail perdu pour cause de maladie ou d’incapacité tend à augmenter avec l’âge, passant d’une moyenne de 5,1 jours chez les jeunes de 15 à 19 ans à 11,5 jours pour les employés à temps plein de 55 à 64 ans.

Premier défi : l’évolution démographique
Le gouvernement fédéral prévoit hausser l’âge de la retraite à 67 ans ; cette nouvelle réalité aura des conséquences différentes selon les secteurs d’activité économique et l’exposition aux facteurs de risque. Considérant l’évolution démographique projetée, ces éléments seront des aspects à considérer pour les conseillers en ressources humaines dans les prochaines années.

Plus près de nous, la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) enregistre depuis 2003 une baisse du nombre des lésions professionnelles indemnisées, et ce, malgré une croissance des établissements et des travailleurs couverts par le Régime québécois de santé et de sécurité du travail. Toutefois, une observation distincte des accidents et des maladies montre que ce sont principalement les accidents qui décroissent. Bien que les maladies indemnisées suivent cette tendance, on observe une croissance des dossiers de maladie dont les demandes sont refusées, en suspens ou en attente. Par conséquent, depuis 2003, il semble que le nombre de demandes d’indemnisation pour des motifs de maladie qui sont refusées, en suspens ou en attente affiche une tendance à la hausse par rapport au nombre total de maladies (46,6 % en 2003 et 56 % en 2010).

Deuxième défi : le diagnostic des nouveaux risques
Le taux d’absentéisme lié aux maladies en général demeure un problème complexe, réel et coûteux au sein des entreprises québécoises, d’où l’intérêt pour les gestionnaires des ressources humaines d’être bien au fait de ce problème et de faire le bon diagnostic des risques présents dans l’environnement.

Ce portrait, en apparence positif, s’appuie entre autres sur une augmentation de près de 4 % des dossiers d’intervention en prévention-inspection créés depuis 2003. Ce virage à la base de l’adoption de la Loi sur la santé et la sécurité du travail en 1979 a été long à intégrer autant par les entreprises que par les principaux initiateurs. Bien que la Loi ait plus de trente ans, il reste encore beaucoup de chemin à parcourir pour mettre en œuvre une réelle prise en charge des problèmes de santé et de sécurité par les milieux du travail. Dans plusieurs organisations, la gestion de la santé et de la sécurité du travail s’appuie encore sur une culture de type réactif. Ainsi, sa prise en compte fait souvent suite à une intervention externe (par exemple les intervenants gouvernementaux), à un accident majeur ou à une hausse des absences entraînant des coûts supplémentaires.

Troisième défi : la prise en charge par les entreprises
Bon nombre d’entreprises mettent l’accent sur la réadaptation, sur les corrections post-événement, sur la contestation, sur l’indemnisation, ce qui constitue la prévention dite tertiaire, soit après le fait ; elles le font souvent aux dépens de la prévention primaire.

Rappelons que la Loi sur la santé et la sécurité du travail a pour objet l’élimination à la source même des dangers pour la santé, la sécurité et l’intégrité physique et psychique des travailleurs. La Loi établit également les mécanismes de participation des travailleurs et des employeurs à la réalisation de cet objet.

Quatrième défi : la mesure de la performance
On doit reconnaître que les indicateurs de performance portent principalement sur l’atteinte des résultats (par exemple la fréquence et la gravité), alors que l’objet de la loi porte sur l’élimination à la source, favorisant notamment une démarche basée sur une obligation de moyens. Par conséquent, les indicateurs de performance sur lesquels s’appuie l’évaluation de l’efficacité du Régime québécois de santé et de sécurité du travail sont d’entrée de jeu de nature réactive.

Cette façon traditionnelle de mesurer la performance en matière de santé et de sécurité (fréquence et gravité) semble avoir éclipsé les objectifs de prise en charge paritaire et provoqué une diversion des enjeux et des mesures prises pour contrer les risques au sein des entreprises.

Constat
En 2012, la majorité des intervenants et chercheurs sont unanimes pour souligner l’importance de l’implication et de l’engagement réels des parties pour faire un travail de prévention prometteur au chapitre des ressources humaines. Malheureusement aucun suivi ni indicateurs n’ont reflété l’évolution de la prise en charge ou l’implantation des mécanismes visant celle-ci dans la Loi. Par conséquent, force est de constater aujourd’hui un échec dans l’établissement d’une culture de prévention partagée et s’appuyant sur l’implication de tous les acteurs organisationnels pour une meilleure identification des risques en amont (prévention primaire).

Les mécanismes proposés dans la Loi, pour supporter l’élimination à la source, portaient notamment sur la création de comités paritaires, sur la désignation d’un représentant à la prévention et sur l’élaboration d’un programme de prévention et d’un programme de santé. Il difficile de déterminer si ce sont des pratiques gagnantes, car peu de données sont disponibles à ce titre. Plusieurs entreprises ont implanté des comités, mais peinent à les faire fonctionner efficacement, faute de ressources et de soutien en la matière. Toutefois, les entreprises qui ont réussi à les mettre en place, et à impliquer ainsi les acteurs organisationnels, observent des résultats plus que positifs en matière de santé et de sécurité du travail. Quant au programme de prévention, trop souvent encore, il est sous-traité à l’externe et peu publicisé à l’interne.

Depuis quelques années, la CSST propose un concours annuel visant à reconnaître les innovations dans les différentes régions administratives, en vue de corriger les risques identifiés au sein des entreprises. Les initiatives sont évaluées par un jury d’experts sur des critères d’originalité, de complexité, de collaboration paritaire, etc. Elles sont la preuve que le milieu peut se concerter et imaginer des solutions concrètes qui tiennent compte de leur réalité. Elles démontrent que les travailleurs peuvent être très imaginatifs et travailler, en collaboration avec l’employeur, à résoudre leur problème.

Nouveaux risques, nouveaux défis!
On observe depuis déjà quelque temps une recrudescence des problèmes de santé liés aux troubles musculosquelettiques (TMS) et à la détresse psychologique au sein des entreprises. Ces maux qui affectent les organisations demandent aux gestionnaires des ressources humaines une plus grande connaissance de ces problèmes et des habiletés spécifiques pour bien cibler et comprendre leurs manifestations précoces. Par exemple selon le rapport 2011 de la CSST, « la proportion des lésions de type TMS non traumatiques par rapport à l’ensemble des lésions a connu une très légère baisse dans les établissements, passant de 28,2 % en 2010 à 27,5 % en 2011 ». Parmi les lésions de type TMS les plus fréquentes en 2011, 38,7 % sont liées à une entorse lombaire. Les lésions de type TMS sont plus fréquentes dans certains secteurs d’activité économique. Ainsi, parmi les secteurs où plus de mille lésions de type TMS ont été dénombrées en 2011, on trouve en tête de liste les services médicaux et sociaux (40,7%). Quant à la santé psychologique, le rapport est muet.

Mentionnons aussi qu’il y a actuellement une prolifération de nanoparticules, ces nouveaux petits objets microscopiques obtenus par la combinaison d’atomes et de molécules divers. Or, les risques liés aux nanoparticules sont très peu documentés ; ils sont également difficiles à prévoir, puisque le comportement d’une nanoparticule est souvent différent de celui de ses composantes prises isolément. Il faudra faire preuve de beaucoup de vigilance à cet égard.

Considérant les indices démographiques projetés, les gestionnaires des ressources humaines devront accomplir un travail colossal pour conserver une main-d’œuvre chèrement acquise au fil des années. Ils devront redoubler d’effort pour attirer des travailleurs et les maintenir en emploi, peut-être même jusqu’à 67 ans. Les entreprises devront s’inscrire dans une démarche propice à la santé et au bien-être pour que ces travailleurs restent pleinement efficaces et productifs. En outre, la précarité de l’emploi pour les uns et l’augmentation des charges et des horaires de travail pour les autres aggravent l’apparition des risques comme la violence au travail et le harcèlement sous toutes ses formes.

Quelques pistes d’action…
Il existe des ressources pour soutenir les entreprises dans leur démarche en matière de santé et de sécurité du travail. La Loi avait prévu, entres autres, les associations sectorielles paritaires, les équipes de santé au travail et, plus récemment, les mutuelles de prévention. Par contre, il faut éviter le piège de la délégation, mais plutôt requérir des conseils auprès de ces ressources, sans qu’elles se substituent aux acteurs internes de l’organisation, ce qui a pour effet de déresponsabiliser le milieu.

Selon Gunningham et Johnstone (1999), un constat s’impose à l’échelle internationale. Il y a des limites à une approche basée sur la mise en œuvre de normes spécifiques et la vérification par l’État de leur application. Ces limites ont trait au fait que, plus il y a de normes, plus il faut de personnel pour en vérifier l’application ; or, la plupart des États cherchent à réduire leur taille, pas à l’augmenter. De plus, la mise en conformité à des normes règle des problèmes ponctuels, mais ne crée pas une culture de santé et sécurité proactive qui prend en charge des problèmes pour lesquels il n’existe pas de normes. C’est pourquoi ces auteurs préconisent la mise en œuvre d’un système de gestion de la santé et de la sécurité dans les entreprises qui le peuvent ; un tel système pourrait même constituer une sorte de « nouveau contrat social » entre le législateur et les entreprises.

Dans le même sens, l’OIT propose aux États et aux entreprises un modèle de système de gestion de la santé et de la sécurité du travail. Il s’agit une démarche systémique axée sur une réelle participation des travailleurs et des dirigeants. L’OIT estime que ce système de gestion est un moyen efficace qui serait plus propice à l’amélioration continue des conditions de santé et de sécurité dans les entreprises.

À l’instar d’autres normes sur la responsabilité sociale et sur le développement durable, la nouvelle norme québécoise BNQ 21000 sur le développement durable propose un modèle hiérarchique et divers stades de maturité des organisations en matière de prise en charge de la gestion de la santé et de la sécurité. Servant d’outil d’auto-diagnostic, ce modèle décrit chacun des stades et propose des actions concrètes à mettre en œuvre pour quitter le mode réactif et devenir une entreprise de classe mondiale dans ce domaine.

Notons également que la norme BNQ 21000 comporte d’autres chapitres sur des enjeux sociaux comme les conditions de travail et le développement des compétences, entre autres. Les pratiques qui y sont décrites sont elles aussi susceptibles de contribuer à la résolution des problèmes en matière de santé et de sécurité. En effet, les deux problématiques les plus importantes actuellement, à savoir les TMS et les problèmes de santé psychologique, ont au moins un dénominateur commun : certains de leurs facteurs de risque relèvent du domaine de l’organisation du travail (mauvaise répartition des tâches, surcharge de travail, cadences trop élevées, conflits de rôle…). Il est clair que les professionnels de la gestion des ressources humaines auront un rôle prédominant à jouer dans la prévention de ces problèmes de santé au travail.

En conclusion, selon l’évolution de lésions professionnelles au Québec, il faudra porter une attention particulière aux maladies et incapacités qui impliquent le travail et génèrent des coûts importants pour les entreprises. Dans un contexte démographique en mutation, les entreprises n’auront d’autre choix que de travailler de concert avec les travailleurs pour trouver des solutions aux nouveaux risques présents dans l’environnement de travail. Une culture de santé et sécurité du travail pourrait endiguer les irritants ressentis de part et d’autre quant aux négligences des protagonistes. Une internalisation de la responsabilité de ce dossier permettrait aux travailleurs et aux employeurs de trouver des solutions adaptées à leur situation plutôt que de se faire imposer par l’externe des solutions difficilement applicables.

Lise Desmarais, MBA, Ph. D., CRHA, professeure au département de management et ressources humaines et directrice du Réseau de Recherche en santé et sécurité du travail (RRSSTQ), Michel Pérusse, Ph. D., professeur, directeur du Centre Laurent Beaudoin et vice-doyen à la formation continue et aux relations extérieures, et Fidele Ndjoulou, candidat au DBA, Université de Sherbrooke.

Source : Effectif, volume 15, numéro 4, septembre/octobre 2012.


Bibliographie

Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST). Rapports annuels de gestion de la CSST de 2003 à 2011.

Desmarais, L. (2004). Évaluation de l’implantation des comités de santé et de sécurité du travail : une étude des cas multiples réalisés dans les petites et moyennes entreprises du Québec au Québec. Thèse de doctorat, Université du Québec à Montréal, École supérieure de gestion, Montréal.

Desmarais, L. et Pérusse, M. (2008). « Mutations du monde du travail: nouveaux enjeux », Effectif, septembre/octobre 2011.

Gunningham, N. et Johnstone, R. (1999). Regulating Workplace Safety: Systems and Sanctions, Oxford University Press, Oxford, 423 p.

Organisation internationale du travail (2011). ILO Introductory Report: Global Trends and Challenges on Occupational Safety and Health, XIX World Congress on Safety and Health at Work, Istanbul, Turkey, 11-15 September 2011.

Michel Pérusse, Lise Desmarais et Jean Cadieux (2012). « Enjeux sociaux : La santé et sécurité », Manuel de gestion du développement durable en entreprise : une approche progressive, sous la direction de Jean Cadieux et de Michel Dion, chap. 17, p. 402-418.

Statistique Canada 2011. L’emploi et le revenu en perspective, Été 2012.


Lise Desmarais, CRHA, Michel Pérusse et Fidele Ndjoulou